La Slovénie n'est pas à vendre

Lorsque l'on pense au modèle économique des pays qui, le 1er mai, entreront dans l'Union européenne, on pense instinctivement à une ouverture massive aux capitaux étrangers avec des privatisations tous azimuts. C'est notamment le modèle qui a été suivi par la Pologne, l'Estonie et, plus tardivement, la Slovaquie. Mais la Slovénie présente un schéma original.La Slovénie, c'est d'abord une formidable réussite économique. En deuxième position derrière Chypre (mais sans les problèmes géopolitiques de l'île méditerranéenne) en termes de PIB par habitant, ce pays dispose d'un niveau de vie comparable au Portugal ou à la Grèce. Ljubjana peut également se targuer d'afficher des ratios de finances publiques à faire pâlir les plus grandes économies des Quinze : un déficit public à 1,8% du PIB et une dette publique à 29% de la richesse nationale seulement.Le plus remarquable dans cette réussite, c'est qu'elle s'est faite sans apports massifs de capitaux étrangers. Le flux d'investissements étrangers rapporté est sans commune mesure avec des pays comme la Hongrie ou la République tchèque. Sans parler, évidemment, de la Slovaquie ou de la Pologne. Il faut dire que lorsque le pays a accédé à l'indépendance en 1991, après une courte "guerre" contre l'armée fédérale yougoslave, il faisait encore peur aux investisseurs qui préféraient ne pas trop se rapprocher des zones de conflit de Croatie, de Bosnie ou même du Kosovo. Devant ces contraintes, Ljubjana a choisi un mode de développement original en s'appuyant sur ses propres forces. La Slovénie était le pays le plus riche et le plus industrialisé de la Yougoslavie socialiste. Le gouvernement a donc pu compter sur les capitaux locaux pour moderniser l'appareil de production slovène, notamment dans le domaine des biens de consommation. Une démarche qui a été un vrai succès : pour preuve, la marque d'électroménager Gorenje, qui peut aujourd'hui rivaliser avec les plus grands du secteur sur les marchés développés. Avec ce modèle, la Slovénie a su créer une demande interne et externe qui lui a assuré une réussite économique que jalouse plus d'un à l'Est.Evidemment, ce développement a été rendu possible par la taille très limitée de l'économie (le PIB slovène n'est que de 27 milliards de dollars). Mais il a eu pour conséquence deux traits très particuliers qui caractérisent aujourd'hui ce petit pays. D'abord, la place de l'Etat. Le développement de la Slovénie a eu lieu sans besoin de privatisation massive des monopoles d'Etat. Ljubjana conserve donc des parts majoritaires dans la plupart des banques et des sociétés minières. Ensuite, les Slovènes sont extrêmement fiers de cette réussite économique, fruit de leur indépendance. Ce sentiment a été prouvé par la dernière enquête Eurobaromètre où les Slovènes étaient 95% à se dire "fiers ou très fiers" de leur nation, juste derrière Malte (96%) et loin de la moyenne des pays candidats (86%). Sans remettre en cause l'ouverture économique, les habitants de ce petit pays verraient d'un très mauvais oeil la cession des joyaux de l'Etat à des intérêts étrangers. Au point que, dans l'attente des élections législatives du 10 octobre prochain, l'actuel gouvernement slovène a décidé de geler son calendrier de privatisations. Dans une interview donnée début mars, le Premier ministre Anton Rop avait parfaitement résumé la situation : "nous n'avons pas besoin de vendre quoi que ce soit". Il est vrai qu'avec des finances saines et une économie entièrement ouverte, on voit mal pourquoi, sinon pour des strictes raisons idéologiques, la Slovénie vendrait ses actifs. Ce "nationalisme" économique mettra-t-il les Slovènes en porte-à-faux dans la nouvelle Europe ? Nullement, car l'identité slovène n'est pas exclusive, et elle se marie fort bien à l'identité européenne. Ainsi, toujours dans le dernier Eurobaromètre, 60% des Slovènes revendiquent cette double identité, contre seulement 47% en moyenne pour les nouveaux membres de l'UE. En revanche, "l'ingérence" de Bruxelles risque d'être très mal perçue. Du coup, les Slovènes, selon Eurobaromètre, ne sont que 50% à considérer que l'adhésion est une "bonne chose". La moyenne des "dix entrants" est de 62%. C'est dire si la Slovénie ne sera pas un simple pion dans le nouveau jeu européen qui s'ouvrira en mai.
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