Aventis ou l'impossible séduction

S'il est un groupe qui peut symboliser la désaffection boursière subie par les laboratoires pharmaceutiques depuis deux ans, c'est bien Aventis. Il faut bien l'admettre, le groupe franco-allemand, issu de la fusion entre Hoechst et Rhône-Poulenc en 1999, n'est pas parvenu à séduire les marchés. Et son parcours boursier ressemble à une véritable descente aux enfers. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: le titre a reculé de plus de 50% depuis la mi-2001. En un an, le recul est de près de 35%. Une forte décoteDu coup, Aventis affiche une décote importante par rapport à ses pairs. Selon Morgan Stanley, son multiple cours sur bénéfices estimés (PE) pour 2004 est de 13,9 contre 17 pour le secteur, soit une décote de près de 19%. Pour Merrill Lynch, la décote est encore plus large. Le PE d'Aventis n'est que de 13,3 pour 2004, alors que les grands groupes pharmaceutiques européens affichent un PE moyen de 17,8. La décote serait alors de 25%. Le plus inquiétant semble être la persistance de cette décote. Ainsi, depuis début mars, où le secteur a montré une certaine reprise boursière, le titre Aventis, avec une progression de 8,33%, fait pâle figure face à l'indice sectoriel européen Bloomberg qui affiche une hausse de 18,13%. Et devant le champion de la pharmacie européenne, AstraZeneca, la différence est encore plus cruelle : l'anglo-suédois a progressé de 27,5% sur la même période. Le comblement du fossé entre Aventis et le reste du secteur ne semble donc pas pour demain. Ce fossé est le cauchemar de la direction du groupe. Dans une interview à La Tribune, le président d'Aventis Igor Landau affirmait qu'elle était "injustifiée" et "hors de proportion avec la réalité" (lire ci-contre). Pourtant, certains analystes considèrent de plus en plus que cette décote est normale. Certains, comme UBS, estiment même que le fossé actuel est trop faible. Dans une note datée de début juin, la banque suisse indiquait ainsi que le groupe "devrait se traiter avec une décote de 30%". UBS avait donc abaissé sa recommandation à "Acheter2" contre "Neutre2". De son côté, Morgan Stanley estime justifiée une décote de 14%.Un pipeline contestéMais, pour trancher dans ce débat, il faut évidemment se poser la question de l'origine de cette décote. Le problème principal est celui du "pipeline", c'est-à-dire du flux de médicaments en développement. Il s'agit actuellement d'un des éléments les plus observés par les analystes pour déterminer la rentabilité future des laboratoires (lire ci-contre). Certes, Igor Landau considère que le pipeline d'Aventis est "regardé de façon trop critique" et que "jusqu'à cinq demandes d'enregistrement de nouvelles molécules" pourront être déposées d'ici à 2004. Mais le marché reste sceptique. Morgan Stanley justifie ainsi la décote par le "manque de visibilité à court terme et le manque de confiance dans le pipeline".Il faut dire que les raisons de méfiance ne manquent pas. Après avoir abandonné le développement en phase III (dernière phase d'essais cliniques) du Cariporide, une molécule luttant contre les maladies cardio-vasculaires, le groupe a repoussé la date possible de la mise sur le marché du Ketek, un antibiotique révolutionnaire, censé devenir un futur "blockbuster" (plus d'un milliard de dollars de vente annuelles). Attendue cette année, l'approbation par la FDA du Ketek pourrait n'intervenir que début 2004. De plus, le marché s'interroge sur le choix des médicaments développés par Aventis. Ainsi, à propos du Genasense, un médicament oncologique (anticancéreux), Frédéric Lejoint, analyste chez Dexia, estime qu'il s'agit "d'un beau produit, mais dans une classe difficile". "Plusieurs autres molécules utilisant le même mécanisme ont échoué durant les phases cliniques, ce qui n'incite pas à l'optimisme", ajoute-t-il. Même constat concernant l'antiasthmatique Alvesco. "Un produit également intéressant", souligne Frédéric Lejoint, mais sur un marché où Aventis est jusqu'ici peu présent. "Peuvent-ils prendre pied sur un marché où des grands laboratoires sont déjà établis ?", s'interroge ainsi l'analyste. Du coup, les opérateurs oublient que le risque générique est faible pour Aventis et se focalisent sur les risques de ses projets. L'effet dollarEt cette méfiance vis-à-vis du pipeline s'accompagne d'un doute par rapport aux résultats. D'abord, l'effet dollar a joué défavorablement sur le groupe. Il est vrai que celui-ci, à la différence d'AstraZeneca ou de Novartis, présente ses comptes en euros. Le chiffre d'affaires pâtit donc de la baisse du billet vert et les opérateurs ont