La chimie, oubliée de la reprise

La chimie est-elle la bonne idée d'investissement de 2004? Les prévisions de reprise de l'économie laissent en effet présager d'un rebond de la demande dans l'industrie. Et, comme souvent dans ces conditions, miser sur des secteurs cycliques comme la chimie peut se révéler payant. L'idée mérite d'autant plus d'être examinée que lors du dernier franc redressement du cycle, en 1994-1995, la chimie avait réalisé une performance remarquable. Sur la seule année 1994, l'indice sectoriel européen avait surperformé le marché européen de 25%. Et, au plus haut du cycle, en 1997, cette surperformance avait atteint 150% sur trois ans. Rebond probable de la demandeLe signe positif pour le secteur, c'est donc la reprise unanimement attendue de la demande. Cette dernière est en effet très liée à la conjoncture et les perspectives, de ce point de vue, sont unanimement positives. Et l'industrie ne devrait pas être oubliée par le rebond, comme le montre l'indice américain ISM Manufacturier qui, en janvier, est à son plus haut depuis 1950. De plus, si les Etats-Unis et l'Asie devraient continuer à être les moteurs de cette reprise, la zone euro ne sera pas laissée à l'écart. Tout ceci est évidemment de bon augure pour le secteur chimique européen. Peut-on pour autant tabler sur un phénomène boursier comparable à celui de 1994? Rien n'est moins sûr, car il apparaît que les conditions sont presque totalement différentes d'il y a dix ans. D'abord, cette reprise de la demande reste incertaine. Nul ne sait si la croissance américaine pourra perdurer au-delà de l'élection de novembre prochain, lorsque le président élu devra réduire les déficits et stopper les cadeaux fiscaux. C'est pourquoi Merrill Lynch évoque encore une "visibilité réduite" concernant la demande chimique. De même, certains, comme CSFB, ont de plus en plus de doutes sur la poursuite du "boom" chinois. Ce bureau prévoit même à la fin de 2004 un "atterrissage dur" pour l'investissement en Chine. Et si les groupes européens restent encore peu exposés directement au marché chinois (le plus exposé, le suisse Ciba n'y réalise que 6% de ses ventes globales), "l'effet sur le commerce mondial du ralentissement chinois pourrait freiner la reprise du secteur en 2004", ajoute le bureau d'analyse. Les valeurs préférées du secteurS'il est une société chimique qui fait l'unanimité, c'est bien BASF. La première capitalisation du secteur (30 milliards d'euros) est en effet sous-valorisée par rapport à ses concurrents américains : son multiple cours sur bénéfice estimé pour 2004 n'est que de 15,2, soit 23% de moins que la moyenne de ses concurrents d'outre-Atlantique. Pourtant, le groupe allemand semble être l'un des mieux placés sur le Vieux continent pour profiter du retournement de cycle. Présent sur les marchés les plus aptes à croître en 2004, notamment en Asie, BASF dispose d'un bilan extrêmement solide et d'une direction qui a la confiance du marché. Le groupe peut surtout s'appuyer sur sa structure verticale et sa forte division pétrochimique qui lui permet d'amortir la hausse du prix des matières premières. Enfin, last but not least, le cash abondant du groupe pourrait l'inciter à engager une campagne de rachat d'actions. Parmi les autres valeurs en vue cette année, citons les suisses Ciba et Celanese dont le portefeuille produits est très cyclique, mais qui, selon Merrill Lynch, sont, comme tous les groupes helvétiques, très exposés à l'effet changes. Une vision plutôt juste, au regard du récent profit-warning de Lonza. Egalement en vue, l'anglais ICI qui a engagé une restructuration énergique à laquelle croient visiblement les marchés. L'impact des changesDeuxième source d'inquiétude, les taux de change. Les chimistes européens sont évidemment très exposés aux variations des monnaies, et particulièrement du dollar qui est utilisé non seulement sur le marché américain, mais aussi sur les marchés asiatiques (notamment en Chine où le yuan est indexé sur le dollar). Merrill Lynch estime ainsi qu'une hausse de 10% de la monnaie locale par rapport au dollar a un impact sur le bénéfice imposable de 3% dans le meilleur des cas (BASF, Air Liquide) et de 8% dans le pire (Ciba, Lonza). C'est dire si cet effet changes est loin d'être négligeable. D'autant que, outre "l'effet de translation" dû à la conversion du chiffre d'affaires, il existe un autre effet tout aussi important, celui de "transaction", c'est-à-dire de compétitivité. Car au-delà de l'effet comptable, les entreprises européennes sont confrontées en Europe même à la concurrence des firmes américaines qui peuvent pratiquer des prix plus compétitifs grâce au dollar fort. Selon CSFB, certaines sociétés comme Rhodia et Ciba sont confrontées, dans leur secteur, à une intense concurrence américaine et risquent donc de perdre des parts de marché. L'effet dollar est jugé par la plupart des analystes comme le danger principal pour le secteur. Un danger qui ne pourra vraisemblablement pas être évité. CSFB, ainsi, estime que la hausse de l'euro face au dollar devrait se poursuivre en 2004 et être de l'ordre de 10,6% en moyenne. De son côté, le franc suisse pourrait s'apprécier de 7% face au dollar et la livre de 10,4%. Une situation qui a amené le bureau d'analyse à réduire de 