Valérie Pécresse face aux lecteurs de la Tribune

Par latribune.fr  |   |  3028  mots
Après le président francilien sortant, Jean-Paul Huchon, c'est au tour de Valérie Pécresse de répondre aux questions des lecteurs de La Tribune. La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, chef de file de l'UMP en Ile-de-France, propose notamment la création d'un fonds stratégique d'investissement régional, la construction d'une voie de circulation supplémentaire réservée au covoiturage et aux taxis sur les grands axes, ou l'ouverture des lycées sept jours sur sept pour accueillir des associations en dehors des périodes de cours...

Valéry Brancaleoni, demandeur d'emploi, Paris XVIIème : Vous dites que si vous êtes élue vous lancerez un plan d'urgence pour les transports. De quoi s'agit-il ?

Valérie Pécresse : Je propose de changer de vision. Il faut bien sûr construire de nouvelles lignes. Il y a 21 projets en cours dans le contrat Etat- Région. On a pris du retard. Il faut que cela cesse. Mais ce qui me frappe, c'est qu'on a oublié le mot service. Dans le RER, le taux de retard atteint 10%. Et pour les employés, les salariés qui prennent les « petits gris » (ndr : surnoms donnés aux trains de la banlieue parisienne datant des années 60) entre Melun et Paris, les conditions de transport sont d'autant plus insupportables que leurs employeurs n'acceptent plus leurs retards à répétition.... Il faut donc un plan sur la ponctualité, le confort et la sécurité. Nous devons investir pour remettre à niveau toutes les lignes, accélérer le plan de renouvellement des rames, des wagons... il y a des problèmes d'aiguillage, des chutes de caténaires. Pour résumer, c'est toute la qualité de service qui est au c?ur de mon projet.

Jean-Louis Sevilla, cadre (stratégie et finances) en année sabbatique, Asnières (92) : Qu'est ce que vous pouvez faire concrètement ?

V.P. : Nous devons faire preuve de volontarisme. En 2004 l'axe de campagne de Jean-Paul Huchon, c'était « les transports zéro défaut ».
La notion de service aux usagers n'a pas été été mise au c?ur du schéma directeur. C'est une logique d'ingénieur qui a prévalu. De plus, tous les travaux ont pris du retard. Pour moi, le président de région doit veiller au bien-être quotidien des usagers. C'est pour cette raison que nous nous présentons comme les candidats de la vie quotidienne. Songez par exemple que les usagers passent 30% de leur temps de trajet dans les gares. Et qu'est-ce qu'ils y trouvent ? Des journaux. (sourires) C'est bien mais ce serait nettement mieux s'ils pouvaient y trouver trois ou quatre services de proximité. Je propose de faire des gares de vrais lieux de vie. C'est possible et finançable dans le cadre de partenariats public-privé. Il y a là-dessus un tabou que je suis prête à lever... Il y a une centaine de gares qui accueillent plus de mille passagers par jour. On peut y construire des parkings, des maisons d'assistantes maternelles, des crèches... La région aiderait évidemment au financement de ces investissements.

Edouard Blanchot, consultant (Télécoms), Parais XVIIème : Que pensez vous du Vélib, de l'Autolib ?

V.P. : Cela relève des municipalités. La région peut simplement veiller à organiser ce type de services dans le cadre d'un schéma directeur régional, en liaison avec celui des bus. Mais ma priorité, c'est la qualité de services dans les transports. Il y a 200 kilomètres de bouchons en Ile-de-France. Cela pose un problème à ceux qui se déplacent en voiture et cela nuit aussi à l'attractivité de l'Ile-de-France. Mais le président de région est allié aux Verts, qui, sur le sujet, font preuve d'un ostracisme marqué envers la route. Cette opposition systématique entre la route et les transports en commun me semble totalement absurde. Dans un certain nombre de pays, au Canada, en Allemagne, mais aussi en France dans le département de l'Isère, il existe une voie supplémentaire réservée aux bus, au covoiturage. C'est très important d'offrir un avantage concret à ceux qui recourent au covoiturage ou qui utilisent des voitures propres. On a pas trouvé mieux pour faire changer les habitudes. Regardez ce qui s'est passé avec le bonus malus. Evidemment, pour les grands retours de vacances, cette voie supplémentaire profiterait à tout le monde.

J.-L.S. : Il faudra des années pour construire tout ça...

V.P. Non. Les travaux pourraient commencer dès l'année prochaine. Et cela, sans bloquer la circulation. On a identifié 81 tronçons routiers, notamment l'A 86, la francilienne, sur lesquels on peut ajouter sans difficultés techniques, cette voie supplémentaire.

