Coquille vide

Il aura fallu six ans pour que le mythe s'effondre totalement. La France, à l'unisson de l'Union européenne, avait libéralisé le secteur des télécommunications au milieu des années 90, en reprenant le vocable de "service universel" pour remplacer celui de "service public". Il s'agissait à l'époque de ne pas effrayer les défenseurs du service public, inquiets qu'une ouverture totale à la concurrence du secteur fasse, entre autre, disparaître la péréquation tarifaire permettant l'égalité d'accès au téléphone. En droit communautaire, le service universel, c'est l'assurance de pouvoir disposer, en tout point du territoire et à un prix abordable, des prestations de base en matière de téléphonie. Mais, comme il était difficile en France de ne pas y voir une conception restrictive et minimaliste du service public, le gouvernement Juppé de l'époque avait mis au point un dispositif plus ambitieux qu'ailleurs en Europe pour faire accepter aux syndicats et à des parlementaires sceptiques, de droite comme de gauche, une libéralisation "à la française" des télécoms.Pour que France Télécom partiellement privatisé continue d'assurer la péréquation tarifaire, la couverture du territoire en cabines téléphoniques, ou encore la disponibilité de tarifs sociaux pour les ménages défavorisés, un fonds de service universel avait donc été constitué, prévu pour atteindre 900 millions d'euros. Il était financé par une taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs privés, calculée sur la base de leur trafic d'interconnexion avec le réseau de l'opérateur historique. En somme, les obligations de service public de France Télécom devaient être financées par ses concurrents.Immédiatement, le dispositif avait déclenché la fureur des opérateurs privés. Au terme d'un lobbying intense, ils avaient rapidement obtenu que l'enveloppe soit divisée par trois. Mais, surtout, ils avaient saisi la justice communautaire qui, en 2001, avait fini par condamner le dispositif de financement "à la française" du service universel parce qu'il entraîne une distorsion de la concurrence. Depuis, la plupart des opérateurs privés font la grève du paiement, de sorte qu'au-delà de ses modalités de financement en France, c'est l'idée même de service universel qui a fini par devenir une coquille vide.D'abord, il avait vocation à évoluer avec les technologies. Or, depuis 1996, son contenu n'a jamais été révisé. Il ne concerne toujours que la téléphonie fixe, quand Internet ou la téléphonie mobile sont devenus des services essentiels. Ensuite, le service universel n'a pas empêché que dans plusieurs pays dont la France, les tarifs de l'abonnement au téléphone n'augmentent. Malgré les vertus supposées de la concurrence en matière de baisse des tarifs de communications, les ménages les moins favorisés, peu consommateurs, ont vu leur facture flamber avec l'abonnement. Enfin, la fracture numérique entre régions riches et pauvres n'a cessé de se creuser.Début novembre, le Conseil d'Etat n'a donc porté qu'un coup supplémentaire au dispositif en donnant raison au fournisseur d'accès à Internet Tiscali. Payer les plus de 3 millions d'euros réclamés par le régulateur l'aurait fragilisé financièrement. L'affaire, jugée en référé, doit encore être abordée au fond. Elle pourrait aboutir à dispenser de paiement les autres opérateurs privés qui tous peuvent arguer d'une situation financière difficile pour le secteur des télécoms. Cela montre le besoin urgent d'une réforme que le gouvernement doit boucler l'an prochain. Avec la tâche ardue, si ce n'est impossible, de combiner obligations de service public et concurrence. Au vu de l'actualité autour d'EDF et GDF, c'est même presque un test.
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