Jean de Kervasdoué : "La consultation sur l'assurance maladie ne débouchera sur rien de significatif"

latribune.fr - Le nouveau gouvernement Raffarin a relancé le processus de consultation pour la réforme de l'assurance maladie. Vous paraissez sceptique quant aux résultats à en attendre, pourquoi ?Jean de Kervasdoué - Aujourd'hui, je crois que peu d'hommes politiques et aucun parti ne portent de discours construit sur la médecine et le système de santé. Ils prononcent ce que j'appelle des discours "scrabble" où les mots semblent se suffire à eux-mêmes, mais les priorités ne sont pas établies et les choix, car il faudra bien choisir, prudemment ignorés. Tout cela, je le crains, ne débouchera sur rien de significatif. Jean-François Mattei, comme ministre de la Santé, a commandé 42 rapports consultables sur le site Internet du ministère. Le gouvernement change et que fait-on ? On recommence les consultations qui viennent juste de s'achever. C'est quand même étonnant... Comme si une entreprise en faillite se bornait à dire à ses créanciers : "oui c'est embêtant, on va réfléchir, attendez un peu que notre nouveau conseil d'administration décide, l'ancien président vient de partir, on n'arrive pas à le joindre, laissez nous encore du temps", comme si deux années d'une même majorité ne suffisaient pas pour "réfléchir" ! Le nouveau ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, laisse accroire que de la nouvelle série de consultations va naître une unanimité, comme si, par miracle, les positions et les intérêts des groupes consultés, intérêts bien connus et contradictoires, allaient brusquement converger. Philippe Douste-Blazy a annoncé pour la fin du mois d'avril la présentation d'un document sur la nouvelle organisation, la gouvernance de l'assurance maladie. Qu'en attendez-vous ? Tout d'abord, je voudrais dire que pour moi c'est un problème second . A quoi bon organiser autrement, si on ne sait pas ce que l'on veut faire de cette nouvelle organisation ? Il convient au préalable de savoir comment vont être abordées les questions touchant à l'hôpital, aux médicaments et à la médecine de ville. De quels sujets faut-il débattre, selon vous, avec les médecins ?Aux médecins, il faut d'abord leur redemander s'ils veulent ou non participer à la cogestion du système et si oui dans quelles conditions. C'est d'autant plus nécessaire que l'on a besoin d'eux pour évaluer la qualité des soins. S'ils répondent par la négative, ce qu'ils firent en 1930, il conviendra de prendre le public à témoin et d'en tirer les conséquences.Par ailleurs, quatre chantiers de discussion sont à ouvrir simultanément : la rémunération (le paiement à l'acte n'est pas la seule forme de rétribution possible), la formation initiale et continue, le contrôle des pratiques cliniques (ce métier ne peut pas être le seul où la confiance suffit pour "bien prescrire" ou "bien soigner") et enfin la responsabilité juridique. Je crois que jusqu'ici les discussions n'ont pas abouti car l'on a traité de ces problèmes séparément et l'on s'est, une fois encore, une fois de trop, égaré dans les questions de démographie médicale alors qu'il y a trop de médecins et qu'ils ne sont pas suffisamment bien rémunérés, sauf exceptions.Vous avez également beaucoup d'idées sur la place à donner à l'hôpital...Pour les hôpitaux, je pense qu'il vaut mieux défendre la notion de mission d'intérêt général plutôt que celle plus restrictive de service public. L'hôpital doit redevenir une organisation normale. Aujourd'hui, le président du conseil d'administration n'a pas de pouvoir, le directeur et les chefs de service sont nommés par le ministre, la bureaucratie fleurit et l'Etat impose aux hôpitaux de respecter 43 familles de règles bureaucratiques tatillonnes, tout en faisant fonctionner 22 commissions statutaires alors que l'essentiel (les prix et la qualité) n'est pas contrôlé ! Il conviendrait donc de redonner une véritable autonomie à l'hôpital. Je propose que le président du conseil d'administration soit nommé par le maire de la ville où il est situé, que ce président acquiert une responsabilité pénale et civile et qu'il soit rémunéré. Une simplification des règles est indispensable. Plus de la moitié des textes actuels est à jeter aux orties : ils sont aussi inutiles que coûteux... En revanche, il convient de contrôler les prix et la qualité du service rendu. En toile de fond de ces mesures, il faut poursuivre le regroupement hospitalier qui est loin d'être terminé et appliquer à grande échelle des techniques nouvelles qui traînent à se mettre en oeuvre (chirurgie de jour, radiologie interventionelle...). Le personnel n'a aucune crainte à avoir de ces évolutions, car demain on va, dans ce domaine comme dans d'autres, manquer d'agents qualifiés.Les dépenses pharmaceutiques continuent de croître. Est-ce justifié ?Les dépenses pharmaceutiques ont encore augmenté de plus 6% en 2003, alors que l'année passée il n'y a eu aucune innovation majeure et que les Français demeurent les plus gros consommateurs de médicaments du monde. Une tendance difficile à contrecarrer avec les outils actuels car la France est en train de perdre au profit de l'Europe ses deux leviers d'action : la fixation des prix et l'autorisation de mise sur le marché. Il va donc falloir enfin contrôler les prescriptions. Au delà des économies potentielles, derrière ce thème, il y a d'abord une préoccupation de santé publique. Entre un quart et un tiers des admissions en urgence à l'hôpital sont dues à des problèmes liés à des interactions médicamenteuses. On doit tout d'abord favoriser l'autocontrôle par les médecins en leur fournissant des logiciels informatiques appropriés qui décèleront les interactions médicamenteuses, préciseront pour chaque médicament le service médical rendu, l'existence et le prix des génériques... On pourrait également examiner systématiquement les ordonnances comportant plus de cinq médicaments, les faire contre-signer par le pharmacien... Les idées ne manquent pas. La philosophie doit changer : ce n'est pas tant le produit qu'il faut contrôler que son usage dans une situation clinique déterminée.Parallèlement aux questions d'organisation du système de santé, reste la difficile problématique financière. Selon les dernières prévisions du gouvernement, le déficit général de l'assurance maladie devrait atteindre les 11 milliards d'euros cette année. Que faire pour équilibrer dépenses et recettes ?Pour ma part, j'estime que le déficit au terme de cette année sera plus proche de 15 milliards d'euros que de 11. A côté de l'organisation du système que nous avons évoquée, il y a deux pistes pour le financement. L'une fiscale et l'autre concernant les déremboursements. Pour la piste fiscale, la messe est dite, la hausse de la CSG est le plus juste des systèmes. Quant aux déremboursements, il pourrait y en avoir d'autres, je le crains, car c'est tentant. Et cela même si l'histoire montre que ce n'est ni médicalement, ni économiquement efficace. On sait en effet que quand les soins sont payants, les gens sous-consomment avec les conséquences que l'on peut imaginer en termes de santé publique. L'argent est un mauvais discriminant de la consommation de soins médicaux et de toutes façons, du fait de l'existence de la CMU et des assurances complémentaires, le déremboursement pour l'assurance maladie n'est pas un déremboursement pour les Français mais un transfert de charge entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.