Michael Eisner, grandeur et décadence du père adoptif de Mickey

Dure aura été la chute pour le Roi Michael. Le charismatique PDG de Disney tire sa révérence après 20 ans de règne sans partage au sommet du groupe de divertissement. Les défis qu'aura à relever son successeur, Robert Iger, fidèle lieutenant depuis l'année 2000, seront nombreux mais le plus lourd sera certainement d'être comparé à Michael Eisner, dont le nom s'est si longtemps confondu avec le groupe d'animation.Celui qui avait peu d'amis et beaucoup d'ennemis a mené une carrière flamboyante - qui a connu un brutal coup d'arrêt avec la défiance votée à 45% par les actionnaires du groupe en mars dernier. Comment, après avoir sorti Disney du doux train train dans lequel le groupe s'était enfoncé depuis des années, le célèbre PDG a-t-il pu susciter un tel vent de haine? Il faut dire que la mégalomanie tendance bourreau de travail, voire bourreau tout court, de ce fils d'avocat choyé de la haute société new-yorkaise, lui a taillé une réputation de fer auprès de ses proches. Pourtant, c'est bien grâce à un indéniable flair, une volonté tenace et une rigueur sans faille que Michael Eisner, né le 7 mars 1942, a réussi la transformation de Disney. Battant et paranoïaqueAvant de prendre la direction du groupe en 1984, il a essayé son talent ailleurs. Son diplôme de lettres en poche, il commence d'abord chez CBS puis est recruté chez ABC, où il lance le feuilleton à succès "Happy Days" qui a pour toile de fond les années 50, et les non moins connus "Starsky et Hutch". Vite repéré par le président de la chaîne, Barry Diller, il est propulsé par ce dernier en 1976 à la tête des studios Paramount. Il y lancera "Grease", "Saturday Night Fever" et les "Aventuriers de l'arche perdue". Déjà, sa dureté et son arrogance se font jour. "C'est un battant mais aussi un paranoïaque. Il y a chez lui un côté excessif qui m'a toujours gêné", confiait il y a quelques années son ancien patron Barry Diller.Qu'importe. Ce caractère trempé, doublé de compétences à la fois dans le marketing - il vient de la télé - et dans le cinéma attire Disney, qui végète depuis la mort de son fondateur Walt. D'une société en berne, propriétaire de deux parcs à thèmes, qui produit quelques mauvais films, Eisner va faire un géant des médias. Passionné, tenace, charmeur, le new-yorkais réussit en quelques années à multiplier par 20 le chiffre d'affaires, en exploitant à fond le trésor du groupe. Il se mêle de tout, retarde la sortie de films qu'il juge mal doublés, va même jusqu'à animer lui-même une émission sur Disney Channel. Son règne sera marqué par les sorties de succès tels que Aladin et Le Roi Lion. Il lance des produits dérivés et entreprend la restauration des parcs par des architectes de premier plan. En 1992, Disney fait ses débuts à Marne la Vallée en région parisienne. Wall Street est aux anges. