La carpe et le lapin

Selon un accord en vigueur jusqu'au mois de janvier dernier, le deal était le suivant. Les systèmes d'exploitation de Microsoft, toujours en situation de quasi-monopole sur les quelques 130 millions de PC qui se vendent chaque année, offrent un niveau élevé de compatibilité avec le service AOL (à commencer par la présence automatique d'une icône AOL au bas de l'écran, sur la « barre des tâches » dès que le logiciel d'America Online est installé). En échange, les trente millions d'abonnés d'AOL accèdent à Internet grâce à Explorer, le navigateur de Microsoft.Bref, l'un et l'autre ont intérêt à voir se poursuivre cet échange de bons procédés. Mais quelques sérieux obstacles sont venus compliquer leurs discussions. Le premier : le principal concurrent d'Explorer, le navigateur Netscape, appartient désormais à... America Online. Et c'est pour une large part le comportement très agressif de Microsoft dans l'intégration d'Explorer à ses logiciels, au détriment de Netscape, qui a valu au groupe dirigé par Bill Gates un procès antitrust qui s'est soldé l'an dernier par un verdict ordonnant, provisoirement au moins, son éclatement en deux.America Online a donc de solides raisons de vouloir réintégrer Netscape à ses propres logiciels. Mais, dans cette hypothèse, rien n'interdit à Microsoft de traîner les pieds s'agissant de la fonctionnalité d'AOL sur Windows XP, le prochain système d'exploitation qui sera lancé en octobre prochain. Pour tout arranger, les deux groupes sont en situation de guerre ouverte sur d'autres territoires, comme celui des messageries instantanées, un marché stratégique aujourd'hui largement dominé par AOL. Microsoft s'est allié à des partenaires tels que AT&T et Excite@Home pour offrir un service concurrent, mais celui-ci n'aura d'avenir que s'il est compatible avec AOL, ce qui n'est toujours par le cas.Cette partie de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » n'est donc pas près de s'achever. Car au fond, Microsoft et AOL courent aujourd'hui après le même objectif - une position dominante sur le trafic et l'utilisation d'Internet - malgré des positions de départ très différentes - des logiciels d'ordinateurs de bureau d'un côté, un service en ligne captif destiné aux particuliers de l'autre. Bill Gates doit sans doute se mordre les doigts d'avoir à ce point sous estimé Steve Case, désormais président d'AOL Time Warner. « Je peux vous racheter ou je peux vous enterrer, » avait dit le premier au second, alors patron d'un modeste service en ligne en quête de partenaires.Au lieu de cela, Microsoft et AOL font un peu penser à la carpe et au lapin. Non que l'on doive s'attendre à la voir se marier bientôt. Mais ces deux animaux si différents paraissent bel et bien condamnés à vivre ensemble.
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