Le bon départ de Xbox Live ne garantit pas son succès économique

On a beau retourner les chiffres dans tous les sens, il faut bien avouer que les débuts de Xbox Live, le kit de connexion qui permet d'utiliser la console de jeu de Microsoft pour jouer en ligne sur Internet, rabattent au moins provisoirement le caquet de tous les sceptiques. Aux Etats-Unis, pas moins de 150.000 kits ont été écoulés en quelques jours contre 100.000 attendus par le géant du logiciel. "Cinq millions de parties ont été jouées, ce qui représente un million d'heures de jeu", renforce David Dufour, responsable marketing produit chez Microsoft France. Un succès qui fait écho à celui de Sony, puisque le créateur de la PS2 comptabilise actuellement 175.000 joueurs "réguliers", sur sa version en ligne lancée en septembre.En Europe, où le lancement de Xbox Live est prévu pour le printemps prochain, le décollage devrait être moins fort. En effet, le haut débit est encore marginal dans l'accès Internet. "En Europe, le taux de pénétration est de 6%, moitié moins qu'aux Etats-Unis", explique Paul Jackson, analyste chez Forrester Research. Optimisme de rigueurPeu importe. Chez Microsoft, l'optimisme est de rigueur. Car l'enjeu est de taille et la course encore longue. "Nous visons quelques dizaines de milliers d'abonnés en juin 2003, quelques centaines de milliers en juin 2004, et quelques millions un an plus tard", résume David Dufour. Xbox Live, destiné au marché de masse du jeu, est donc censé accélérer la croissance des ventes de consoles, qui ne sont guère brillantes pour l'instant.Fabricant et éditeurs y croient beaucoup. "Il faut bien se rappeler que 70% des jeux sur PC sont multijoueurs, même si seulement de 20 à 25% des joueurs se servent de cette fonction. Ce phénomène arrive donc sur console", avance Yves Guillemot, le patron d'Ubi Soft, qui a ses arguments. La société a lancé deux jeux sur Xbox Live. Le premier, Ghost Recon, un jeu multijoueurs pour la première fois sur console, est déjà numéro quatre des ventes de jeux Xbox aux Etats-Unis. Le second, Splinter Cell, est censé "devenir numéro un des ventes d'ici la fin de l'année", espère Yves Guillemot. D'ailleurs, à moyen terme, 50% des 200 jeux d'Ubi Soft seront online. Entendez que l'on pourra y jouer à plusieurs ou bien télécharger des éléments supplémentaires à partir du Web. "Dans ce cas le jeu dure plus longtemps", explique le patron de l'éditeur, qui va bientôt sortir XIII et Raven Shield, déjà disponibles sur PC. "Le jeu en ligne sur console a un avenir de masse une fois que les gens seront connectés. Il a déjà une part de marché de 20 à 25% sur PC, ce qui est énorme. Le live est une raison d'acquisition supplémentaire de la console", assure-t-il.Concurrence acharnéeUn point de vue jugé pourtant bien optimiste par certains observateurs. "Le jeu en ligne, qui coûte cher, sera en concurrence directe avec d'autres loisirs et il n'y a qu'un million de personnes dans le monde qui ont le jeu vidéo comme premier loisir. Et puis il y a forcément une barrière en terme de goûts", tempère Laurent Michaud, consultant à l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (l'Idate). "Dans un premier temps, seuls ceux qui ont déjà joué en ligne sur PC opteront pour le jeu en ligne. Xbox Live ne poussera pas les ventes", renchérit Paul Jackson, qui n'entrevoit pas de véritable décollage avant 2004-2005, moment à partir duquel Xbox Live serait rentabilisé.S'il n'est pas destiné au marché de masse, le service Xbox Live a plutôt été conçu pour créer des sources de revenus supplémentaires et récurrentes. Microsoft espèrerait avant tout générer des abonnements à sa plate-forme et partager les revenus avec les fournisseurs de contenus. "L'abonnement de base devrait être de 25 à 30 euros par an, sans compter les services supplémentaires. Mais tout ça ne se mettra pas en place avant cinq ans et les nouvelles générations de console", avance Paul Jackson.En attendant, les pertes s'accumulent. Bien que le fabricant de la Xbox reste résolument muet sur le nombre de machines écoulées, des chiffres circulent dans l'industrie. "Sept millions de consoles devraient avoir été écoulées en fin d'année, contre 10 millions de GameCube pour Nintendo et plus de 40 millions de PS2", estime Laurent Michaud. En août dernier, il y avait 4,8 millions de GameCube installées dans les foyers contre 3,8 millions seulement de Xbox, selon une étude menée par Ziff Davis Media Group, et ce alors que Microsoft visait encore entre 4,5 et 6 millions de machines vendues... entre janvier et juin 2002. Sous la pression de Sony, le constructeur a déjà pourtant largement baissé les prix. C'est donc un euphémisme de dire qu'il est en retard sur ses objectifs.Pour certains, il est déjà trop tard : Microsoft, qui aura payé 2 milliards de dollars pour entrer sur le marché, ne rentrera jamais dans ses frais. "Il faut vendre 20 millions d'unités pour rentabiliser une console sur son cycle de vie qui est en général de cinq à six ans. Cela sera donc difficile pour Microsoft, vu la concurrence acharnée des autres fabricants. Sony va sûrement baisser à nouveau les prix et Microsoft sera obligé de suivre", prévoit Laurent Michaud. Le fabricant perdrait encore aujourd'hui 120 dollars par console vendue, et la perte trimestrielle de sa division Home & Entertainment totalisait 177 millions de dollars pour un chiffre d'affaires de 505 millions. Qui s'en soucie? Le numéro un mondial du logiciel, qui réalise 85% de marge sur Windows, l'a dit : dans le jeu vidéo, il est là pour 25 ans.
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