Pourquoi l'affaire DSK nous invite à changer de République

Dans le débat sur la vie privée, relancé par l'affaire Strauss-Kahn, inculpé pour le viol d'une femme de chambre à New York, les Français oublient souvent l'effet du fondement de leur vie politique : les institutions. Pourtant, la Ve République et sa personnalisation du pouvoir portent en germe la dérive actuelle.
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Un jour de février, 509 ans avant notre ère, Sextus Tarquin, fils du roi de Rome Tarquin le Superbe, surgit dans la demeure du noble Collatin et abusa par la violence de sa femme Lucrèce. Meurtrie, cette dernière se donne la mort quelques jours plus tard. Ôtant alors, selon le récit de Tite-Live, le poignard de son corps fumant, Lucius Brutus jure alors « d'abolir à tout jamais la monarchie ». Le drame privé était devenu une crise d'État qui finit par « rendre à Rome le nom de monarchie odieux », rappelle Plutarque. Instinctivement, le peuple romain ne fit aucune distinction entre le geste de Sextus et le régime personnel de son père. Ce dernier, nous dit encore Tite-Live, fut le premier à « gouverner avec des conseillers privés, sans demander l'avis du peuple et du Sénat ». La personnalisation du pouvoir, inédite jusqu'alors, avait conduit à ce que les actes privés du roi et des siens étaient devenus des actes politiques.

Deux millénaires et demi plus tard, la France peut à son tour ressentir ce fait : dans un régime poussé à l'extrême de sa personnalisation comme celui de la Ve République, la distinction entre vie privée et vie publique n'a guère de sens. Depuis qu'en 2001 a été instauré le quinquennat et, surtout, la préséance de l'élection présidentielle sur l'élection législative, le pouvoir exécutif n'est guère limité : le Parlement est une chambre d'enregistrement et il est loisible au président de « gouverner avec des conseillers privés ». Du reste, cette personnalisation, par le canal du scrutin majoritaire, irrigue l'ensemble de la vie politique française. Partout, il faut voter pour un homme, c'est-à-dire d'abord pour une apparence. Le début de la campagne présidentielle actuelle, qui s'annonce déjà comme l'une des plus déplorables que la République ait connue, n'a-t-il pas montré qu'un bon candidat doit renoncer à tout embonpoint pour convaincre les Français. Car, enfin, comment le peuple confierait-il son destin à un personnage légèrement enveloppé ?

Dans un tel système, rien n'est plus logique que la volonté du peuple d'en savoir le plus possible sur les hommes et les femmes qui sollicitent son suffrage. La vie privée d'un candidat est une part de sa personnalité et puisque celui qui deviendra le chef suprême n'aura guère de contre-pouvoirs en face de lui, il ne semble pas scandaleux que l'électeur en ait une connaissance exhaustive. Avant de donner des pouvoirs quasi illimités à un candidat, ne doit-on pas juger pleinement de son courage, de ses lâchetés, de ses forces et de ses faiblesses de caractère ? Si l'élection présidentielle est réellement, comme le prétendent les candidats, une « rencontre entre un homme et le pays », n'est-il pas légitime que le pays exige de l'homme qu'il se mette à nu ? Ne doit-on pas avoir connaissance de sa réalité intime pour faire contrepoids à la propagande de l'apparence ? L'examen de la vie privée devient alors une défense contre les stratégies publicitaires des candidats. Aussi pourra-t-on établir toutes les thèses savantes que l'on voudra sur la moralité, le respect de la vie privée ou la spécificité « latine » de la France, la logique des institutions de ce pays mène à un dévoilement de la vie privée des candidats à la fonction suprême, justement parce qu'elle n'a jamais été aussi suprême.

