"Il ne faut pas s'emballer sur la croissance française"

latribune.fr - Au quatrième trimestre 2003, la croissance a été de 0,5%. Vous estimez qu'on ne peut extrapoler de ce chiffre ce que sera 2004, pourquoi? Emmanuel Ferry - En apparence, c'est vrai que c'est un bon trimestre et que la France surpasse ses voisins que sont l'Allemagne et l'Italie. Cependant, quand on analyse en détail les ingrédients de cette croissance, on se doit de relativiser. La question qu'il faut se poser est: est-ce que ce quatrième trimestre contient les éléments d'une reprise cyclique traditionnelle? Ma réponse est "non" et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, à côté de la résistance de la consommation privée, il faut noter que la moitié de la croissance affichée à la fin de l'année 2003 provient de la consommation et de l'investissement du secteur public. Enfin, je considère que parler de rebond de l'investissement des entreprises quand ce dernier ne progresse que de 0,6% est une plaisanterie. En effet, c'est sans commune mesure avec un véritable redémarrage de l'investissement lors des précédentes reprises cycliques. Ainsi en 1998, on avait des hausses trimestrielles de l'ordre de 2 à 3%. Que traduit donc, selon vous, cette meilleure tenue de l'activité à la fin de 2003?Pour moi, elle illustre plus la capacité de résistance de l'économie française, cette dernière étant essentiellement défensive, qu'un véritable rebond. D'ailleurs, si l'on se penche sur le commerce extérieur, on est extrêmement déçu par les exportations dans le contexte actuel de forte reprise du commerce mondial. La France perd des parts de marché, car elle est confrontée à une double difficulté. Tout d'abord, la question évidente du change, ensuite le problème du positionnement des entreprises. Aujourd'hui, les groupes français souffrent plus que les entreprises allemandes. Ces dernières se sont plus restructurées et ont amélioré leur compétitivité. Hormis le mieux observé sur le restockage, le quatrième trimestre ne contient pas les éléments d'un redémarrage cyclique. En un mot, je considère qu'il ne faut pas s'emballer et qu'il y a beaucoup de mauvaises nouvelles devant nous. Lesquelles?Ce qui est au coeur de la problématique de la croissance française, c'est le comportement des entreprises. Or celles-ci, à l'exception des grands groupes cotés, n'en ont pas fini avec leur assainissement financier: réduction de l'endettement, amélioration des cash-flow..., pas plus qu'elles n'ont amélioré leur profitabilité puisqu'il n'y a pas eu véritablement d'ajustement sur les effectifs en 2003, contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne et en Italie. Dans ce contexte, nous n'avons pas observé le redressement de l'autofinancement des sociétés, préalable pourtant indispensable à toute véritable reprise de l'investissement. J'estime donc qu'en 2004 il ne peut y avoir qu'une reprise très graduelle et ciblée des investissements, essentiellement d'ailleurs des investissements de productivité qui seront donc destructeurs d'emplois.A vous entendre, on ne peut espérer d'embellie sur le marché du travail dans les mois à venir...Il faut avoir à l'esprit que finalement l'emploi a bien résisté en 2003. Mais ce qui n'a pas été fait reste à faire. C'est pourquoi, je table sur une hausse du taux de chômage cette année avec un franchissement du seuil de 10% de chômeurs dans la population active. Cette prévision entre dans un scénario, extrêmement prudent, d'une croissance française de seulement 0,9% en 2004. Mais, en tout cas, sur le moyen terme je ne vois pas de reprise convaincante avant 2006 car les entreprises, sous-estimant l'ampleur du ralentissement à l'oeuvre dès 2001, n'ont pas pris les mesures drastiques qui s'imposaient à l'époque.Quels risques avez-vous identifiés pour la croissance française en 2004? On sait d'ores et déjà qu'au premier semestre, la croissance mondiale sera à plein régime notamment grâce aux Etats-Unis et à l'Asie. Inévitablement, il y a aura un certain fléchissement ensuite. Toute la question est de déterminer l'ampleur de ce coup de frein. Si à cette baisse de la demande mondiale s'ajoute un euro toujours fort, alors la France devra faire face à un effet de ciseaux redoutable. Voilà pour les facteurs externes. Sur le plan intérieur, la dégradation des finances publiques - la France est sur une pente de 5% du PIB - provoque une baisse de la consommation des ménages, ces derniers anticipant de futurs resserrements de la pression fiscale.
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