Carrefour le mal aimé

La récente publication du chiffre d'affaires semestriel de Carrefour constitue une bonne illustration de l'état d'esprit des marchés vis-à-vis de la valeur: suite à la publication de ses chiffres pourtant globalement en ligne, l'action a perdu 9%, reculant de 12% en une semaine...Le numéro deux mondial de la distribution a donc bel et bien perdu son attrait auprès des investisseurs. Habitués à ce que le groupe de Daniel Bernard affiche des croissances de ses résultats de l'ordre de 20% par an, ils boudent désormais la société, qui affiche des objectifs très prudents pour 2002. Jusqu'en 1999, Carrefour faisait figure de valeur extrêmement fiable. "Ne vendez jamais Carrefour, vous rachèteriez plus cher", affirmait ainsi un certain dicton rapporté par le Journal des Finances (12 janvier 2002). De fait, de 1990 à 1999 le cours de l'action a été multiplié par 10.Déception amoureuseCet âge d'or boursier s'est terminé avec la fusion avec le groupe Promodès à l'automne 1999. Si le groupe a gardé le nom de Carrefour, la culture du nouveau géant a été bouleversée au contact des pratiques de Promodès, dont les anciens dirigeants, la famille Halley, sont devenus les premiers actionnaires de Carrefour. Des tensions managériales et culturelles en ont résulté. Le nouveau groupe a été amené à abaisser ses objectifs de croissance, ce qui a fini par miner la confiance des investisseurs, qui ont eu le sentiment que Carrefour ne digérait pas bien la fusion historique. Daniel Bernard est ainsi revenu en 2001 sur les promesses faites à l'occasion de la fusion : doubler le bénéfice net en 3 ans, soit une croissance de 26% par an du bénéfice à taux de change et intérêts constants. Le PDG ne table plus que sur une croissance de 10 à 15% pour 2002.Les difficultés de gestion du nouveau groupe sont en outre doublées d'inquiétudes conjoncturelles fortes. La plus importante reste son exposition en Amérique Latine, et plus précisément en Argentine.Longtemps, la course à l'internationalisation est apparue comme un point positif alors que les marchés émergents constituaient un nouveau relais de croissance. Aujourd'hui, le temps est loin où Carrefour se vantait d'être le numéro un en Argentine. Deuxième groupe mondial de distribution, de loin le plus internationalisé avec une présence dans 30 pays, ce qui a longtemps semblé une force peut maintenant constituer une faiblesse pour le groupe. Les résultats deviennent volatils dans des zones qui jusqu'ici assuraient une hausse régulière de leur rentabilité. Enfin, alors que c'est le marché asiatique qui fait aujourd'hui figure de nouvel eldorado après l'Amérique Latine, Carrefour a récemment rencontré des difficultés dans son implantation en Chine (voir ci-contre). Autre motif de crainte, la conjoncture de la consommation. Ainsi les ventes des hypermarchés ont-elles reculé en France de 3,0% et celles des supermarchés de 2,8% en juin 2002 par rapport au même mois de l'année dernière, selon l'indice de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). Pour UBS Warburg, les objectifs de Carrefour, même revus à la baisse semblent "difficilement réalisables, compte tenu d'une consommation plutôt faible, et sachant que l'inflation des prix des produits alimentaires a marqué le pas." Enfin, il faut tenir compte des inquiétudes liées à la stratégie tous azimuts de Carrefour : son expansion lui a coûté cher en termes d'endettement, comme le rappelle l'analyste de chez Fortis: "le gearing de Carrefour (taux d'endettement) était de plus de 120% fin 2000". La course à la taille a pesé sur les finances du groupe. En trois ans, Daniel Bernard a ainsi dépensé 13,2 milliards d'euros.De plus, la fusion avec Promodès a privilégié les formats "hypermarchés" et "supermarchés", juste au moment où se développaient les tendances du discount et du commerce de proximité. Sur ces créneaux, le concurrent Casino semble maintenant mieux positionné.David contre GoliathOn ne peut en effet porter de jugement