Le débat sur la vie privée ne doit donc pas faire l'impasse sur l'essentiel : la superstructure institutionnelle. Le peuple romain, après la mort de Lucrèce, ne voulut plus entendre parler de rois, il donna le pouvoir exécutif à deux consuls dont les pouvoirs, égaux entre eux, étaient surveillés et encadrés par le peuple, le Sénat et les tribuns. L'historien grec Polybe a fait de cette constitution la source de la conquête romaine du monde connu. Et pourtant, les consuls étaient élus chaque année. Mais la France est encore engluée dans la propagande gaulliste de l'après-guerre qui veut que, sans pouvoir personnel, l'État soit inefficace et décadent. Pourtant, c'est bien le régime parlementaire de la IIIe République qui parvint à redresser par deux fois, en 1871 et 1918, une France épuisée par la guerre. Malgré l'instabilité ministérielle chronique, malgré des scrutins de listes, malgré l'absence de pouvoir personnel ! Son échec de 1940 est militaire et moral plus que politique. Plutôt donc que de se lamenter sur les unes des médias consacrés aux historiettes érotiques des uns et des autres, les Français devraient donc s'interroger sur les institutions qui nous ont conduits à ces excès. Car Régime polyarchique ou parlementaire, les alternatives existent, que la France se soucie désormais d'abord de ses immenses défis économiques, sociaux et politiques.

Commentaires 40
à écrit le 28/10/2014 à 11:48
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Plus de parlementarisme sans mesure contre le carriérisme électoral ?

à écrit le 06/09/2011 à 16:37
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Tres beau recit. Effectivement, il doit y avoir une separation entre la vie privee et la vie publique. Seulement ici, j'ai bien peur que l'on ne s'egare un peu si l'on blanchi le comportement en sa basant sur une telle separation. Il s'agit la d'un h...

à écrit le 20/07/2011 à 15:59
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Cette analyse et les commentaires qui suivent ne me convainquent pas. DSK est un accident de parcours de nos institutions qui a explosé parce qu'il s'est produit à New-York. Le culte de la personnalité, le droit de cuissage et les privilèges que cert...

à écrit le 20/06/2011 à 16:04
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point de vue chirurgical parfaitement adapté à l'urgence de la situation socio-économique de la France dont les acteurs et institutions politiques actuels semblent rester les seuls obstacles au redressement, joints à l'imbécilité de la monnaie unique...

à écrit le 18/06/2011 à 9:43
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La dérive actuelle vient essentiellement du cumul des mandats, des strates administratives, du manque de culture politique des français. Le cumul des mandats, gele le pouvoir d'initiative des élus dans la mesure ou dès qu'ils sont élus, ils pensent d...

à écrit le 15/06/2011 à 8:47
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Cette affaire, ainsi que celleS de Chirac, nous invite SURTOUT à changer de présidence en 2012 !! RAS-LE-BOL des bonnets blancs et blancs bonnets (UMPS). Il est temps de voir autre chose.

le 15/06/2011 à 12:54
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une alternance est toujours souhaitable dans une démocratie ! notre société libérale radicale installée par Sarko va dans un mur ! voyez la Grèce et l'europe du sud qui peut suivre....

à écrit le 14/06/2011 à 15:12
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Il aurait fallu en parler à Michel Debré qui a rédigé la constitution de 1958 à la demande de De Gaulle.Je ne suis pas certain que ce journaliste en ait compris la portée.Les Français veulent un roi quitte à le guillotiner !

le 20/06/2011 à 16:20
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la dynamique des vengeances de foule - si bien assortie à la gouvernance par les rumeurs - reigne depuis les temps pré-historiques (c-f travaux de René GIRARD), et voici probablement venu le moment d'un virage responsable qui ne pourra se prendre qu'...

à écrit le 14/06/2011 à 13:10
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Nous sommes dans une dictature de la pensée (unique). Les médias ne nous aident Pas et nous troublent, concupiscents qu?ils sont du pouvoir politique. Notre monarchie Républicaine, par défaut d?humilité, se dirige tout droit vers le pouvoir absolu, s...

