Guerre totale contre le spam

Recevoir des publicités vantant les mérites d'un site pornographique, proposant une boîte de Viagra ou offrant des crédits renégociés à des taux défiant toute concurrence, tel est le quotidien des internautes aujourd'hui... Face à ce fléau, les initiatives pleuvent ces derniers temps, tant au niveau juridique que financier, en Europe et aux Etats-Unis. Trois ennemis historiques, Yahoo !, MSN et AOL, viennent ainsi d'unir leurs forces afin de renforcer leur collaboration avec la justice et de sensibiliser les acteurs du secteur. La Commission fédérale du commerce (Federal Trade Commission ou FTC) a demandé au Congrès de durcir le projet de loi en préparation destiné à lutter contre le spam (lire ci-contre). Bill Gates lui-même s'est fendu d'un e-mail pédagogique à ses clients au titre évocateur : "Pourquoi je déteste le spam". Croissance exponentielleTout mail commercial n'est pas du spam. La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) a tenté une définition. Le spam, c'est l'envoi massif de courrier non sollicité à des internautes dont l'expéditeur a capté les adresses e-mail de manière irrégulière (sur un espace public ou sans que les personnes concernées aient donné leur accord à la cession de leur mail). Souvent d'ailleurs, son caractère commercial est litigieux. Alors que le spam est né en même temps que l'Internet commercial, pourquoi une telle levée de boucliers aujourd'hui ? C'est que, en dépit des mesures techniques en place, le phénomène continue de se répandre à grande vitesse. Actuellement, un mail sur deux expédié dans le monde est défini comme du spam. "La situation ne fait qu'empirer. C'est un problème de santé publique aux Etats-Unis, qui commence à le devenir ici. C'était moins grave il y a trois mois qu'aujourd'hui", témoigne Flore Segalen, directrice de la production éditoriale chez AOL France. A la mi-2003, un internaute en entreprise reçoit en moyenne 10 mails non désirés par jour et un particulier 12. Ces chiffres devraient respectivement atteindre 40 et 54 messages par jour en 2008, selon le cabinet américain spécialisé dans les nouvelles technologies Ferris Research. En 2002, le spam a coûté 8,9 milliards de dollars aux entreprises américaines.Cette explosion, les observateurs l'expliquent facilement. "Le spam, c'est la rançon de la gloire sur Internet. Le mail est l'application la plus utilisée avec 90% des usages. Faire du spam, c'est simple, pas cher, et multi plates-formes", explique Yann Motte, directeur produit et services de Yahoo ! France. "Pour les spammeurs qui envoient en masse, il y a toujours un retour, même petit. Les internautes se connectent de plus en plus souvent. Avant, on consultait son mail deux fois par semaine, aujourd'hui c'est deux fois par jour en moyenne. Avec l'ADSL, les utilisateurs se connectent au moins quatre fois. C'est une véritable spirale !", indique Flore Segalen. De cette spirale infernale, les internautes se plaignent de plus en plus, notamment auprès de leur fournisseurs d'accès Internet. "On attribue pour partie à la lassitude le mouvement de désabonnement constaté aux Etats-Unis", affirme Cécile Alvergnat, commissaire à la CNIL.Concours de filtresPourtant, les fournisseurs d'accès Internet et les entreprises rivalisent de technologies pour mettre en place des filtres. Chez Yahoo!, on vante leur efficacité. "On repère une adresse qui envoie en masse, au moins une centaine de mails en même temps. On repère également une adresse qui expédie depuis les îles Cayman, par exemple, et qui change de lieu d'expédition le lendemain. C'est aussi suspect. En outre, les mails en HTML sont plus douteux que les messages en textes. C'est pourquoi on désactive souvent les images, car elles contiennent un cookie qui dit à l'expéditeur si l'adresse est valide", explique Yann Motte, qui assure que grâce à ce dispositif, le détenteur d'une boîte Yahoo ! reçoit peu de spams. Comme Yahoo !, AOL et MSN ont mis en place ce type de filtres. La mesure la plus efficace reste l'éducation des internautes. "On engage l'internaute à collaborer et à nous signaler des mails de spams. Il faut aussi lui apprendre à ne pas déposer son adresse n'importe où, dans les forums publics", indique la porte-parole d'AOL, qui assure que ses utilisateurs commencent à avoir les bons réflexes.Mais quels que soient les dispositifs imaginés, ils ne suffisent pas, les prouesses technologiques des spammeurs ayant toujours une longueur d'avance.Une justice timide"Les techniques mises en oeuvre par les FAI sont insuffisantes. Il n'y a jamais eu de véritable mesure avant l'association AOL/MSN/Yahoo !. En fait, il faut taper là où cela fait mal : aller en justice pour toucher les spammeurs au portefeuille", martèle Stéphane Marcovitch, président de l'Association des Fournisseurs d'Accès Internet (AFA). Un voeu pieux difficile à concrétiser. Techniquement, déjà. "On a du mal à retrouver les spammeurs, qui brouillent les pistes en passant de serveur en serveur", se désole Flore Segalen. En France, sur les cinq dossiers de spams transmis au parquet par la CNIL en 2002, trois ont été classés sans suite et deux sont toujours en examen. Deux dossiers, incriminant un premier spammeur au nom évocateur de "Top50 du X" et un second, Great-Meds.com, qui commercialise des produits informatiques, n'ont pas abouti pour "non identification de l'auteur du message", explique la commissaire du commerce électronique de la CNIL, Cécile Alvergnat. Le troisième dossier, accusant la société française Alliance Bureautique Service de s'être procuré des adresses mails irrégulièrement grâce à son aspirateur Robot Mail, a fini par être réouvert.Au delà des problèmes techniques, certains mettent en doute la volonté de la justice française, qui n'aurait pas pris conscience de l'ampleur du problème. Chez les industriels, on espère un renversement des mentalités. Cécile Alvergnat met tous ses espoirs dans le projet de loi sur l'économie numérique actuellement en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale, qui prévoit une stricte réglementation des e-mails commerciaux.Mais, pour d'autres, il s'agit là d'un coup d'épée dans l'eau. "La loi laissera peu de possibilités aux commerçants de faire du marketing direct. En théorie, le code pénal permet déjà de condamner des spammeurs mais il n'est jamais mis en application", affirme Stéphane Marcovitch, selon lequel la seule manière d'éradiquer le spam est de décourager radicalement ses responsables.Outre-Atlantique, la justice a enfin décidé d'agir. En décembre dernier, elle a rendu une décision très médiatisée qui devrait faire exemple. Elle a condamné la société américaine CN Productions à payer 7 millions de dollars de dommages et intérêts à AOL. Le fournisseur d'accès Internet accusait la société d'avoir envoyé plus d'un million de mails non désirés, soit 25% des spams reçus par les internautes, et d'avoir généré 8 millions de dollars de recettes illégales. Depuis, la condamnation fait des envieux. Microsoft a déposé en juin 15 plaintes aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, visant des collecteurs d'adresses e-mails et des émetteurs d'images pornographiques. La FTC elle-même a engagé 45 poursuites en mai dernier. Même si la justice n'a pas encore rendu de décision, les industriels américains ont bon espoir...
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.