Quand l'Ouest reçoit des leçons de l'Est

Lorsque, en France, on songe à l'élargissement, on considère souvent que l'Ouest a tout à apprendre à ces économies nouvellement passées au système du marché. Le ton sentencieux des Occidentaux est, on le sait, fréquent. L'apogée du genre avait sans doute été atteinte lorsque Jacques Chirac avait "grondé" les pays d'Europe de l'Est pour leur politique étrangère. Un ton qui est de plus en plus mal accepté là bas. Du coup, les choses pourraient rapidement changer. Tout laisse à penser que les "petits nouveaux" ne vont pas se gêner pour donner aux grands anciens des leçons de libéralisme économique et de rigueur. C'est le cas, par exemple, du commissaire européen nommé par l'Estonie, Slim Kallas. Ce dernier, qui prendra ses fonctions le 1er mai et qui est ancien Premier ministre et ancien président de la Banque centrale de son pays, a déclaré qu'il ferait tout, pendant son mandat, pour obtenir une "réduction radicale des impôts sur les entreprises". "J'irai à la Commission avec la mission de défendre cette idée", a affirmé Slim Kallas.Evidemment, dans ce cadre, le commissaire estonien devra faire face à l'opposition des pays de tradition sociale-démocrates de l'Ouest, notamment la France, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Allemagne. Pour se rendre compte du fossé entre ces deux modèles économiques, une comparaison suffira. Lorsque la Belgique taxe 48% du revenu national, l'Estonie n'en retient que 35%. Et surtout, le modèle économique estonien est basé sur ce phénomène. Après son indépendance en 1991, le gouvernement de ce petit pays balte de 1,4 million d'habitants a choisi d'attirer les investissements étrangers par une imposition faible sur les bénéfices et sur l'investissement. Mieux, les bénéfices réinvestis sont entièrement exemptés d'impôts.Pour les Estoniens, cette méthode, très anglo-saxonne, est à l'origine de leur "miracle économique". Le pays affiche en effet des taux de croissance qui sont autant d'arguments que Slim Kallas ne manquera pas de faire valoir à Bruxelles. En 2004, les économistes attendent une croissance de 5,6% pour l'Estonie. Et le nouveau commissaire est persuadé que la fiscalité est l'arme absolue pour soutenir l'activité. "De quel outil disposez-vous pour promouvoir la création d'entreprises ? La fiscalité", s'est-il exclamé dans une interview récente. L'Europe va donc voir une vague de politiques libéraux débarquer à Bruxelles et soutenir que le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro est toujours plus important en raison de taxations trop lourdes. Ils devraient également voir arriver des pays prêts à leur taper sur les doigts en termes budgétaires. Ainsi, lors d'une réunion regroupant les dix entrants à Bratislava le 19 mars, le ministre slovaque des Finances, Ivan Miklos, a déclaré que respecter le "Pacte de stabilité devait être une nécessité". De quoi énerver encore un peu plus Français et Allemands. En fait, derrière ces leçons de libéralisme se cache un vrai enjeu : celui de la compétitivité à l'intérieur de la nouvelle Europe. Les anciens pays membres craignent en effet un véritable "dumping social" de la part des nouveaux entrants. Il est vrai que les taxes sur les bénéfices sont très basses chez ces derniers : 19% en Slovaquie, entre 16 et 18% en Hongrie, 19% en Pologne. Plutôt alléchant pour les entreprises françaises, suédoises ou autrichiennes...La conséquence peut être, à l'Ouest, une "course fiscale" avec ces pays. L'Autriche a ainsi décidé de réduire le taux d'imposition des bénéfices de 34 à 25% en janvier dernier. Reste que cette décision laisse songeur : une économie comme celle de la France a-t-elle les moyens de se lancer dans la course avec un pays au marché intérieur aussi faible que l'Estonie ou même la Hongrie ? Et est-ce tenable en termes de déficit budgétaire ? Difficilement, compte tenu de notre niveau de prestations sociales. Bref, il est peu probable que la "leçon" estonienne ou slovaque soit entendue de ce côté de l'ancien "rideau de fer". On se dirige donc vers des discussions très houleuses entre pays "sociaux-démocrates" et pays fraîchement convertis au capitalisme dans sa version la plus libérale. Avec à la clé le danger d'une paralysie de l'action économique de Bruxelles, voire de conflits internes. Déjà, la décision de nombreux pays de l'Ouest de fermer leurs marchés du travail aux ressortissants des nouveaux entrants est une réponse à ce dumping social. Plusieurs autres ripostes pourraient suivre, notamment la réduction du budget de subventions de l'Union. Un projet qui a d'ailleurs été proposé par des pays à fort taux d'imposition (France, Suède, Allemagne).
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