à écrit le 13/06/2011 à 21:02
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Le vrai problème ne serait-il pas ailleurs ? Certes, il est bien vrai que nous élisons peu ou prou des archétypes de despotes -et rarement éclairés, hélas!- Mais en fait, le début du drame est plutôt dans le fait que, une fois élus, ces despotes ent...

le 01/07/2011 à 9:55
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très fine analyse selon moi

le 01/07/2011 à 9:55
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tres fine analyse selon moi

à écrit le 13/06/2011 à 20:28
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Le vrai problème ne serait-il pas ailleurs ? Certes, il est bien vrai que nous élisons peu ou prou des archétypes de despotes -et rarement éclairés, hélas!- Mais en fait, le début du drame est plutôt dans le fait que, une fois élus, ces despotes ent...

à écrit le 13/06/2011 à 9:29
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Avant de voter, on pourrait faire appel à une boite de recrutement...test de personnalité, test QI, test logique etc...le rapport ainsi fait au Français par la boite de recrutement, les français pourrait avoir un choix plus éclairé...pas de campagne ...

à écrit le 12/06/2011 à 16:43
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Se carapater devant les Allemands et laisser le pays aux mains d'un vieillard, sous prétexte que jeune il fut un héros, c'est pas une décision politique ? C'est beau de faire référence à l'Histoire encore faut-il que cela ait un sens... La Vième répu...

le 14/06/2011 à 8:20
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ABSOLUMENT! Le fond du problème est le dysfonctionnement global des personnes censées être les garants; et contre cela aucune organisation ne fait face. C'est le même problème que la corruption, et cela en est une forme. Les députés, par la définit...

à écrit le 12/06/2011 à 15:37
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Vieilles lubies. Que l?État ait une ou plusieurs têtes, qu'elle soient grosses ou petites ne change rien à l'affaire. La politique est faite par les hommes. Tant qu'il en sera ainsi, ceux qui votent chercherons à savoir pour qui ils votent. Et merci ...

à écrit le 12/06/2011 à 12:29
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Critiquer ne change rien à l'affaire. Les choses sont comme elles sont et ça pourrait être bien pire. La France a connu son âge d'or sous la monarchie absolue et non sous la IIIe république donc les comparaisons irraisonnées sont à éviter.

à écrit le 12/06/2011 à 11:49
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en france c'est une royauté déguisée , avec profiteurs , courtisans et le roîtelet en prime

le 14/06/2011 à 6:16
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@pfffff, regarde le Maire d'un petit village, il n'en peu plus, il a des courtisans, les mouches!! et quand le responsable change, les mouches changent d'âne!!!!!!! comme dans l'entreprise!!!!!!!

le 14/06/2011 à 6:27
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@pfffffffffff Fonction importante = femmes+valets=coutisans ect!!!!!!!!!!!!!!!!!! les mouches!!!!et quand le titulaire de la fonction change, les mouches se dirigent sur le nouveau titulaire!!!!!!! depuis que le monde et monde!!!!!!!!!!!!!!!!!

à écrit le 11/06/2011 à 19:36
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Venant d'un capitalo-mondialiste en prise avec la justice, cette invitation nous rassure, la meilleure chance pour la France c'est de décrocher de cette Europe nauséabonde qui depuis des décennies apporte son malheur aux nations qui ont adhérés à ...

à écrit le 11/06/2011 à 18:04
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Bravo pour avoir osé penser cet article, osé l'écrire et osé le publier. Il ne reste (hélas) qu'à déciller les yeux du reste des Français.

