La Bourse n'est pas un terrain de football

Les clubs de football traversent actuellement une phase critique. Le déluge d'informations de ces dernières semaines a dressé le tableau d'un secteur plein de contrastes. D'un côté, les indices regroupant les clubs cotés montrent une belle santé, l'introduction de Fenerbahçe en Turquie s'est révélée être un franc succès et Manchester United est l'objet de toutes les convoitises. De l'autre, Leeds United est sur le point de déposer le bilan, la Roma a été abandonnée par ses sauveurs russes, inquiets des perquisitions ordonnées par la justice italienne, et l'on a appris qu'en 2000 la Lazio avait payé les primes de ses joueurs avec des fonds détournés chez son actionnaire principal, le groupe agroalimentaire en faillite Cirio. Une ambiance de "jugement dernier", avec ses damnés et ses élus, donc. Une ambiance qui sent la fin d'une époque. On entend déjà résonner le glas de l'industrialisation du foot...Revers de la médailleDevant une telle situation, plutôt que de suivre avidement les péripéties de ces affaires, il convient de prendre du recul. Et de s'interroger sur le modèle économique du football. La question, à vrai dire, n'avait pas été réellement abordée lors de la vague d'introductions en Bourse de la fin des années 90. On s'était alors contenté de gommer les spécificités du football. Chacun assurait que les clubs étaient de simples entreprises de spectacle. Le sport n'était alors qu'un "média", un intermédiaire pour d'autres activités. Comme le cinéma, par exemple, l'industrie de football se basait sur des talents individuels pour séduire un large public et développer des produits dérivés et attirer les médias. Les analystes médias ou loisirs ont alors pris en main ses valeurs. Ils devaient rapidement cesser de les suivre.Aujourd'hui, force est de constater que cette vision a montré ses limites. C'est le développement des droits télévisuels qui a transformé le statut du football : consommateur d'argent, il est devenu "producteur d'argent". C'est à ce moment qu'il est entré dans sa phase industrielle. Mais, de ce passé, les clubs ont conservé leur culture économique. Une culture à double face. D'un côté, elle assure la popularité mondiale de ce sport. Elle permet à des équipes peu performantes mais avec une histoire forte de remplir malgré tout les stades (citons Manchester City ou l'Atletico Madrid) et de vendre des produits dérivés. Mais elle a un revers redoutable : la conviction que la victoire n'a pas de prix.Pour certains, la fin justifiant les moyens, toute dépense, même la plus importante et même la plus illégale, s'est trouvée justifiée. Rien d'étonnant alors à ce que des actionnaires majoritaires ou des dirigeants n'hésitent pas à s'endetter massivement ou à piocher dans des "caisses noires". L'autre conséquence, c'est l'inflation des salaires. La victoire dépendant du talent des joueurs, ces derniers ont été de mieux en mieux payés, soit pour être conservés, soit pour être attirés. C'est ce phénomène qui a en grande partie ruiné les clubs européens entre 1997 et 2001.En fait, l'économie du football peine à entrer dans une logique financière pure du fait de l'importance de la main-d'oeuvre. Cette dernière crée la vraie valeur de l'entreprise : la victoire. Les activités dérivées (maillots, droits TV, etc.) ne dépendent que de cela. Or, pour créer de la valeur, un club de football ne peut compter que sur ses stars. Il est impossible de réaliser, sur elle, des économies d'échelle grâce à des investissements technologiques, par exemple. Du coup, la redistribution des revenus se fait prioritairement vers cette main-d'oeuvre. Et les actionnaires, eux, ne peuvent espérer être payés de retour. Ils restent souvent de généreux donateurs. D'où l'incompréhension radicale entre le football et le monde de la Bourse. Une réussite exemplaireIl existe pourtant de véritable succès, Manchester United en est le principal exemple. Sauf que le club mancunien s'est en fait converti au capitalisme classique en devenant une marque. La victoire est importante, mais elle n'est alors plus essentielle pour générer du revenu. Les achats et les salaires peuvent donc être réduits. Mais peu de clubs au monde sont capables d'une telle capitalisation sur leur "marque". Même le deuxième club le plus riche du monde, la Juventus, n'y est pas parvenu.Quel avenir donc pour le football européen en Bourse ? La période actuelle va permettre de "purger" les erreurs de la phase d'industrialisation. Par la suite, les clubs qui tenteront à nouveau l'aventure en Bourse devront se convertir à la transparence, à la gestion rigoureuse, mais ils seront toujours soumis aux règles d'une économie dominée par le travail. Hors cas exceptionnel cité plus haut, le succès boursier n'est donc possible que pour des clubs disposant de résultats corrects avec un budget limité. Pour les autres, reste la possibilité du mécénat. De plus en plus de clubs s'y rallient, et recherche un "sauveur", notamment après le rachat de Chelsea par Roman Abramovitch en juin 2003.Romaric Godin Une culture de mécénatPour bien comprendre la spécificité du football, il faut remonter en arrière. Dans les années 30, le football a pris une dimension nettement "politique". Les équipes sont devenues les porte-drapeau des espoirs, des ambitions et des idées des nations, des partis politiques, des communautés, mais aussi des entreprises. L'exemple le plus évident de cette situation est bien la compétition entre le très franquiste Real Madrid et le FC Barcelone, porteur des espoirs régionalistes catalans dans les années 50-60. Le modèle économique des clubs s'apparente alors à celui du pur mécénat. Pour soutenir son camp, un groupe ou un homme ou une entreprise mettaient, à fonds perdus, de l'argent dans une équipe.
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