Aux origines du Front National

Plus que la crise, c'est le rejet obsessionnel de l'immigration de peuplement en provenance du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne qui a nourri depuis trente ans le vote FN. Un vote favorisé par les manoeuvres de la gauche au pouvoir, les tactiques d'une droite déstabilisée, et les échecs répétés dans la lutte contre le chômage.
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Comment le vote FN, inexistant il y a trente ans, s'est-il installé dans la vie politique française alors même que la xénophobie, très prégnante dans la société au début du siècle, y a beaucoup reculé ? Les regards des politologues et des économistes sur quelques temps forts du FN depuis trente ans livrent quelques enseignements : primo, s'il rebondit aujourd'hui, le FN n'est pas à son apogée, et surtout beaucoup moins fort que l'UDC en Suisse (30%), l'ensemble FPÖ et BZÖ en Autriche (29%), ou le Frest en Norvège (23%). Secundo, même si le logiciel de Marine Le Pen est nettement plus social que celui de son père, les leviers de l'extrême-droite française sont au fond restés constants.

 

C'est aux élections municipales de 1983 que Jean-Marie Le Pen remporte son premier succès en pointant la menace de l'immigration. Si la xénophobie est une vieille passion française, c'est la première fois qu'elle sert d'enjeu politique : "avec la fermeture des frontières après la crise de 1974, fermeture adossée à une politique de regroupement familial, l'immigration a changé de nature, explique le politologue au Cee Etienne Schweisguth : du "travailleur immigré", dormant dans des foyers tenus à l'écart de la vie publique, on est passé à la "population immigrée", des familles occupant des logements, prenant des transports en commun et fréquentant les écoles dans l'espace de vie des Français. En clair, ces non-Européens, avec leur mode de vie, deviennent visibles dans la cité."

"Dans un pays qui, à la différence de nombreux pays européens n'octroie la citoyenneté qu'à ceux qui acceptent de s'assimiler, les coutumes des Maghrébins sont alors vécues comme une menace pour le style de vie des Français", explique Hans-Peter Kriesi, expert des droites radicales en Europe. Pour lui, il n'y a pas de doute : "dans un pays très à cheval sur l'assimilation, c'est bien la peur de la société multiculturelle, la menace pour l'identité nationale, qui très tôt nourrit le vote Front national." Et ce, précise le spécialiste du FN, Pierre Martin, "dans un contexte où d'un côté, la gauche régularise massivement les sans papiers, et où la droite classique, très déstabilisée par la défaite de 1981, fait une campagne ouvertement xénophobe lors des municipales de 1983, noue des alliances locales avec le FN à Dreux en 1983, puis lors des élections cantonales de 1985."

En clair, pendant que la gauche nourrit la peur de cette nouvelle immigration, la droite la légitime. "Les élections européennes de 1984 font ainsi apparaître une nouvelle géographie électorale de la droite, en rupture avec le passé, dit encore Pierre Martin. Une nouvelle carte qui colle à la fois avec la carte de la répartition sur le territoire des Maghrébins et des turcs, et avec la carte de la progression de la délinquance."

 

François Mitterrand, qui saisit le parti à tirer de l'émiettement des votes de droite, ouvre en grand la télévision publique au tribun hors pair qu'est Jean-Marie Le Pen, et introduit une dose de proportionnelle aux législatives de 1986. Alors que le leader frontiste occupe ce large terrain médiatique par des petites phrases choc, reprises en boucle sur les ondes, il rode sa doctrine : l'immigration présente une triple menace, contre l'identité nationale, contre la sécurité et contre l'emploi. La droite qui craint de perdre ces élections choisit de dédiaboliser le FN, notamment par la voix de Michel Poniatowski et d'Alain Juppé. Alors que son score atteint 9,8%, le FN remportera 35 sièges.

"Le FN parvient ainsi à imposer l'immigration comme un thème politique majeur, et à faire "passer au vote" non seulement une partie de la droite classique, mais aussi les artisans et commerçants, et quelques années plus tard l'électorat ouvrier, explique le politologue du CEE, Vincent Tiberj. Car le succès du FN tient aussi beaucoup à l'échec du PS au gouvernement, comme de la droite classique dans son rôle d'opposant. Au moment où le parti communiste a perdu son audience, et où les syndicats ont été très affaiblis, c'est donc vers le Front National que les ouvriers finiront par se tourner." "Après le tournant de la rigueur, les politiques économiques et sociales de gauche et de droite ont tant convergé, qu'elles ont nourri le sentiment qu'il n'y avait plus de clivage, ni réelle différence entre les partis de gouvernement, dit Etienne Schweisguth. Aussi, comme dans la plupart des pays européens, le "vote de classe" qui opposait jadis le vote de gauche des catégories populaires au vote de droite des catégories aisées a décliné, affaiblissant les antagonismes idéologiques, et mettant fin à la fidélité politique. Il ne reste alors comme affrontement manichéen que le clivage entre la grande majorité électorale et la minorité d'extrême droite."

