Faut-il avoir peur de la déflation ?

Hormis, précisément, le Japon empêtré dans une spirale déflationniste destructrice, le FMI n'a à dire vrai diagnostiqué pour l'instant qu'un grand malade guetté par la déflation : l'Allemagne. La première économie de la zone euro paraît effectivement sérieusement menacée par ce phénomène caractérisé par un mouvement généralisé et auto-entretenu de baisses des prix et de la demande. Les dernières statistiques provenant d'outre-Rhin ne sont à cet égard guère encourageantes : les prix à la consommation de mai (-0,2%) ont confirmé le ralentissement de l'inflation amorcé en avril (-0,3%). Sur un an, les prix n'affichent plus qu'une progression de 0,7%. Des chiffres qui font dire à Philippe Waechter, directeur des études économiques chez Natexis Asset Management, que "l'Allemagne n'est pas en déflation comme le Japon mais elle est limite". Et d'expliquer: "il n'y a pas d'incitation à tirer les prix vers le haut et à cela s'ajoute le choc négatif du prix des matières premières". L'Allemagne aurait donc presque un pied en déflation, c'est en tout cas le sentiment du président de la Banque centrale du Luxembourg, Yves Mersch, selon qui "il est tout à fait possible que l'Allemagne soit touchée par la déflation au cours des douze prochains mois". Ce membre du directoire de la Banque centrale européenne s'est empressé d'ajouter que cette éventuelle déflation "ne serait que passagère". Croissance nulleHervé Gouletquer, chef économiste au Crédit Lyonnais, est moins catégorique. Selon lui, "le problème de l'Allemagne est moins la déflation que la récession". Le moteur de la croissance allemande, à savoir les exportations, est en panne mais il estime que "si les Etats-Unis redémarrent, alors l'Allemagne repartira et on oubliera les discours sur la déflation". Malgré tout, l'économie allemande présente certains des traits caractéristiques d'une économie en quasi déflation : croissance nulle de l'activité voire récession, secteur bancaire exposé à la montée des créances douteuses, fragilité financière des bilans des entreprises, marché d'actions mal orienté, montée des déficits publics, taux d'intérêts très bas... Il ne manque plus que la variable prix pour que le tableau soit complet. Dans ce contexte, quid d'une contagion du risque allemand au reste de la zone euro ? Si Hervé Gouletquer note que "si les prix baissent en Allemagne, cela pourrait faire mal", il souligne également que "les prix allemands sont globalement plus élevés qu'ailleurs en Europe", ce qui laisse une certaine marge. En tout état de cause, si le taux d'inflation baisse trop vite la Banque centrale européenne agira. Les marchés parient d'ailleurs sur une baisse du loyer de l'argent dès le mois de juin. Reste à savoir quelle sera l'efficacité de cette action. Sur ce point Philippe Waechter, ne se fait guère d'illusions : "on voit déjà qu'il ne manque pas de liquidités dans le circuit économique", dit-il. Pour lui, on observe une aversion très forte sur le risque et personne n'a vraiment envie de consommer. Ces anticipations, paralysantes pour la demande, sont malsaines et font dire au directeur de Natexis Asset Management qu'"on ne peut traiter par le mépris" le risque d'une déflation dans la zone euro. "Bavardage irresponsable"Alors que les indicateurs de la demande dans la zone euro (consommation, salaires, évolution des crédits) passent progressivement à l'orange, certains dans la zone s'emploient à rassurer les acteurs économiques ou dénoncent, comme l'a fait Hans Eichel, le ministre allemand des Finances, "le bavardage" autour de la déflation, le jugeant "irresponsable". Curieusement, le ton est bien différent aux Etats-Unis. Tout en le jugeant minime, la Réserve fédérale (Fed) a admis le risque de la déflation pour la première économie du monde. Cette question a d'ailleurs fait irruption dans le débat économique outre-Atlantique dès novembre dernier, quand le gouverneur de la Fed, Ben Bernanke, a énuméré les outils dont disposaient les autorités monétaires américaines pour prévenir ce fléau. Depuis, régulièrement, le sujet est évoqué plus ou moins explicitement par le président de la Fed, Alan Greenspan, et les économistes multiplient les spéculations. Contre-feuRichard Berner chez Morgan Stanley a relevé son estimation de la probabilité de voir les Etats-Unis touchés par la déflation cette année de 15 à 25%. Sans donner de chiffres, Véronique Riches-Flores, chef économiste Europe à la Société Générale Corporate & Investment Banking, juge "fondées" les craintes d'une déflation aux Etats-Unis. Selon elle, "le risque est bien réel" et elle appuie son analyse sur des facteurs internationaux: la "léthargie de la croissance mondiale, la guerre des prix" et le fait que la baisse du dollar ne provoque aucun renchérissement des importations. Des facteurs intérieurs sont également à prendre en compte: "ressorts de la demande domestiques saturés", "bulle d'endettement des ménages" qui menace dans son sillage l'activité immobilière"...Comme le FMI, Philippe Waechter et Hervé Gouletquer sont pour leur part plus mesurés. Même si la situation est délicate, "les salaires progressent toujours et les prix des matières premières montent en dollars", souligne le premier. Quant au deuxième, il estime que les Etats-Unis, avec une politique monétaire accommodante et une politique budgétaire expansionniste, sont actuellement en train "d'acheter du temps pour permettre aux entreprises de se relancer". Dans ce contexte, le discours ambigu de la Fed doit être compris comme un contre-feu. La Réserve fédérale envoie un signal : le risque de déflation existe, si on en parle, on pourra le contourner. Cette stratégie comporte néanmoins un risque, celui de provoquer la réaction inverse de celle attendue : dans l'espoir d'une baisse des prix, les acteurs économiques pourraient choisir de conserver leur argent pour acheter... plus tard et précipiter l'économie dans la spirale de la déflation.
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