Nicolas Frangoulis, chef d'entreprise, Paris VIIème : Pourquoi ne pas mettre en place des péages urbains ?

V.P. : Le péage urbain ce serait une double peine infligée à ceux qui ne vivent pas à Paris. Ils n'ont pas le choix puisqu'il n'y a pas de parkings pour se garer et prendre ensuite les transports en commun. La politique de Delanoë, c'est de ne plus construire de parkings dans Paris. J'ai peur que ce péage urbain soit vécu par les 4 millions d'automobilistes franciliens comme un nouveau moyen pour les Parisiens de s'enfermer. Moi je défends le Grand Paris avec sa double boucle de métro, ses 21 nouvelles lignes offrant une grande qualité de service...

V.B. : vous avez proposé de supprimer les 6 zones tarifaires du pass navigo pour passer à deux zones. Jean-Paul Huchon répond que cela réduirait considérablement les recettes et donc la capacité d'investissement du STIF.

V.P. : Mais c'était dans son projet de 2004...Chacun a le sentiment aujourd'hui que les tarifs sont injustes. Plus on habite loin, plus la qualité se dégrade. Ce découpage en six zones n'a pas de sens. Je plaide effectivement pour deux zones. Une zone métro et une zone banlieue à moduler. Il faut créer un pass navigo intelligent qui permette le mise en place d'une tarification en fonction de la distance et de la qualité de la ligne... Que ceux qui utilisent le RER D qui affiche 10% de taux de retard ou le RER A qui a connu 18 jours de service minimum paient moins cher. Ce serait une sanction financière infligée aux opérateurs qui les inciteraient à faire progresser la qualité de service.

V.B. : Cela vaudrait pour le métro aussi. La ligne 14 et la ligne 13, ce n'est pas pareil !

V.P. : Il faut qu'on ait techniquement les moyens de le faire. Notamment pour ceux qui utilisent la ligne 13. Je suis sûr que cela encouragerait la RATP à se dépêcher de prolonger la ligne 14.

J.-L.S. : Ce qui manque en banlieue, ce sont les taxis, quand est ce que vous allez débloquer les plaques de taxis en banlieue ? Cela pose des problèmes de prise en charge dans les aéroports, par exemple il est difficile, voire impossible, de prendre un taxi à Roissy pour la Courneuve ou Saint-Denis..

V.P. : Si le taxi refuse, il est en infraction vis-à-vis de la loi. Cela dit, cela n'est pas le rôle du président de région. Et les plaques, c'est le ministère de l'Intérieur... Par ailleurs, pour les taxis de banlieue, ma voie supplémentaire leur changerait la vie, le réseau banlieue-banlieue serait plus rentable

J.-L.S. : Comment instaurer des carrefours fluides en banlieue ? On ne pourrait pas mettre un policier au carrefour ?

V.P. : Là aussi, cela ne relève pas des compétences de la région, mais du ministère de l'intérieur ! Mais ce que la région peut faire, c'est développer des services de transports à la demande, pour les personnes sans permis, les personnes âgées, dépendantes, en zone rurale, des systèmes de navettes subventionnées par la région.

N.F. : Comment comptez-vous relancer l'économie ?

V.. : Aujourd'hui, les décisions que prend la Région vont dans le mauvais sens. L'endettement augmente de 27% et les investissements en valeur réelle baissent de plus de 2%. Dans cette année qu'on espère de reprise, il faudrait accompagner l'investissement et utiliser notre capacité d'endettement pour investir. Il faut pour cela que la Région sorte de la logique administrative d'aide aux entreprises. Aujourd'hui les entreprises déposent des demandes de subvention à des guichets. Certaines ne parviennent pas à se mettre dans cette logique. Je les comprends. Elles ont face à elles des interlocuteurs qui n'ont rien à voir avec leur domaine d'activité. C'est un spécialiste de la santé qui va traiter le dossier d'une start up de la hight tech !

E.B. : Que proposez-vous ?

