Stéphane Rozès : "Ces cantonales sont un laboratoire de la présidentielle"

Par Propos recueillis par Isabelle Moreau  |   |  658  mots
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Stéphane Rozès, politologue, président de la société de conseil Cap et enseignant à HEC et Sciences Po, analyse pour La Tribune, les enjeux des élections cantonales, un an avant la présidentielle de 2012.

Quels seront les thèmes de l'élection présidentielle de 2012 ?

Premièrement, la dimension spirituelle du futur président, sa capacité à incarner la fonction présidentielle et, ensuite, l'articulation dans son projet temporel entre la question sociale et la question nationale. Chacun se demande comment le pays doit et peut se réformer pour se déployer dans la mondialisation et quelle est sa place dans ce mouvement, dans le commun national dont le président est la figure.

Quels sont les enjeux pour les candidats ?

Nicolas Sarkozy doit renouer avec le pays alors qu'il connaît une crise de leadership inégalée pour un président sortant. Il oscille entre une ligne sociale-républicaine, inspirée par Henri Guaino et qui nécessiterait qu'il se représidentialise au travers d'un 'récit commun' et la ligne actuelle identitaire-nationale, inspirée par Patrick Buisson [conseiller de Nicolas Sarkozy, ancien journaliste à Minute, Valeurs actuelles ou à la télévision, sur LCI et Histoire, Ndlr], qui vise à faire rupture en infléchissant le logiciel républicain avec un travail sur les origines.

Marine Le Pen commence à transformer le FN de parti protestataire en alternative politique. Elle perpétue des thèses xénophobes en pointant les musulmans et derrière les immigrés, au nom de la République et de la laïcité,elle articule la question sociale et nationale avec la fermeture des frontières censée éviter les délocalisations dans un sens et les flux migratoires qui concurrencent le salariat de l'autre. Quant à la gauche, le pays attend son candidat car, sur le fond, à part l'anti-sarkozysme, le flou domine. Mais pour tous, ces cantonales sont déjà un laboratoire de la présidentielle.

Nicolas Sarkozy déploie-t-il avec le refus du "front républicain" une ligne de conduite claire ?

Oui. La ligne nationale-identitaire vise à déplacer dans les représentations le débat : des questions économiques et sociales, plus favorables à un candidat comme Strauss-Kahn aux questions culturelles comme l'identité et la laïcité .. et à déplacer le débat gauche/droite à droite/extrême-droite. Du discours de Grenoble, qui établit un lien entre immigration et insécurité et ancienneté de la nationalité pour juger des délinquants, en passant par le débat de l'UMP liant laïcité et Islam et par le refus du "front républicain" qui renvoie dos à dos la gauche et le FN, la logique d'opinion et les faits électoraux actuels amènent Marine Le Pen au second tour. Car Sarkozy récupère l'électorat FN en 2007 en lui donnant une place positive au sein de la Nation ("travail-mérite-pouvoir d'achat"). Faire un lien immigration - insécurité ou pointer le mauvais musulmans renforce le FN. Mais cette orientation ouvre le champ des possibles à Nicolas Sarkozy.

L'analyse est qu'en campagne le (la) candidat(e) socialiste ambigu(ë) sur la République et la laïcité, car porté comme aujourd'hui par un tropisme multiculturaliste et de droit à la différence, se coupera des catégories populaires et ne passera pas le second tour. Les droites gaullistes, humanistes et démo-chrétiennes et les principaux ténors de la majorité (hormis Jean-François Copé) sont, pour des raisons de valeurs, hostiles à cette orientation qui à terme préfigure un scénario à l'italienne, une alliance UMP-FN devenant tacitement ou explicitement nécessaire et possible. Ils comprennent également qu'en cas de duel Sarkozy/Le Pen en 2012, le pays contraint de voter Sarkozy pour des raisons républicaines s'en libèrera en votant majoritairement à gauche aux législatives.

La personnalité du candidat socialiste joue-t-elle ?

Oui. Nicolas Sarkozy n'est pas un doctrinaire. Il va voir comment le candidat socialiste se positionne sur la réforme et la république pour choisir définitivement sa stratégie. A l'issue du second tour, il va regarder déjà comment se sont comportés les électorats en présence de son orientation identitaire-nationale avec la fin du front républicain.