"Le poids politique de l'agriculture en France, ce fardeau qui entrave les négociations de l'OMC"

latribune.fr- Est-ce un autre "Cancun" qui se profile lors de la prochaine conférence du cycle de Doha en décembre ?Emmanuel Combe- Il est vrai que la situation est très similaire à celle qui a conduit les négociations de l'OMC à un échec au Mexique en 2003. Mais en dépit des résistances européennes et plus particulièrement françaises, il ne faut pas perdre de vue qu'en théorie, les 148 membres de l'OMC ont tout intérêt à éviter un nouvel échec des négociations. Depuis l'accord du GATT en 1947, aucun cycle de négociation n'a échoué, même l'Uruguay Round qui s'est prolongé de 1986 à 1994. Certes minimalistes, les concessions européennes avaient permis d'aboutir à un compromis.Pourquoi la question agricole apparaît-elle cruciale pour l'Europe ?La Politique Agricole Commune (PAC) représente aujourd'hui entre 40 et 50% du budget communautaire pour seulement 4% de sa population active. C'est dire la puissance politique du lobby agricole et agroalimentaire européen. Non seulement le faible nombre d'agriculteurs leur permet d'être très organisés, mais beaucoup de pays sont marqués par leur héritage rural. D'ordre purement politique, la réticence européenne dans les négociations n'est donc pas motivée par une logique économique.La PAC, qui serait affectée par des concessions généreuses de l'Europe à Hong Kong, doit-elle être préservée ? Alors que les besoins pour l'innovation, la recherche et bien d'autre secteurs stratégiques ne manquent pas, la PAC s'avère coûteuse, inefficace et injuste. Injuste non seulement pour les pays pauvres qui manquent de débouchés - et gagneraient davantage à l'ouverture des pays européens qu'à recevoir leurs aides au développement -, mais également au sein de l'Union européenne. De fait, les subventions à l'export entraînent des hausses des prix intérieurs. Le beurre y est par exemple 3 à 4 fois plus cher que le prix moyen mondial, une injustice pour les faibles revenus. Mais les consommateurs, eux, ne sont pas ici organisés en lobby, au contraire des Etats-Unis, plus marqués par une culture consumériste. En démontre le poids politique d'un personnage comme Ralph Nader. Enfin, les subventions, qui portent en priorité sur le blé, le sucre, le lait, le beurre et la viande, profitent essentiellement aux gros producteurs industriels.Pour quelles raisons la France tente-t-elle de brider les propositions de la Commission européenne ?Avec le Japon et la Corée, la France se range parmi les pays les plus protectionnistes. Certes, les diplomates français brandissent à juste titre l'argument de l'accès privilégié que la France offre aux pays de la zone Afrique-Pacifique-Caraïbes (ACP), qui souffriraient de perdre cet avantage avec la levée générale des barrières douanières. De plus, la tradition agricole est particulièrement forte dans l'Hexagone, où environ la moitié de la population habitait encore en zone rurale en 1930. Au contraire de la Grande-Bretagne par exemple, qui a procédé à une reconversion de son activité agricole dès le XVIIIe siècle. Un virage qu'aurait dû prendre la France ces derniers temps, en se développant par exemple dans les énergies renouvelables ou l'agriculture biologique. Pensez-vous que la France mette réellement en péril les négociations ?Sa menace d'opposer son veto à la proposition de la Commission européenne doit être perçue, pour l'heure, comme un procédé de dissuasion. Après le "non" du 29 mai au référendum, la France n'aurait pas intérêt à paraître une nouvelle fois isolée et contestataire aux yeux de la communauté internationale.Comment se positionnent les Etats-Unis ?Non seulement l'enjeu agricole s'avère moins important outre-Atlantique sur le plan électoral, mais les Etats-Unis ont pris le parti de ne pas lutter en vain pour une cause perdue. Leur tactique de prendre l'initiative en formulant une offre ambitieuse (réduction de 60% des aides aux agriculteurs et suppression de toutes les aides à l'exportation des produits agricoles d'ici 2010) s'avère tout à fait judicieuse. En effet, les Etats-Unis savent qu'ils devront de toutes façons s'aligner par la suite sur une proposition moins généreuse de l'Union européenne.
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