V.P. : La création d'un fonds stratégique d'investissement régional. Les PME ont un problème de financement. Et, du fait de la crise, elles fonctionnent par à-coups. Avec des commandes qui interviennent à la dernière minute. Sans compter la difficulté que rencontrent les chefs d'entreprise à transmettre leur société. Il leur faut convaincre soit les salariés, soit les héritiers ou des investisseurs, français de préférence de prendre la suite. En période de crise c'est encore moins facile qu'en temps normal. Il faut donc que la Région ait une vraie stratégie industrielle. Ce fonds stratégique d'investissement régional pourrait monter au capital de PME jugée prometteuses et revendrait sa participation après. « Ile de France capital » joue certes déjà ce rôle. Mais de façon embryonnaire. La région ne l'a doté que de deux millions d'euros alors qu'il faudrait au moins 100 millions d'euros. C'est ce que je préconise pour le fonds régional que j'appelle de mes v?ux. Avec l'appui bien sûr d'autres fonds institutionnels. Et puis il y a un autre créneau qui doit être absolument traité. Ce sont la TPE, les artisans, les commerçants, les auto-entrepreneurs... Je propose la création d'un fonds de micro-crédit économique régional. Ce n'est pas un sujet anecdotique. Il suffit de regarder ce que fait l'Allemagne. Angela Merkel a proposé, au plan national, la création d'un fonds national de micro-crédit... En période de chômage de masse, les auto-entrepreneurs ont besoin d'un coup de pouce.

E.B. : Nicolas Sarkozy a promis le très haut débit pour tous d'ici 2020, comment appliquer, voire dépasser cet objectif ?

V.P. : Le grand emprunt prévoit un plan d'investissement spectaculaire dans le très haut débit. Aujourd'hui 13% des Franciliens ne dispose même pas de 2 mégas et 25% ont moins de 4 mégas... Quand j'ai été élue députée dans les Yvelines, j'ai vu combien il était difficile d'améliorer le débit des connexions à internet des habitants de la vallée de Chevreuse. On m'a dit : « Ne rêvez pas ! » J'ai dû me battre pour ce territoire, qui a besoin du haut débit car on y compte beaucoup de télétravailleurs. J'ai négocié avec les opérateurs. Je leur ai dit : «Vous aurez la fibre optique à Vélizy et à Saint-Quentin si vous offrez l'ADSL et le wimax aux habitants de la vallée de Chevreuse. » Grâce à cette logique du gagnant-gagnant, aujourd'hui on a du haut débit jusqu'à Rambouillet et on doit arriver au très très haut débit en petite couronne

V.B. : Comme beaucoup de jeunes de moins de 25 ans, j'ai créé une entreprise. Aujourd'hui, je cherche du travail et on me recommande de ne pas mentionner dans mon CV, que j'ai été co-gérant de mon entreprise. Je serais paraît-il mieux vu par des employeurs potentiels si j'écris que j'étais chef de projet...

V.P. : Je trouve ça scandaleux. Moi, je suis prête à dire que je me sens une âme d'entrepreneur, c'est beau et noble, entreprendre, ça veut dire prendre des risques, être créatif. J'ai créé le statut de la jeune entreprise étudiante, déchargé de toutes taxes, pour inciter les jeunes qui poursuivent des études universitaires à tenter l'aventure... Comment résoudre le problème que vous mentionnez ? Sans doute en valorisant davantage l'entrepreneuriat. Je vous raconte un souvenir personnel. J'ai fait une école de commerce. Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, j'ai eu envie d'exercer une mission de service public. On m'a dit que j'allais dévaloriser ce diplôme. Cela ne m'a pas empêché de persévérer dans mon choix. Prendre des sentiers non balisés dans notre pays ce n'est pas facile. Mais il ne faut pas se cacher.

E.B. : Que comptez-vous faire pour favoriser la création d'entreprise ?

V.P. On travaille sur un très beau projet avec l'ancien président de l'Essec. Nous voulons créer « Sup de Pro ». Notre objectif : proposer l'équivalent d'une grande école aux bacheliers professionnels. Celui ou celle qui passe son bac pro a un métier dans les mains. S'il opte pour l'université, ses chances de terminer son cursus ne dépassent pas 5%. Avec Sup de Pro, nous pouvons faire émerger une élite des bacheliers professionnels pour leur apprendre à devenir de vrais chefs d'entreprise...

V.B. : Beaucoup de jeunes arrivent en terminale, passent le bac, sans savoir pourquoi. Ils arrêtent la fac au bout de deux ans. Est ce qu'il faudrait pas mener une vraie politique d'apprentissage plutôt que de donner le baccalauréat à 80% d'une classe d'âge ?

J.-L.S. : Je rebondis sur cette question, quand j'étais au collège, au lycée, il y avait encore des cours de travaux manuels... Aujourd'hui, il n'y a plus rien.

V.P. : Toutes les études montrent que l'apprentissage et la formation en alternance permettent une meilleure insertion dans le monde professionnel. On ne le dit pas assez mais l'alternance concerne aujourd'hui beaucoup d'étudiants, de médecins, d'ingénieurs. Sans doute parce que l'apprentissage est perçu comme un deuxième choix... Si on veut généraliser l'apprentissage, il fait commencer par ne pas payer les aides à l'accueil des apprentis avec deux ans de retard et garantir aux apprentis un vrai statut d'étudiant.

