"Les banques centrales sont confrontées à des tensions inflationnistes latentes"

latribune.fr. - L'agitation de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne (BCE) autour de l'inflation est-elle justifiée ?Philippe Weber. - Le niveau d'inflation supérieur à 4% est jugé inconfortable par la Fed tandis que les 2,5% de la zone euro approchent le seuil habituellement toléré par la BCE. Mais ces évolutions sont surtout le fait de la flambée des cours du pétrole. Aucun signe de tension n'apparaît du côté de l'inflation sous-jacente. Les salaires n'embraient pas, les entreprises ne répercutent pas les hausses du fioul, de l'essence et autres produits pétroliers sur leurs prix de vente. Enfin, l'importation des biens industriels bon marché en provenance d'Asie contribue à contenir la hausse des prix. Dans ce cas, pourquoi les banques centrales s'inquiètent-elles ?Les erreurs commises dans les années 1970 leur ont laissé un goût amer. A deux reprises après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les banques centrales se sont inquiétées trop tard de l'inflation. Elles ont dû réagir d'autant plus sévèrement qu'elles sont intervenues tard, entraînant de sévères périodes de récession. Seule ou presque, l'Allemagne n'a connu qu'une courte période de ralentissement en 1979, la Bundesbank ayant réagi plus tôt que ses consoeurs. Et aujourd'hui, quels sont les facteurs alarmants ?Cela fait plus de trois ans que la base monétaire mondiale augmente de 15 à 20% par an pour une croissance du PIB d'environ 5%. Le flux de liquidités a gonflé les prix des obligations et ceux de l'immobilier, entretenus par des taux de crédit particulièrement bas. De fait, les taux des banques centrales ont été maintenus à des niveaux plancher. La BCE persiste à garder son taux directeur à 2% depuis juin 2003 tandis que la Fed a maintenu le sien à 1% pendant plus d'un an et que le Japon le laisse encore à 0% pour lutter contre la déflation. Résultat, le prix des immeubles, par exemple, a été multiplié par deux en cinq ans et pourrait se répercuter en bonne partie sur les loyers, au moins à moyen terme. Les banques centrales se trouvent donc confrontées à une hausse latente de l'indice des prix.Dans cette perspective, pourquoi les taux longs restent-ils si bas ?Pour certains, cela signifie que le marché anticipe une récession. Mais certains facteurs techniques compliquent la donne. Leur politique de change a ainsi conduit les banques asiatiques à investir massivement dans les obligations américaines: le Japon dispose ainsi de 35% du stock obligataire américain avec 700 milliards de dollars de titres. De sorte que le rendement des obligations, qui évolue en sens inverse des prix, n'a cessé de reculer. Autre facteur de baisse des taux longs, les fonds de pension américains, échaudés par la chute des marchés d'actions, ont rééquilibré leurs portefeuilles au profit de cette classe d'actifs moins risquée. Enfin, la faiblesse durable de l'inflation a fait baisser la prime des placements longs par rapport aux courts. On pourrait même avoir une inversion de la courbe des taux aux Etats-Unis: très corrélé aux taux directeurs, le rendement court pourrait bientôt y dépasser les taux longs.Quelles peuvent être les conséquences de cette évolution ?Les banquiers, dont un des métiers, la "transformation", est d'emprunter à court terme pour prêter à long terme, limiteront leur activité de prêts aux clients les moins risqués. Mais ce décalage entre le prix d'équilibre des obligations - qui devrait s'élever à 5,5% environ compte tenu des anticipations de croissance et d'inflation - et leur prix de marché pourrait aussi se dissiper brusquement. Compréhensible en période de sortie de récession ou de chocs économiques, cette anomalie, malgré les facteurs techniques évoqués plus haut, reste ce qu'Alan Greenspan, le président de la Fed, a qualifié d'énigme.
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