Société Générale, ou l'embarras du choix

Coincée désormais sur son marché domestique entre Crédit agricole-Crédit Lyonnais et BNP-Paribas, la Société Générale est-elle condamnée à se jeter, elle aussi, dans une grande opération de fusion ? La question hante en fait les marchés depuis plusieurs années et procure régulièrement au titre une petite prime qui, aussi régulièrement, se dégonfle. Aujourd'hui, malgré une bonne performance (4,74% de plus que l'Euro Stoxx bancaire depuis le 1er juin), le titre n'affiche pas de prime par rapport au secteur. Ainsi, selon UBS Warburg, le titre Société Générale se paie 10,1 fois ses bénéfices estimés pour 2004. Soit un ratio (PER) équivalent à celui de la BNP et inférieur à celui du secteur européen dont le PER serait pour 2004 de 10,6. Les forces de la banque de détailLe marché ne croit donc pas à une opération de fusion-acquisition impliquant la Société Générale à court terme. Pourquoi ? Simplement parce que la banque de la Défense a fait la preuve que la stratégie indépendante dite de "stand alone" défendue par son président Daniel Bouton était un succès. Un succès qui, comme le remarque Alain Dupuis, analyste chez Oddo & Cie, repose d'abord sur le socle de son activité de banque de détail. Pour preuve, alors que la conjoncture était des plus moroses au deuxième trimestre, le produit net bancaire de la division détail a progressé de 4,7% et son résultat net de 14,9%. A titre de comparaison, BNP-Paribas a dû accuser un recul de 0,6% du PNB et de 2,6% du résultat net de sa banque de détail sur la même période. "La Société Générale bénéficie d'une croissance structurelle plus importante que ses concurrents dans le domaine de la banque de détail", affirme ainsi un analyste parisien. Première explication à cette situation, l'implantation géographique. La banque de la Défense est très bien implantée dans les zones les plus riches de l'Hexagone. Elle est notamment leader dans le département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine. Plus généralement, ses positions sont fortes en Ile-de-France, Rhône-Alpes ou PACA. Deuxième élément structurel, la capacité de la Société Générale à attirer des clients jeunes. Une stratégie menée depuis de nombreuses années et qui a porté ses fruits. Aujourd'hui, selon HSBC, la SG est la première banque de détail des moins de 26 ans avec une part de marché de 22% (contre 19% pour l'ensemble de la population). Enfin, la capacité à proposer des produits innovants a permis à la banque de Daniel Bouton d'être particulièrement attractive pour les clients de l'activité détail. Une "valeur de croissance"La force de la Société Générale est certes de pouvoir compter sur ce socle de la banque de détail, tout en disposant d'importants relais de croissance. Le premier d'entre eux est évidemment sa banque de financement et d'investissement. La Société Générale est un des leaders dans le domaine des dérivés actions. Elle est donc à même de profiter pleinement d'une reprise éventuelle des marchés actions. Au deuxième trimestre, le résultat net de la banque d'investissement et de financement de la Société Générale a progressé de 58,1% cependant que celui de la BNP reculait de 1,7%. Une situation qui n'est pas uniquement due à la reprise des marchés. "Le fait nouveau concernant la Société Générale est le contrôle de la croissance de ses coûts", souligne ainsi Alain Dupuis. Car si la stratégie agressive de la SG allait généralement de pair avec des coûts plus importants, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Du coup, la banque dispose d'un levier gigantesque qui fait dire à HSBC que le titre est une véritable "valeur de croissance", à même de faire profiter à plein l'actionnaire d'un retour à la croissance des marchés.Il convient enfin de rappeler que la Société Générale dispose d'un potentiel important dans son développement en Europe de l'Est, où elle a axé son développement international et où elle est le quatrième acteur du secteur. Elle dispose notamment de positions fortes en République Tchèque avec sa filiale Komercni Banka qui accumule les bons résultats. Au deuxième semestre, les attentes ont ainsi été dépassées avec un résultat net en hausse de 24% sur un an, grâce là encore à un travail important sur les coûts (-14% sur un an alors que le PNB reculait de 7%). La Société Générale dispose également de positions fortes en Bulgarie, Slovénie et Roumanie et s'est récemment installée en Russie. Autant de marchés en forte croissance et potentiellement générateurs de profits dans des économies dynamiques et de plus en plus stables."La Société Générale a fait la preuve que la réussite de sa stratégie autonome agressive", résume ainsi Alain Dupuis. Disposant à la fois d'une rentabilité solide et de fortes potentialités, le groupe n'a aucun besoin d'adossement rapide. Reste le problème de la taille, parfois invoqué par les détracteurs de la stratégie du "stand alone". Mais là encore, il semble que la Société Générale fasse largement jeu égal avec ses rivaux. Certes, sa capitalisation boursière (25,6 milliards d'euros) est inférieure à celle de la BNP (39 milliards d'euros), mais elle reste supérieure à celle de Crédit agricole SA (22,6 milliards d'euros). En termes de parts de marchés, une étude de HSBC montre que la BNP et la Société Générale sont très proches en France avec respectivement 11,7% et 11,2% du marché français, loin derrière les 23,7% du nouveau groupe Crédit agricole-Crédit lyonnais. "La SG a