Après Bagdad, Kirkouk tombe à son tour

La spectaculaire libération de Bagdad, intervenue mercredi avec l'entrée des troupes américaines au coeur de la capitale irakienne, au milieu de scènes de joie de la population, n'a pas mis un terme au conflit, loin de là. Ce jeudi, les combats ont continué à la périphérie de la ville, mais aussi dans le reste du pays. Et un nouveau développement majeur de la guerre est intervenu avec la chute de la grande ville pétrolière du Kurdistan irakien, Kirkouk, où les forces kurdes et américaines sont entrées en fin de matinée sans rencontrer de résistance. Les télévisions ont montré les manifestations de joie des "peshmergas" (combattants kurdes) fêtant leur victoire en tirant en l'air dans les rues. La chute de Kirkouk confirme que le régime irakien n'a plus de capacité, ou de volonté, de résistance. Mais elle fait aussi entrer le conflit dans une phase très délicate: le gouvernement turc a plusieurs fois averti qu'une prise de Kirkouk ou de Mossoul par des forces kurdes justifierait une intervention de son armée dans le nord irakien. 40.000 soldats turcs sont actuellement déployés le long de la frontière avec l'Irak. La Turquie craint en effet plus que tout qu'en prenant le contrôle des régions pétrolifères du nord irakien, dont Kirkouk est la capitale, les Kurdes se donnent les moyens d'une politique indépendantiste, au risque de relancer un mouvement sécessionniste parmi les Kurdes de Turquie de l'autre côté de la frontière. Ankara a d'ailleurs aussitôt rappelé qu'un contrôle permanent de la ville par les troupes kurdes serait "inacceptable". Le ministre turc des Affaires étrangères a affirmé que des soldats américains sont en route pour Kirkouk pour y remplacer les forces kurdes et que son pays s'est mis d'accord avec les Etats-Unis pour envoyer des observateurs militaires d'Ankara dans le nord de l'Irak afin de vérifier que les forces kurdes irakiennes entrées jeudi matin dans la ville pétrolière l'auront quittée.Le centre culturel français pilléA Bagdad même, les combats ne sont pas terminés. Après la première nuit calme depuis le début des hostilités, il y a exactement trois semaines, la capitale a renoué jeudi avec les raids aériens. Car la disparition des forces organisées irakiennes du centre de la ville ne signifie pas la fin de toute résistance. Des hommes de Saddam Hussein continuent à se battre, notamment dans certaines banlieues de la capitale. Des hélicoptères de combat américains sont ainsi intervenus jeudi après-midi dans des affrontements opposant des groupes de Fedayin de Saddam Hussein à des unités américaines dans le quartier d'Al-Otayfia, a constaté une journaliste de l'AFP sur place. Au moins un soldat américain a été tué dans un attentat suicide. Bagdad demeure "un endroit dangereux", où se déroulent des combats sporadiques mais intenses, a déclaré le général de l'armée de l'Air Victor Renuart, selon lequel les forces américano-britanniques "couvrent désormais 50 à 60% du territoire irakien". Autre problème majeur que les forces américaines doivent affronter: le risque d'anarchie dans la ville. Mercredi, les scènes de pillage se sont multipliées. Les immeubles des ministères du Pétrole, de l'Irrigation et de l'Education ont été mis à sac, ainsi que l'un des sièges les plus importants du parti Baas. Jeudi, ce sont les villas des hauts dignitaires du régime - le fils aîné de Saddam Hussein, Oudaï, sa fille Hala, son demi-frère Watban, le vice-Premier ministre Tarek Aziz, etc... - qui ont été livrées au pillage. L'ambassade d'Allemagne et le centre culturel français, incarnant les pays chef de file des opposants à la guerre en Irak, ont connu le même sort. Même l'hôpital Al-Kindi, l'un des principaux établissements civils de la capitale, a lui aussi été attaqué par des pillards. Et jeudi soir, plusieurs ministères étaient en feu dans le centre de la ville.A côté de la poursuite des combats et du rétablissement de l'ordre, les alliés ont une troisième tâche à accomplir: essayer de retrouver les dirigeants irakiens. Qu'il s'agisse de Saddam Hussein, de sa famille, des principaux ministres ou des responsables de l'appareil policier, tous semblent avoir disparu. Certains pourraient avoir fui en Syrie pour y rester ou y transiter avant d'aller ailleurs, a estimé le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld. Les rumeurs les plus contradictoires courent notamment sur le sort de Saddam Hussein, dont on ne sait toujours pas s'il a réchappé au bombardement le visant personnellement, intervenu lundi dernier dans un quartier résidentiel de Bagdad. Les alliés sont "des libérateurs, pas des envahisseurs"Les dirigeants américains et britanniques se sont adressés aujourd'hui directement au peuple irakien par le biais de messages télévisés. "Le régime de Saddam Hussein est en train d'être chassé du pouvoir", a assuré George W. Bush, "le cauchemar que Saddam Hussein a fait subir à votre pays est bientôt terminé". Les forces alliées "sont des amis et des libérateurs du peuple irakien, pas vos envahisseurs, elles ne resteront pas un jour de plus que nécessaire", a déclaré de son côté Tony Blair dans son allocution diffusée par la télévision irakienne. L'argent du pétrole irakien "sera le vôtre, servira à votre prospérité et à celle de vos familles", a-t-il ajouté. En attendant, les alliés sont déterminés à mener leur offensive à son terme. Donald Rumsfeld a souligné qu'il y avait "encore beaucoup de travail à faire et beaucoup de missions à terminer avant de pouvoir proclamer la victoire". Il a prédit des "jours difficiles et très dangereux". Signe concret de cette détermination à poursuivre le combat, un responsable américain de la Défense a affirmé que plusieurs bombes MOAB de 9,5 tonnes, les plus grosses de l'arsenal conventionnel américain, sont en route pour la région du Golfe. Cette arme dont le pouvoir de destruction équivaut à celui d'un petit engin nucléaire, sort à peine du laboratoire de recherche de l'armée de l'Air d'Eglin, en Floride, où elle a été testée le mois dernier. Car même si la bataille de Bagdad est à peu près terminée, il reste les problèmes du Kurdistan - où la situation semble évoluer malgré tout très vite - et de Tikrit. La ville natale de Saddam Hussein, deux cents kilomètres au nord de Bagdad, pourrait en particulier réserver de sérieuses difficultés aux forces alliées. C'est le véritable bastion du clan Hussein, et il est possible que de nombreux soutiens du régime, n'ayant plus rien à perdre, s'y soient réfugiés.Au sud du pays, enfin, tombé aux mains des forces anglo-américaines depuis plusieurs jours, c'est le problème du maintien de l'ordre qui devient le plus urgent. A Bassorah, la deuxième ville d'Irak, l'exaspération se répand parmi les habitants face à l'anarchie qui règne en l'absence de toute autorité locale et de police, et l'apparente impassibilité des troupes britanniques. A Washington, la phase militaire étant désormais largement sur les rails, on se préoccupe maintenant de la mise en place de nouvelles structures de direction de l'Irak. Après une première période de reconstruction et d'administration directe, sous la direction du général à la retraite américain Jay Garner, une administration irakienne intérimaire devra être installée. A cet égard, la Maison Blanche a annoncé une réunion des Irakiens libres "très prochainement", sans confirmer la date du 12 avril lancée auparavant par le vice-président Dick Cheney ni le lieu.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.