sur le "Goliath" Carrefour sans le replacer dans le contexte de sa concurrence avec le "David" Casino. Moins endetté (gearing de 70%), ce dernier groupe est solide dans les hypers et supermarchés (Géant, Cora, Casino) et bien placé sur le discount et la proximité (Franprix, Monoprix, Leader Price). L'acquisition du n°2 hollandais Laurus a montré aux marchés la volonté de Casino de combler son retard en Europe, même s'il ne rattrapera jamais Carrefour en matière d'internationalisation. Casino est plus exposé en Amérique Latine (20% de son CA contre 12% pour Carrefour en 2001) mais beaucoup moins en Argentine (3,5% du marché contre 30%) et ses magasins "font mieux que l'ensemble de la profession", explique Fortis. Avec le dernier chiffre d'affaire semestriel publié par Carrefour (lire ci-contre), la valeur a été attaquée en Bourse. Les marchés estiment maintenant que le groupe atteindra tout juste la fourchette basse de ses objectifs 2002. Les opérateurs ont plutôt tendance à arbitrer en faveur de Casino. Tout se passe comme si le groupe de Daniel Bernard était tout simplement "passé de mode".L'action Carrefour peut-elle redevenir la valeur défensive et "père de famille" qu'elle était naguère ? Pour 2002, Daniel Bernard a choisi de se concentrer sur la croissance organique, en investissant 3 milliards d'euros pour gagner des parts de marchés dans le monde entier. Pour ce faire, il privilégie les formats de discount et de supermarchés. Ainsi Carrefour devrait ouvrir plusieurs discounts en Chine sous enseigne DIA à la fin de l'année. Au total, le groupe prévoit d'ouvrir 25 hypers, 45 supers et 100 maxidiscounts au second semestre de l'exercice. Les marchés semblent par ailleurs vite oublier que les ventes de Carrefour ont longtemps surperformé la moyenne de son industrie. Ainsi pendant 7 mois consécutifs, les ventes des hypermarchés français du groupe ont été supérieures à la moyenne du secteur calculée par la FCD, avant de se replier au mois de juin."Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel"Au cours actuel, la capitalisation boursière de Carrefour de 33 milliards d'euros est inférieure à ses niveaux d'avant la fusion (36 milliards d'euros en septembre 1999) alors que, dans l'intervalle, le groupe a doublé de taille ! L'irrationalité actuelle des marchés conduit à privilégier le court terme, sans voir les efforts entrepris par le groupe pour redresser la barre: maîtrise des coûts, réduction de l'endettement (le gearing devrait être ramené à 90% en 2002), maintien des parts de marché, politique aggressive de prix en Europe, accroissement du retour sur investissement.Fideuram Wargny a tout récemment maintenu son opinion positive sur Carrefour, jugeant que, même dans un environnement économique difficile, l'objectif fixé par le groupe paraît ambitieux mais réalisable.Cependant, la plupart des analystes sont d'accord pour considérer l'année 2002 comme un cycle de transition. Carrefour doit finir de digérer l'opération Promodès dans une conjoncture instable avant de retrouver les capacités de développement qui ont fait sa gloire. Avec un PE estimé pour 2003 à 20,9 (consensus IBES-Bloomberg) contre 16,3 pour Casino et 8,4 pour le néerlandais Ahold, Carrefour est encore, malgré la désaffection récente des investisseurs, la valeur européenne la plus chère du secteur. Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, affirme le dicton boursier. Carrefour a peut-être atteint son apogée lors de la fusion avec Promodès. Avant de repartir en hausse durable, l'action devra sans doute attendre de longs mois.Pierre de BeauvilléLe numéro 2 mondial de la distributionChiffre d'affaires 2001: 69,5 milliards d'eurosRésultat net courant part du groupe 2001: 1,2 milliard d'eurosCapitalisation boursière: 33,7 milliards d'eurosEffectifs: 383.0000 personnesParc de magasins (avril 2002): 9.300Enseignes: Carrefour, Champion, Dia, Shopi, 8 à huit, Proxi, Ed, Promocash, Norte, Oosho
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