Elargissement, demandez la suite !

Depuis ses débuts, l'histoire de l'unification européenne est celle d'un mouvement de balancier entre approfondissement et élargissement. L'élargissement du 1er mai est le plus important depuis la signature du traité de Rome en 1957. Il laisse désormais la nouvelle Union européenne face à un double défi. D'une part, l'Europe à 25 va devoir se structurer, apprendre à fonctionner et trouver un cadre plus adapté. C'est évidemment l'enjeu des discussions sur la constitution européenne. Mais, parallèlement, l'Europe à 25 devra négocier l'entrée de nouveaux candidats et gérer ces nouvelles adhésions. Or, la tâche sera ardue dans les deux cas, avec à terme le risque de voir les peuples de l'Union la rejeter. Ce sera surtout vrai du nouveau processus d'élargissement. Actuellement, cinq pays sont encore candidats : la Macédoine, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie et la Turquie. Evidemment, ce dernier pays, par son poids démographique et l'enjeu politique de son adhésion, monopolise les esprits. Au point qu'il est devenu un des thèmes centraux de la campagne des élections européennes en France. C'est donc la présence de la Turquie dans les pays candidats qui pourrait rendre le processus d'élargissement particulièrement impopulaire en Europe. Pour preuve, un récent sondage réalisé pour La Croix montrait que 62% des Français sont favorables à la vague d'élargissement du 1er mai, mais 61% se disent opposés à l'entrée de la Turquie. Pourtant, outre le problème turc, un autre enjeu sera ouvert avec cette deuxième vague, celui de l'entrée des Balkans dans l'Union. Avec, in fine, le projet de stabilisation de la dernière grande zone trouble de notre Vieux continent. Bruxelles l'a affirmé, l'acceptation le 20 avril dernier de la candidature de la Croatie est un appel du pied aux autres pays de la région, notamment à ceux qui ont été touchés par la guerre entre 1992 et 1999 : Bosnie-Herzégovine et République de Serbie-Montenegro. La Commission a d'ailleurs proposé l'établissement d'un "partenariat" avec ces pays en vue de leur adhésion et la Macédoine, le 22 mars dernier, a déjà déposé son dossier de candidature officielle. Reste que, désormais, le problème est de savoir si l'Union stabilisera la région ou si la région déstabilisera l'Union. Car un rapide état des lieux laisse encore demeurer de nombreux doutes sur les capacités de ces pays à s'intégrer dans l'UE. D'abord, en matière économique : la convergence se fait attendre. L'écart de richesse entre ces pays et l'Union, même à 25, est très important. Actuellement, la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie sont les destinataires de nombreux sites de production qui quittent la Hongrie ou la Slovénie. Les salaires roumains ou macédoniens sont évidemment incomparablement moins chers que dans l'Union, là aussi même à 25. Surtout, beaucoup de ces économies restent encore gangrenées par la corruption et, dans ce domaine, le processus de réforme est lent. Certes, il reste encore trois ans pour faire des progrès. C'est beaucoup. Le cas des "miracles" slovaque ou lituanien doit rester dans toutes les mémoires. Et des mesures transitoires seront sans nul doute mises en place. Mais pour accélérer le rattrapage de ces pays, l'Union devra sans doute dépenser des sommes colossales, alors même que des fonds structurels insuffisants seront encore versés aux dix nouveaux membres. Force est donc de constater qu'aujourd'hui, l'entrée des pays balkaniques dans l'Union provoquerait un formidable déséquilibre.Ne peut-on pas en dire autant sur le plan politique ? Plusieurs pays candidats ont des tensions avec des membres de l'Union. Des tensions qui devront être réglées avant toute adhésion. Premier point, le Golfe de Piran, seule côte de la Slovénie, dont la Croatie conteste l'extension jusqu'aux eaux internationales. Du coup, l'an dernier, la tension avait été très vive entre les deux pays. Et le problème reste en suspens. Vient ensuite la question de la très importante minorité hongroise de Roumanie. Budapest se considère comme "protecteur naturel" des magyars de Transylvanie. Et Bucarest de crier régulièrement à l'ingérence... Enfin, dernier point, et non le moindre, celui de la Macédoine. Ce pays n'a aujourd'hui toujours pas de nom internationalement reconnu. Il est candidat à l'Union sous le nom boiteux d'ex-République yougoslave de Macédoine (FYROM en anglais). La Grèce, membre de l'UE depuis 1981, ne lui reconnaît pas en effet le nom de Macédoine, part du "patrimoine historique grec". La situation est en suspens depuis 1991 et aucun pas n'a été réalisé depuis, nul ne voulant faire de concession. La Macédoine ne pourra entrer dans l'Union sans avoir réglé ce problème. C'est dire si là aussi, il faudra du temps pour réaliser l'intégration européenne de ces pays.Or, l'Union ne disposera pas forcément de temps si elle veut régler les tensions politiques de la région par des adhésions. L'une des ambitions de l'élargissement à l'Est a en effet été d'instaurer la paix après la chute du bloc soviétique, d'empêcher les tensions d'avant 1945 de renaître sur les cendres du Pacte de Varsovie. Mais ces tensions ont repris le dessus en Europe du Sud-Est après 1989. On sait avec quelle violence. Et malgré l'apaisement actuel, les braises sont encore chaudes. Ainsi, lorsque le dossier croate a été accepté par Bruxelles, la Commission a estimé que Zagreb collaborait de façon satisfaisante avec le Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie. Mais le cas du général Ante Gotovina, accusé de crimes de guerre en Bosnie et recherché par le TPI reste en suspens. Et Bruxelles a ajouté que la Croatie devait améliorer encore le sort de ses minorités, notamment des Serbes. En Macédoine, malgré l'accalmie, la tension entre Macédoniens et Albanais reste vive. Pour preuve, le 22 avril à Tetovo, ville majoritairement albanophone, une bombe a explosé devant le bureau d'un parti slavo-macédonien. Enfin, en Roumanie, en janvier dernier, le rapporteur européen avait réclamé la suspension des négociations avec Bucarest en raison de graves manquements dans le domaine des droits de l'homme. Il n'avait évidemment pas été suivi, car la menace d'un repli nationaliste est très présente en Roumanie, avec au final, le risque de déstabiliser la région toute entière.Le chemin du nouvel élargissement est donc semé d'embûches, mais il est nécessaire. Si la nouvelle Europe veut établir la paix et la stabilité politique sur son flan sud-est, il faudra qu'elle accepte d'en payer le prix, financièrement et politiquement. Il n'est pas certain qu'elle l'accepte.
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