sanctionné le titre en conséquence. De l'avis de tous les analystes, ce lien avec le dollar fait systématiquement par le marché est excessif. En effet, comme l'a remarqué Igor Landau, la moitié des coûts opérationnels du groupe sont facturés en dollars. Il y a donc une "couverture naturelle", pour reprendre les termes d'un analyste parisien, qui met le groupe relativement à l'abri. Reste que cette dépendance de l'action face au dollar nourrit les doutes du marché envers le groupe et la fébrilité qui accompagne le titre. Preuve en a été donnée début avril lorsqu'une erreur de la FDA avait fait croire à une demande de mise sur le marché d'un générique pour le Lovenox, un des blockbusters du groupe. Une telle demande était fort improbable, mais le titre avait immédiatement perdu 7% et avait mis une semaine pour récupérer son retard (lire ci-contre). Les risques produitUn épisode qui montre que le groupe n'est pas parvenu à instaurer un climat de confiance avec le marché. L'Allegra est la première source d'inquiétude des analystes. Le produit doit en effet faire face depuis peu à la concurrence d'un produit meilleur marché vendu sans ordonnance, le Claritin de Schering-Plough. L'environnement légal aidant, il est certain que les ventes de ce dernier sont amenées à se développer, au détriment du produit d'Aventis. A cela s'ajoute le risque générique qui pourrait apparaître sur ce produit à partir de 2005. Deux versions génériques sont déjà prévues et un procès devrait intervenir à ce sujet dans la deuxième partie de 2004. Reste à établir l'impact de cet éventuel effet générique. Igor Landau l'a minimisé, et Dresdner KleinwortWasserstein (DKW) estime que la croissance des ventes de l'Allegra devrait alors être de 1 à 2% par an, mais devrait être compensée par d'autres produits.Seulement, le doute du marché porte également sur un autre produit, le Lovenox. Cet anti-thrombotique est à l'abri du risque générique jusqu'au début des années 2010, mais UBS considère que ses ventes devraient se ralentir "et pas seulement à court terme", précise la banque suisse. Il est vrai que la direction a décidé de modifier la cible de ce produit en le faisant passer d'une utilisation grand public à une utilisation plus ciblée sur les patients "à risque". Une stratégie qui pourrait s'avérer payante selon Morgan Stanley, notamment grâce à une augmentation de la durée d'usage. Mais qui comporte évidemment des risques qui sont pris en compte par le marché.Le recentrageDernier point de méfiance du marché, le recentrage du groupe. Aventis a en effet hérité de la fusion entre Rhône-Poulenc et Hoechst, de nombreuses activités non-pharmaceutiques (notamment chimiques). Cette situation a été régulièrement un handicap pour le titre. Le groupe a certes fait des gestes convaincants. Les grandes activités annexes ont d'ores et déjà été vendues et le groupe a fait un premier pas dans son désengagement de Rhodia en avril, avec la vente de 10% du capital du chimiste au Crédit Lyonnais. Des éléments qui sont cependant loin de convaincre les opérateurs. Car, si la volonté d'Aventis de se séparer de ces actifs n'est pas niable, trouver un acheteur à un prix acceptable semble plus périlleux. Les modalités de couverture de la vente au Crédit Lyonnais prouvent bien qu'Aventis doit faire preuve de beaucoup de conviction pour céder ses participations dans la chimie. Or elles restent importantes (15% dans Rhodia et 12% dans Clariant) et continuent de coûter cher. En décembre dernier, le groupe a provisionné 251 millions d'euros pour prendre en compte la dépréciation de l'action Rhodia. Sur le premier trimestre 2003, ce sont à nouveau 269 millions d'euros qui ont été provisionnés pour Rhodia, mais aussi au titre de Clariant. Avec des conséquences plutôt lourdes. Le bénéfice net du groupe au premier trimestre a été divisé par deux suite à cette nouvelle provision. Il est donc certain que tant que le groupe ne se sera pas entièrement recentré, l'action restera décotée.Tout ceci ferait presque oublier les efforts faits par le groupe pour retrouver sa rentabilité. Igor Landau s'est dit persuadé que la croissance du résultat continuera à être à "deux chiffres". Le groupe a réalisé de vrais efforts dans le domaine de la réduction des coûts, et, lors d'une réunion récente avec Morgan Stanley, la direction a indiqué qu'il restait des "marges pour réduire encore les coûts". Mais le marché ne regardant pas de ce côté, ces bons résultats pourraient rester insuffisants pour faire remonter le cours d'un titre plus que jamais sur la sellette.
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