 

Le rôle de la crise économique dans le vote FN ? "Les crises économiques et sociales profitent toujours aux droite radicales, reconnaît Hanspeter Kriesi. Mais c'est un contre-sens de croire que c'est leur véritable moteur. Dans toute l'Europe, en particulier au Pays-Bas, au Danemark, en Norvège et en Suisse, l'envolée de la droite radicale s'est produite avant la crise". "Si la hausse du chômage profite au vote FN, dit encore Pierre Martin, ce n'est que de manière indirecte : les échecs successifs des partis de gouvernement sur la lutte contre le chômage ont fini par décrédibiliser les élites, et libérer les électeurs."

 

Il semble donc que ce soit plutôt les débats de société, et les représentations qui en découlent, qui portent véritablement le vote FN : "l'apogée du FN est masquée, dit Pierre Martin. En vérité, il a été atteint à la fin des années 80. Lors des cantonales partielles de septembre 1988, le FN réalise un score qui correspond à un niveau de 25% sur l'ensemble du territoire. Et surtout, lors des élections législatives partielles de décembre 1989, Marie-France Stirbois est élue député d'Eure-et-Loir avec 40% des voix au premier tour, et 60% au second." De crise sociale ? Il n'y en avait pas. Le FN avait seulement récolté les fruits du premier débat public sur la place de l'islam en France, après l'affaire du voile du lycée de Creil, en septembre 1989. Débat qui avait été lancé par le RPR et repris par les intellectuels du PS, très divisés entre les républicains durs et les démocrates. "A partir du moment où l'on a cessé de débattre de l'islam en France, et où le Parti républicain comme le RPR ont pris en 1991 la décision de ne plus tolérer aucune alliance avec le FN, ses scores électoraux ont nettement reflué", affirme Pierre Martin.

 

Alors le succès du FN ne serait-il qu'affaire de représentations, de constructions politiques nées dans les débats publics et les alliances tactiques ? Ce n'est peut-être pas si simple. A l'été 2009, le statisticien Bernard Aubry et la démographe Michèle Tribalat publiaient dans la revue Commentaire un article sur "Les jeunes d'origine étrangère". Il en ressortait qu'entre 1968 et 2005, la proportion de jeunes de moins de 18 ans avec au moins un parent d'origine étrangère est passé en France métropolitaine, de 11,5% à 18,5%, principalement en raison de l'explosion en Ile-de-France, de 16% à 37%. Au point que les huit départements franciliens affichaient en 2005 une concentration de jeunes d'origine étrangère particulièrement élevée, jusqu'à 57% en Seine St Denis. Une proportion qui dépasse les 60% dans vingt villes et même les 70% dans sept villes, dont Saint-Denis (70%), Garges-lès-Gonesse et Grigny (71%), la Courneuve (74%), et jusqu'à 75% à Aubervilliers et Clichy-sous-Bois ! Autant de villes où le FN a fait mieux que son score national au premier tour des cantonales.

 

Autres données statistiques, publiées en 2010 dans "Les revenus et le patrimoine des ménages" de l'Insee, qui montrent que dans le phénomène FN, tout ne relève peut-être pas totalement du fantasme hystérique. Les économistes Philippe Lombardo et Jérôme Pujol chiffrent précisément la situation des immigrés en provenance du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne. Or le portrait socio-économique qu'ils en font est assez fidèle au cliché qui nourrit la montée du FN depuis trente ans. En particulier sur le niveau des prestations sociales qu'ils perçoivent. Disposant d'un revenu d'activité plus faible que les non immigrés, ils ont un niveau de vie 42% inférieur à celui des non immigrés, en raison de moindres revenus d'activité et de familles plus nombreuses. Près d'un ménage sur deux (43% exactement) est pauvre. Mais ils sont déjà très aidés : les prestations sociales assurent 21% de leurs revenus, contre 5,1% pour les non immigrés et 5,4% pour les immigrés qui viennent d'Europe.

Commentaires 6
à écrit le 28/03/2011 à 16:56
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et oui les prestations il faudrait peut etre moins en distribuer

à écrit le 26/03/2011 à 13:23
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Le score du F N est le reflet de la médiocrité des partis actuels , il montera tant qu'un leader à gauche ou à droite n'aura pas émergé , on est mal parti , ce qui conduit à penser que son score atteindra bientôt la moyenne Européenne de ce type de p...

le 26/03/2011 à 16:49
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Justement le leader de la droite nouvelle, un parti républicain qui émerge est Marine Le Pen ! Il faut cesser de croire ce que raconte l'UMPS et des gens comme Johny qui ont peur de la rigueur du FN qui certes va poursuivre les fraudeurs du fisc en a...

le 26/03/2011 à 19:48
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Pour le moment le FN est classé à l'extrême droite , il n'a pas de programme , poursuivre les fraudeurs est une bonne chose mais il faudra d'abord qu'il règle sa dette sociale , il n'y a pas de raisons pour qu'on paye à sa place ,ce que ne manquera p...

le 27/03/2011 à 10:21
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Soyons concret et regardons ce qui distingue le programme de Marine et de Martine. L'exemple d'une offre d'emploi. Martine prendra un gars ou une fille du Sahel, lui paiera un logement avec les charges, lui donnera des leçons de français ainsi que de...

le 27/03/2011 à 12:35
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On peut toujours rêver EN COULEUR .

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