La science au secret

Le grand nettoyage a commencé depuis un mois. Sur les sites des agences fédérales et des départements d'Etat, plus de 6.600 documents techniques -certains récents, certains datant carrément des années 1940 - ont été retirés de la consultation publique par l'Administration américaine. Motif : ils traitent, de près ou de loin, de la production des armes de destruction massive, les fameuses "NBC" (nucléaire, bactériologique et chimique), ou de leurs éléments constitutifs (virus, matériel radioactif...). Dans une interview au New York Times qui a révélé l'affaire, Tom Ridge, directeur de la sécurité intérieure, a justifié cette action par la crainte que des terroristes puissent utiliser "l'information que notre pays produit contre nous". Et ajouté que l'Administration Bush travaillait sur un nouveau texte réglementaire à ce sujet en collaboration avec l'Académie nationale des Sciences.D'ores et déjà, Washington a demandé à l'American Society of Microbiology de limiter la publication d'informations potentiellement dangereuses dans les 11 journaux scientifiques publiés par cette prestigieuse association. Plus précisément, il s'agit d'éliminer des passages entiers d'articles où, comme il est d'usage dans ce genre de revue, les auteurs expliquent par le menu comment ils sont arrivés au résultat final en donnant tous les détails de leurs expérimentations. Sans ces indications, garantes du travail original et du sérieux d'un chercheur, pas de "papier" scientifique digne de ce nom. On comprend, dès lors, la colère qui monte dans les labos américains. Bloquer le libre accès aux données, c'est tout bonnement empêcher les scientifiques de faire leur métier : se saisir d'une découverte d'un confrère, la refaire dans les exactes conditions d'origine et publier les résultats constitue un processus essentiel à la validation d'une découverte. En outre, la discussion ouverte entre collègues est souvent productrice d'améliorations, de solutions qui font avancer la connaissance dans tel ou tel domaine. En biologie, par exemple, on pourrait s'effrayer de voir publier une étude sur les possibilités de manipulations génétiques du virus de la variole, quand on sait qu'il pourrait être utilisé comme arme bactériologique (Témoin les recherches effectuées par l'ancienne URSS et peut-être par l'Irak). Il ne s'agit pas là de fantasmes : un laboratoire bien outillé est capable de reconstruire un virus à partir de sa séquence génétique publiée. Mais si l'on choisit l'option du secret, il faut être conscient que l'on s'interdira de travailler sur des vaccins et des futures thérapies contre de telles maladies mortelles. Alors, le risque sera grand de passer à côté d'une découverte importante pour la santé humaine... A moins que cela ne permette aux Européens ou aux Japonais de doubler au poteau les chercheurs américains !Retrouvez l'actualité technologique tous les mercredis dans "La Tribune de l'Innovation", édition papier.
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