la taille critique dans la plupart de ses métiers d'importance", remarque ainsi un analyste. Gros appétitEn conséquence, si le titre SG semble encore un peu sous-estimé par les marchés compte-tenu de ses potentialités, une prime spéculative semblerait injustifiée. Doit-on pour autant abandonner l'idée d'une opération d'envergure visant la Société Générale ? En aucun cas. Une étude récente du cabinet de consultants McKinsey annonce ainsi une vague de consolidation dans le secteur bancaire européen dans les deux ou trois années à venir. Une vague qui ne devrait pas laisser de marbre la banque de la Défense. "La Société Générale est la seule grande banque française à ne pas avoir vu son capital se modifier substantiellement au cours des dernières années", constate Alain Dupuis avant d'ajouter : "elle sera donc vraisemblablement au centre d'une recomposition du secteur s'il y a un mouvement en Europe". A quel type de mouvement doit-on s'attendre ? La SG est réellement à la croisée des chemins. Sa capitalisation importante, mais pas démesurée, peut faire d'elle une proie comme un prédateur. Quel scénario privilégier ? Parmi les cibles potentielles du groupe, les analystes éliminent d'entrée des établissements comme la Dresdner Bank, qui est trop axée sur l'activité de banque d'affaires. Dexia est-elle alors la cible idéale ? L'établissement franco-belge pourrait apporter un réseau de détail au Benelux et un renforcement dans la banque d'investissement. Mais Alain Dupuis estime que les synergies seraient trop limitées, comme l'ont d'ailleurs prouvé les tentatives de coopération entre Crédit du Nord et Dexia. En fait, pour un analyste parisien, une opération de taille moyenne est peu envisageable. "La Société Générale n'a pas besoin, comme la BNP, de croissance rapide", souligne-t-il. "Il est donc plus probable qu'ils tentent une opération qui fera du groupe un très gros". Naturellement, donc, vient l'hypothèse du rachat d'une banque allemande. Deux grands établissements outre-Rhin sont d'éventuelles proies : HVB et Commerzbank. Avec des capitalisations réduites, mais un bilan assaini et des activités attractives, elles font l'objet de toutes les convoitises. Mais la situation difficile du marché allemand, notamment en raison de l'importance des établissements publics régionaux, rend peu probable une offensive rapide. A partir de 2005, cet état de fait devrait changer, mais ces banques seront-elles toujours bon marché ? Commerzbank, par exemple, vaut aujourd'hui deux fois plus cher qu'en début d'année. De plus, si la SG veut tenter une opération outre-Rhin, elle risque d'avoir à faire face à une dangereuse surenchère. Crédit Suisse s'est en effet dit intéressé par une acquisition en Allemagne dans "deux ou trois ans". Tout ceci risque donc d'être périlleux.Une cible possibleEt si finalement, la Société Générale était une proie ? Ce scénario sera vraisemblablement privilégié par le marché, si l'on en croit les analystes. Mais ces derniers sont néanmoins persuadés qu'une opération de rachat de la banque française ne se fera pas sans l'appui de la direction de la banque elle-même. Et là encore, seule une opération d'envergure capable de sauvegarder la spécificité du groupe pourrait satisfaire cette dernière. Dans ce cadre, quelles pourraient être les banques susceptibles de se lancer dans une telle entreprises ? En Europe, il y a peu de possibilités. La présence du CCF au sein de HSBC exclut d'emblée cette hypothèse. Crédit Suisse regarde du côté de l'Allemagne. La BNP n'est plus intéressée et une alliance avec la Deutsche Bank n'aurait pas de sens sur le plan industriel. Reste alors l'hypothèse de l'entrée en lice d'une banque américaine, par exemple. Des rumeurs circulent sur les places européennes depuis quelques semaines suggérant que Citigroup désirerait s'implanter en Europe par le biais d'une grande acquisition. L'idée n'est pas saugrenue : la banque américaine est assise sur une montagne de cash et sa capitalisation géante (200 milliards de dollars) lui donne une latitude énorme face aux grandes banques européennes. Certes, la Société Générale n'est pas l'unique projet qui pourrait être à l'étude du côté de Citigroup. Une banque britannique comme Barclays ou une néerlandaise comme ABN Amro pourraient également être attirantes pour les Américains. Mais nul doute que si la banque new-yorkaise souhaite intervenir en Europe, le dossier SG sera examiné...La Société Générale est donc à l'heure des choix. Sa situation stratégique lui permettrait de demeurer seule encore longtemps, mais en cas de mouvement de consolidation de grande ampleur dans le secteur, elle ne serait pas à l'écart. Reste qu'avec une hausse de 36% en cinq ans (contre 18% pour le secteur européen), et un rendement très confortable et régulier, le titre n'a pas fini d'être attractif.Un grand nom du capitalisme françaisLa Société Générale est née en 1864 de la volonté de Napoléon III de créer une base bancaire solide pour le développement industriel français, notamment les chemins de fer et la sidérurgie. Aujourd'hui, le groupe est le quatrième acteur français du marché après la fusion du Crédit agricole et du Crédit lyonnais d'une part, des Caisses d'Epargne et d'Eulia CDC-Ixis d'autre part. Neuvième capitalisation de la Bourse de Paris, la Société Générale affiche un produit net bancaire de 14,5 milliards d'euros et un résultat net part du groupe de 1,4 milliard d'euros.
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