Nicolas Vanbremeersch (Versac) : "le web va concurrencer les partis politiques"

Par Propos recueillis par Vincent Chauvet  |   |  946  mots
A mi-chemin entre l'essai politique et la publication sur les nouvelles technologies, ce premier livre de Nicolas Vanbremeersch est avant tout un ouvrage de vulgarisation sur le web comme outil politique.

L'auteur, diplômé d'HEC, directeur de l'agence de communication Spintank, ayant brièvement goûté à la politique puis devenu blogueur connu et reconnu sous le pseudonyme de Versac, analyse à la lumière de son expérience personnelle la notion d'espace public numérique, avec ce style, clair et direct pour expliquer des concepts complexes, qui a fait le succès de son blog.

Selon lui, l'espace public numérique, plus qu'une simple extension de l'espace public classique, tend à devenir une sorte d'agora immatérielle, où chacun peut devenir un média autonome, et où les tensions tocquevilliennes entre individualisme et communautarisme, entre fragmentation et décloisonnement, sont levées. De même que de nouvelles pratiques sociales émergent du fait de l'utilisation massive du web chez les générations nées avec Internet, l'auteur anticipe, reprenant des exemples tirés des dernières campagnes électorales, que la toile sera à l'avenir le terrain privilégié du débat politique. En donnant son email à la fin de la préface, Versac joint d'ailleurs la théorie à la pratique, et invite le lecteur à poursuivre cette réflexion... en ligne, évidemment.

 

La Tribune : A vous lire, on a l'impression que, si les militants savent souvent très bien se servir des possibilités qu'offre Internet, ce n'est pas le cas de la plupart des politiques. Le web va-t-il alors remettre en cause le métier d'homme politique, de la même façon qu'il remet déjà en cause la fonction de journaliste traditionnel ?

Nicolas Vanbremeersch : Il faudrait déjà voir si c'est un métier, mais c'est un autre débat. Il y a des similitudes : sur le web naît une nouvelle concurrence, qui peut émerger, s'organiser plus facilement, et menace les partis politiques sur des fonctions essentielles : former l'agenda politique, former les militants, nommer les candidats, offrir une légitimité. Les hommes politiques français sont encore protégés : ils dépendent après tout peu de leurs électeurs, que ce soit pour lever de l'argent (grâce au financement public) ou pour être nommés (car il n'y a pas de primaires ouvertes). Le risque principal, c'est celui d'un décalage entre des pratiques sociales ouvertes, remodelées à l'aune du web, et des politiques de plus en plus crispés, dépassés par cet espace en développement.

On a souvent dit que la France comportait une forte proportion de blogueurs par rapport à d'autres pays. Cela veut-il dire que notre pays est en avance dans la constitution d'un espace public numérique ?

On dispose de peu de chiffres en vérité, mais les études disponibles indiquent une pratique forte de l'expression personnelle en ligne, en France, sur les blogs ou les réseaux sociaux. L'immense majorité de ces blogs, toutefois, restent des lieux de sociabilité légère, personnelle, dans des cercles d'amis réduits. Une fraction de ces blogs, quelques dizaines de milliers, correspondent à une pratique à même de structurer un espace public numérique. Ce sont ces blogs de toutes origines qui contribuent au débat public, toujours dans une logique sociale, mais en entrant vraiment dans une parole publique, et pas seulement quelques échanges avec ses proches.

La thèse de l'avènement d'un espace public numérique n'est-elle pas remise en cause par le fait qu'aujourd'hui les blogueurs communiquent surtout entre eux, sans vraiment s'adresser à la population des non-blogueurs qui reste majoritaire ?

Les blogueurs ne parlent pas qu'entre eux. Il y a dans la partie la plus visible de la blogosphère politique ou technologique française un sentiment d'entre-soi qui peut donner à croire ceci. Mais la pratique marche ainsi : l'information circule de blog à blog, rebondit, et se transmet ainsi aux différents lecteurs. Bloguer sans se mettre en réseau avec d'autres, c'est ne pas exister. Ceci dit, les blogs français, contrairement à leurs homologues américains, ne se sont pas tellement développés et organisés, autour de grands pôles d'expression (aux Etats-Unis, je pense au Huffington Post, à Dailykos, ...). Le paysage des blogs connaît aussi de grands manques, de blogs d'experts, d'universitaires, de politiques qui entrent dans le jeu, de citoyens qui prennent la parole de manière solide. C'est ce qui explique que le web joue surtout, pour l'instant, un rôle de défiance, de complément critique à l'espace médiatique, et ne dispose que sur peu de sujets d'une autonomie réelle.

Dans les dernières pages de votre livre, vous évoquez la question de la régulation d'Internet. Est-elle selon vous inéluctable? Et sous quelle forme l'envisagez vous ?

La tentation d'une régulation de ces échanges est permanente. Elle est souvent, malheureusement, mal renseignée, et prétend que le web manque de lois. De fait, toutes les lois sur la liberté d'expression s'appliquent au web. La question est celle d'une régulation efficace, qui ne vienne pas réduire ce formidable champ d'expression, en ratant sa cible. L'enjeu, ce n'est pas de limiter cette liberté, mais de faire en sorte qu'elle s'exprime dans un sens positif. L'issue positive pour que le développement de l'espace public numérique se fasse sans dérives, ce n'est pas tant une palanquée de lois de plus, que l'intégration de cet espace dans le champ politique, par sa prise en compte. C'est ce qu'Obama a compris, par exemple. Malheureusement, en France, on en reste souvent à un regard extérieur, de condamnation, plutôt que de prise en compte...

 

"De la démocratie numérique", de Nicolas Vanbremeersch, Seuil / Presses de Sciences Po (104 pages, 14 euros). Lire le compte rendu de l'ouvrage dans l'édition de La Tribune datée du 17 avril.