à écrit le 11/06/2011 à 16:07
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Ce ne sont pas les institutions qui dérivent, mais les élites qui les dirigent. Arrêtons de vouloir changer toujours de régime en gardant les mêmes décideurs : ils sont incapables de penser autrement et proposent surtout de changer de régime pour gar...

le 11/06/2011 à 21:06
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Et accuser le "régime" revient à accuser le "système" et à nier les responsabilités individuelles. Comme c'est pratique et rassurant : la phrase "ça ne me ressemble pas" est l'expression même de cette imposture intellectuelle !

le 11/06/2011 à 21:54
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@ Britannicus: la responsabilité individuelle est toute de même fortement limitée par le fait que c'est toujours le combat du pot de fer contre le pot de terre. Essaie un peu de soumettre un problème à un député et t'auras de la chance si seulement i...

le 12/06/2011 à 10:14
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C'est bien ça : toujours les mêmes auxquels on s'adresse. Mais pourquoi toujours voter pour eux alors ? Un électeur n'est pas un "client", il peut voter pour un candidat différent à chaque élection. Essayez !

le 12/06/2011 à 14:51
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Votre commentaire est complètement contradictoire. Quand on parle de responsabilité individuelle, il ne s'agit pas de soumettre des demandes ou des suggestions à des députés ! Il s'agit dans votre vie quotidienne d'agir en accord avec vos discours po...

le 13/06/2011 à 16:27
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On s'éloigne tout de même de la question du changement de régime. Croyez-vous que la demande que vous avez adressée à des députés aurait été traitée autrement parce que l'on serait dans une 6ème République, ou dans la troisième ? Ou bien cela tient-i...

à écrit le 11/06/2011 à 14:45
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Tres bonne analyse.Quand va t on comprendre que notre démocratie ,a travers mille maux, est grignote chaque jour,et qu on s enfonce a travers une médiatisation excessive dans la mediocratie.

à écrit le 11/06/2011 à 11:05
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Excellent article !

à écrit le 11/06/2011 à 10:16
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Cette analyse est une démonstration claire et brillante de la dérive de nos institutions et de la nécessité que nous avons à les faire rapidement évoluer. Heureusement 2012 et l'isoloir sont à portée de main et que je sache , il y a un seul candidat ...

à écrit le 11/06/2011 à 9:12
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Ok avec cet article .Oui, ils veulent diriger par eux memes ,en minorité meme non élue ,donc il est normal que nous sachions Tout de leur vie ,car , les députés ,sénateurs ,ne jouent plus les modérateurs ,les décideurs ,ne fournissent plus les idées ...

à écrit le 11/06/2011 à 8:59
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Gardez la République et que nos dirigeants prennent exemple sur de Gaulle qui disait: "Etre insoupconnable, ce n'est pas seulement n'avoir pas commis de faute grave: c'est ne pas preter le flanc a un quelconque soupcon de defaillance"

à écrit le 11/06/2011 à 8:58
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En France et malgré la révolution, nous sommes maintenant revenu à un régime monarchique en pire.Pouvoir absolu d'un homme , députés aux ordres Sénat consulté mais impuissant.Médiatisation du chef, presse controlée etc Faut-il être optimiste et réve...

le 11/06/2011 à 16:05
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attention une telle analyse serat peine d'emprisonnement avec le pouvoir actuel quand nos jeunes vont reagir il serat trop tard,il seront ecrassé par les milices du pouvoir

le 11/06/2011 à 22:02
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@ Monarchie: c'est le culte de la personnal.ité qui a amené Staline au pouvoir et a permis toutes les exactions qui ont suivi que tu décris. Et je suis tout à fait d'accord depuis longtemps déjà. La France est un pays dangereux à moyen-long terme !!!

le 13/06/2011 à 9:39
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Je ne vois pas ce qui empêche le Sénat de s'opposer aux décisions du gouvernement dans nos institutions. Il me semble que nos sénateurs ont toujours le droit de voter les lois. S'ils refusent et que nos parlementaires sont réunis en assemblée pléniè...

le 13/06/2011 à 16:32
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En fait, le Sénat est privé de pouvoir, le gouvernement ayant le droit de donner le dernier mot à l'Assemblée Nationale. Il peut donc surtout gagner du temps, retarder les échéances, et offrir des sinécures. On pourrait supprimer le Sénat sans mettre...

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