La "Net-campagne" française loin des usages anglo-saxons

"En 2002", déclarait René Monory à La Tribune il y a cinq ans, "chaque candidat à l'élection présidentielle aura son équipe spécialisée pour Internet. Celui qui saura le mieux se débrouiller avec le réseau sera élu". Cette dernière prophétie, rappelée par François Fréby, président de l'Observatoire de la Net-Campagne lors d'une table ronde lors du récent Forum mondial de la démocratie électronique d'Issy-les-Moulineaux, se vérifiera-t-elle le 5 mai au soir ? Pas sûr. Car si tous les candidats se sont assurés une présence sur Internet depuis plusieurs mois, le fossé reste énorme quant l'on observe l'usage du Web par les grands partis anglo-saxons. C'est ce qu'ont mis en évidence les témoignages apportés à Issy-les-Moulineaux par Ben Green, le directeur des opérations Internet durant la campagne présidentielle d'Al Gore aux Etats-Unis en 2000, et par Kate McCarthy, qui a orchestré la "e-campagne" du Labour britannique l'an dernier.Même si les moyens engagés - plafonnement des dépenses oblige - et l'audience potentielle ne sont pas à la hauteur de ceux sur lesquels ont pu compter Al Gore et Tony Blair, le Web aura néanmoins accompli une percée à l'occasion de cette campagne. "En 1995, les outils étaient balbutiants et les internautes trop peu nombreux", rappelle Thierry Vedel, chercheur au Cevipof (Centre d'études de la vie politique française). "En 1997, la campagne était très courte et les partis n'ont pas eu le temps de s'organiser ; et en 2001, pour les municipales, la législation a limité les budgets". Les seize candidats à l'Elysée ont donc encore en grande partie essuyé les plâtres. Avec des ambitions, il est vrai, plus que variables. Si le site d'Arlette Laguiller est avant tout un "super agenda" recensant meetings et interventions dans les médias, la plupart des "grands" et "moyens candidats" ont visiblement travaillé la richesse du contenu, incluant vidéos, matériel de campagne à destination des militants et sympathisants, voire extranet pour l'équipe de Jacques Chirac. Le tout pour une audience encore difficile à chiffrer. Thierry Vedel estime entre 300 et 400.000 le nombre des électeurs ayant consulté au moins un site de candidat au cours de la campagne. Soit 1% de l'électorat. Mais si les sites Web constituent la base d'une stratégie de communication électorale interactive, voire d'animation des réseaux de militants et sympathisants, l'essentiel d'une "Net-campagne" se déroule ailleurs : dans la messagerie électronique. "Ce sont les listes de diffusion, pas le site Web AlGore.com qui a joué le premier rôle en 2000", souligne Ben Green. Utilisant des outils de marketing professionnel (notamment le logiciel CheetahMail), son équipe a notamment multiplié les mailings ciblés en constituant des groupes de destinataires par centre d'intérêts. Autre principe de base : un site Web, rappellent les deux "experts" anglo-saxons sert à gagner des voix, à recruter des militants et sympathisants volontaires pour participer à la campagne, mais aussi à récolter des fonds. Car le nerf de la guerre passe aussi par Internet. Ben Green estime que la Net-campagne d'Al Gore a coûté entre 1 et 1,2 million de dollars et qu'elle en a rapporté trois fois plus. Pour sa part, Kate McCarthy a dépensé 100.000 livres (163.000 euros) en un an pour construire et animer la Net-campagne du Labour.En comparaison, les webmasters des candidats français se sont sans doute senti à l'étroit. "Tous les webmasters ont les mêmes problèmes de budget et de connexion à la campagne réelle", souligne Fabrice Chaillou, webmaster du site de Robert Hue. Une faiblesse de moyens qui ne lui a même pas permis de répondre aux 1.500 questions posées par les internautes sur le site. Un constat confirmé par Thierry Vedel : "ce sont les candidats des grands partis qui utilisent le plus le Web et ses infrastructures". Dernier fossé à combler par rapport aux Net-campagnes américaines et britanniques : l'interdiction de la publicité politique en France s'applique aussi sur Internet. Pas question, donc, de multiplier les "bannières" et les "pop-up" à la gloire de tel ou tel candidat. Al Gore, lui, avait dépensé plusieurs centaines de milliers de dollars en achats d'espaces sur Internet au cours des derniers jours avant l'élection.
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