3% son estimation de bénéfice par action sur le secteur européen pour 2004 et 2005. Nul doute, donc, que cette situation aura un impact sur les cours. A noter cependant que lors de la reprise du cycle en 1994, le dollar était, comme actuellement, en phase ascendante. La hausse était cependant moins forte : par rapport au dollar, l'"euro" reconstitué a posteriori gagna en effet au cours de l'année environ 4%, puis entama dès 2005 une phase d'affaiblissement qui dura jusqu'en 2001...Des matières premières toujours plus chèresEn 1994, les chimistes pouvaient toutefois s'appuyer, lors du retournement de cycle, sur des matières premières très bon marché. Le baril de pétrole, par exemple, se négociait en début d'année à un peu plus de 14 dollars. En moyenne sur l'ensemble de l'année 1994, le baril s'échangeait à 17,2 dollars. Ce temps semble désormais bien loin : le baril vaut actuellement aux alentours de 30 dollars. Certes, le dollar est faible, mais il n'empêche que la facture est bien plus lourde qu'il y a dix ans : il fallait débourser 12 "euros" pour un baril en 1994, il en faut aujourd'hui 24, soit le double. De même, Morgan Stanley souligne que son indice Matières Premières est actuellement 14% au-dessus de sa moyenne des 13 dernières années. Le pétrole et avec lui l'ensemble des matières premières sont donc chers. Cette situation n'est évidemment pas favorable aux chimistes, notamment dans le domaine de la chimie de spécialité qui utilise non seulement des hydrocarbures, mais aussi des produits transformés à base d'hydrocarbures. D'autant que, comme le souligne Morgan Stanley, les prix ne suivent pas. Il a en effet fallu attendre le troisième trimestre 2003 pour voir les prix moyens progresser dans la chimie de spécialité. Et encore n'était-ce que de 0,3%. Morgan Stanley estime que si le cycle de remontée des prix doit se poursuivre en 2004, la correction ne sera pas suffisante pour compenser la hausse du prix des matières premières. Les marges vont donc rester sous pression, même si, évidemment, les sociétés de chimie fine ou de pétrochimie devraient être un peu plus épargnées. Restructurations en cours et valorisations élevéesA cet environnement conjoncturel morose s'ajoute le problème des restructurations de l'industrie chimique européenne qui restent encore à faire. On peut donc s'attendre à de nouvelles fermetures d'usines, à des recompositions de groupes, et à de nombreuses suppressions d'emplois. Il suffit de songer à ce sujet à Rhodia (lire ci-contre). Or ces restructurations pourraient bien ne pas être de bonnes nouvelles pour les titres. "Historiquement, les restructurations dans le secteur ont été décevantes", souligne Morgan Stanley qui ajoute que ces opérations sont généralement dilutives, sans amener de réelles économies d'échelle. Du coup, pour les investisseurs, les restructurations sont souvent des signaux de vente...Reste la possibilité d'un retour sur le secteur du fait de valorisations attractives. Après la mauvaise performance du secteur en 2003 (stabilité en valeur absolue et sous-performance de 10% par rapport à l'Eurostock 50), on peut être tenté de penser que le secteur est désormais bon marché. D'autant que les valeurs américaines disposent d'une prime qui peut se justifier du fait de la faiblesse du dollar, mais qui est peut-être excessive. Mais un regard historique sur les valorisations montre, comme le souligne CSFB, que "le secteur semble bien payé". Actuellement, la valeur d'entreprise (capitalisation et dettes nettes) paie 1,06 fois les ventes de la chimie européenne. Un niveau supérieur à celui de 1994 et qui semble dans la moyenne long terme. Les valorisations ne seront donc pas un levier pour l'ensemble du secteur. Dollar, pétrole, restructurations, reprise fragile de la demande : le secteur semble donc loin d'être l'opportunité que l'on pourrait croire. "Nous considérons que le chimie est le moins attractif des secteurs cycliques", conclut même la Commerzbank. Mais cela n'exclut évidemment pas quelques opportunités (lire ci-dessous). Romaric GodinPour Rhodia, le retour de la confiance attendraMalgré un changement de management bien accueilli et les premiers succès de sa restructuration, les bureaux d'analystes demeurent sceptiques sur le chimiste français. La plupart restent d'ailleurs sur une recommandation à la vente. Morgan Stanley, par exemple, n'attend pas un retour aux bénéfices avant 2008 et considère que Rhodia ne devrait pas être capable de dégager des liquidités avant 2007. Sur le plan opérationnel, la situation est très difficile : le groupe est en effet l'un des plus exposés au risque devises et le domaine sur lequel Rhodia s'est concentré, la chimie de spécialité, sera sans doute le moins à même de profiter du rebond cyclique. Quant aux désinvestissements, Merrill Lynch doute que le groupe français soit capable d'en tirer un bon prix. Bref, si la survie de Rhodia semble assurée, le pire en termes boursier reste peut-être encore à venir. Si l'on en croit CSFB, le titre est en effet encore surévalué en termes de ratio valeur d'entreprise sur résultat d'exploitation estimé pour 2004. De son côté, Morgan Stanley a un objectif de cours de 2,30 euros, soit 37% en deçà de son cours du 19 janvie
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