J.-L.S. : La réforme de la TP va se traduire par un manque à gagner de cinq milliards d'euros pour les collectivités locales dont 400 millions pour la région. Cela représente 1000 euros par ménage. Qui va payer ? Autre question : la taxe d'habitation est basée sur une valeur locative aberrante, totalement inique. Les personnes qui vivent dans logements récents paient cher alors que si vous habitez dans de l'ancien, vous payez bien moins. Allez-vous enfin oser réviser les bases locatives ?

V.P. : Concernant la première question, il y a une fausse rumeur qui circule. La TP, augmentée par Mr Huchon de 69% en six ans, sera intégralement compensée, l'Etat en a pris l'engagement. Ce ne sera pas une taxe sur les ménages mais une nouvelle taxe avec une assiette plus intelligente que les salaires, il y aura des transferts de charges entre les entreprises. Nous ne voulions plus d'un impôt qui taxait les investissements ... Notre objectif, c'est qu'on embauche... Sur la taxe d'habitation, c'estun vrai sujet, mais l'actualisation des bases foncières c'est extrêmement compliqué et cela ne relève pas du Président de région.

J.-L.S. : Je suis frappé par la médiocrité des élus communaux : ils ne sont pas bien indemnisés, ce sont des bénévoles, souvent des retraités. Je pense que c'est lié au fait que la région compte 1.300 communes. Cela fait en moyenne 9000 habitants par commune. Ne pourrait- on pas les obliger à se regrouper. Pourquoi ne pas marier par exemple Courbevoie avec Neuilly ?

V.P. : La réforme territoriale y pourvoit déjà, avec la création du conseiller territorial. La région doit se concentrer sur son c?ur de métier, les transports, tandis que le Grand Paris, qui est un projet exceptionnel d'aménagement à l'échelle de la région, va permettre de concevoir un projet pour vous tous avec onze territoires stratégiques, sept campus universitaires... Jean-Paul Huchon critique le Grand Paris parce que dit-il «il va relier des sites économiques qui n'existent pas tous encore » Evidemment, puisque l'objectif c'est de développer les uns et créer les autres. Mais c'est une nécessité car il faut un rééquilibrage entre l'Ouest et l'Est.. Ces nouvelles infrastructures indispensables ne sont finançables que dans le cadre du Grand Paris Une région capitaine, c'est une région qui amène les collectivités à réfléchir à des projets communs. Elle ne doit pas se contenter de cofinancer des projets.

J.-L.S. : 1.300 communes, c'est quand même beaucoup. Vous ne trouvez pas ça archaïque ?

V.P. : Moi, ce qui me semble dangereux, c'est que le maire de Paris, avec ses 1,3 millions d'habitants, ait un poids extrêmement fort par rapport à un village de Seine et Marne...

J.-L.S. : Le maire, dans ce cas de figure, n'est qu'un garde champêtre...

V.P. : Non, en zone rurale, pendant la canicule, il n'y a eu presque aucun mort parce que les petits villages, ce sont des lieux de solidarité... Nous allons faire une loi qui va rapprocher les départements et les régions et demander aux communes de se mettre en intercommunalité. Il faut qu'on ?uvre - et la loi le dira - à la mise en place d'ensembles qui ont du sens. Mais ces élus, ne soyez pas trop critiques avec eux, leur dévouement, leur utilité sociale, ça mérite plus de respect que de critiques. En revanche, c'est vrai que les plans de circulation ne peuvent pas faire l'objet de querelles de voisinage.

N.F. : Selon les sondages, vous arrivez en tête au premier tour mais Jean-Paul Huchon vous bat au second. Quelle est votre stratégie pour faire mentir les sondages ?

V.P. : Ma stratégie, c'est de développer mes idées. Je n'ai pas parlé de l'ouverture sept jours sur sept des lycées, y compris pendant les vacances scolaires d'été. Pour des activités sportives, culturelles, périscolaires... C'est sur mes idées que je veux faire cette campagne.
Il ne s'agit pas d'une élection contre le gouvernement et sa politique de réformes. Cette élection-là aura lieu dans deux ans et on alors aura un vrai bilan à défendre. Moi je présente mes idées, la voie de circulation supplémentaire, les lycées ouverts, la sécurité, le fonds stratégique d'investissement, le micro-crédit, et je présente une équipe neuve avec des idées neuves.