"Le délabrement du lien social en France est impressionnant"

latribune.fr : Comment expliquez-vous les tensions sociales actuelles (agriculteurs, routiers, cheminots...) ?Hubert Landier : Le gouvernement s'est abstenu jusqu'à présent de traiter les dossiers conflictuels que sont par exemple les questions relatives aux retraites, à la Sécurité sociale, au fonctionnement de l'Etat ou à la représentativité syndicale. Sans doute par crainte de voir se reproduire une crise sociale comme celle de 1995, il n'a pris que des mesures minimales, avec le risque de décevoir ou de susciter le mécontentement aussi bien des syndicats que du patronat. Mais avec une telle politique, que l'on pourrait résumer par une consigne simple, "ne pas faire de vagues", le gouvernement Raffarin risque vite d'entamer sa crédibilité. L'année prochaine, lorsqu'il lui faudra traiter les problèmes graves et sensibles comme les retraites, son autorité risque de se trouver fortement réduite par l'usure du pouvoir; on pourrait alors assister à une crise politique et sociale susceptible de déboucher sur un changement de gouvernement. Cela m'étonnerait que le Président de la République et le ministre de l'Intérieur n'y aient pas déjà pensé.latribune.fr : Peut-on parler de "troisième tour social" à l'occasion des conflits en cours ?Non, il s'agit d'une période tendue mais il n'est pas certain que l'embrasement soit général. Néanmoins, les difficultés actuelles sont inquiétantes pour l'avenir. Au vu de ce qui se passe aujourd'hui, on est fondé à s'interroger sur ce qui se passera quand on abordera les questions qui fâchent. En fait, à l'heure actuelle, en France, les canaux institutionnels de régulation ne fonctionnent plus correctement. Partis politiques et structures syndicales ont cessé d'exprimer correctement les réactions de leurs mandants; ils évoluent dans leur bulle et se révèlent peu aptes à comprendre le foisonnement de la société civile. D'où l'apparition de nouveaux venus, comme les syndicats SUD ou le mouvement anti-mondialiste. Le délabrement du lien social dans notre pays est impressionnant : dans beaucoup d'entreprises, on ne se parle plus ; la distance sociale s'est accrue entre le manager, qui a une image de "financier apatride", et des salariés sur le terrain, encore ancrés dans une culture hexagonale. latribune.fr : Pourquoi ne parvient-on pas à régler les conflits en France autrement que par le blocage ?Contrairement à ses voisins, la France a une tradition d'affrontement. Pour se faire entendre, les voies utilisées ont souvent été celles de la révolte, de la jacquerie. De plus, les effets de la mondialisation provoquent une peur du changement. Dans des professions comme celles des routiers ou des agriculteurs, les dispositions communautaires, jointes au jeu du marché, créent de sérieux problèmes. Prenons le cas des routiers. Contrairement au passé, ils sont de moins en moins autonomes, de plus en plus dépendants de rythmes imposés. Le "roi de la route" laisse place à une nouvelle génération de conducteurs qui vivent mal les changements en cours et qui se tournent par conséquent vers l'action collective, comme en témoigne l'augmentation du taux de syndicalisation parmi eux. Or les problèmes de ce secteur sont complexes : on y trouve tous les ingrédients d'une véritable cacophonie. La réglementation (qui est très compliquée) n'est pas appliquée, les syndicats se sont renforcés et le patronat est divisé. Tout cela place le gouvernement dans une situation inconfortable, coincé entre une économie encore très administrée et une vision libérale de la société.
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