Le projet d'amnistie fiscale déclenche une vive polémique

En avançant jeudi soir, lors de son intervention télévisée, l'idée de mettre en place un mécanisme s'apparentant à une amnistie fiscale pour le rapatriement en France des capitaux placés à l'étranger, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a jeté un pavé dans la mare. Même si de telles opérations ont été engagées dans des pays comme l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, une telle initiative n'était pas, jusqu'ici, envisagée au plus haut niveau de la classe politique française. Contraire à toutes les traditions du pays, la proposition a déclenché d'amblée une vive polémique.Le Premier ministre a avancé jeudi soir l'idée de créer un fonds destiné à financer la politique de cohésion sociale que le gouvernement veut mettre en place. Ce fonds serait financé par une incitation au retour en France des capitaux non déclarés placés à l'étranger. Cet argent serait taxé de façon forfaitaire à son retour en France. Une idée qui, selon Jean-Pierre Raffarin, n'est pas une "amnistie fiscale", puisque les fonds seraient effectivement soumis à prélèvement.Le Premier ministre n'est pas allé chercher cette idée très loin : il s'inspire tout simplement d'initiatives similaires prises ces dernières années par nos plus proches voisins. L'Allemagne, a-t-il souligné, a fait revenir "plusieurs milliards d'euros" de Suisse et du Luxembourg avec une amnistie fiscale et l'Italie a fait de même. En Allemagne, les propriétaires de capitaux rapatriés sont exemptés d'amende à condition de s'acquitter, dans les dix jours suivant la déclaration de retour, d'un versement forfaitaire de 25% en 2004, puis de 35% jusque fin mars 2005. Quant à la Belgique, elle a voté l'année dernière une loi qui permet aux contribuables de rapatrier pendant l'année 2004 leurs fonds placés à l'étranger, moyennant une contribution unique de 9%.Vendredi, les services de Matignon ont indiqué qu'ils effectuaient une "expertise approfondie" des mécanismes mis en place chez nos voisins, dans l'idée d'introduire "rapidement" - et peut-être dès 2005 - une telle mesure. Si l'expertise s'avère "concluante", "on versera le dossier au débat public", a-t-on précisé dans l'entourage du Premier ministre, "ce n'est pas la peine d'attendre trop longtemps. C'est un sujet qui pourrait être traduit en loi de finances pour 2005. Ce serait un bon calendrier". Une telle hypothèse a été bien accueillie par quelques responsables politiques de la majorité, dont l'UMP Gilles Carrez, rapporteur général du Budget à l'Assemblée, qui avait déjà formulé une telle proposition dans un rapport remis en décembre dernier au Premier ministre. Selon le député, "en Italie, où le dispositif a été mis en place, ce sont ainsi près de 57 milliards d'euros qui ont été rapatriés". Son collègue le sénateur UMP Philippe Marini, a estimé pour sa part qu'une telle mesure pourrait rapporter entre "500 millions et un milliard d'euros". "Le Premier ministre a bien fait de lever ce tabou, ce sont des capitaux dont on peut avoir besoin, et il a présenté les choses très habilement et très utilement en liant cette mesure au besoin accru de solidarité", a affirmé le sénateur.Au delà des spécialistes des questions financières de la majorité, les réactions sont en revanche beaucoup moins enthousiastes partout ailleurs. Côté PS, c'est sans surprise un tir de barrage qui est déclenché contre une telle mesure. L'ancien rapporteur général du budget Didier Migaud la qualifie ainsi de "particulièrement choquante". Une telle mesure, dénonce-t-il, serait "injuste" et s'adresserait aux "plus aisés" et aux "fraudeurs". Même son de cloche chez le premier secrétaire du PS François Hollande, selon qui il serait "immoral de financer la solidarité par l'argent de la fraude". Pour lui, une telle proposition constitue "une incitation à faire sortir des capitaux, puisque les contribuables sont invités à comprendre qu'en fin de compte, ils en seront récompensés par un avantage fiscal", a-t-il dit. Plus surprenant peut-être, l'idée de Jean-Pierre Raffarin n'a pas suscité beaucoup plus d'enthousiasme du côté du Medef - mais pas pour les mêmes raisons. Son président Ernest-Antoine Seillière s'est en effet montré sceptique quant à l'efficacité d'une telle incitation au rapatriement des capitaux en France. Selon lui, en effet, "si les gens sont partis avec de l'argent en trichant, c'est tout de même parce que la fiscalité est devenue tellement insupportable que beaucoup ont cru devoir le faire", a-t-il commenté sur Europe 1. "Et pour qu'ils reviennent et que ça rapporte de l'argent, il ne faut pas se faire d'illusion. Si la fiscalité sur le patrimoine reste au niveau où elle est, notamment l'ISF (Impôt de solidarité sur la fortune), qui est confiscatoire, les gens ne vont évidemment pas être extrêmement tentés", a-t-il affirmé.
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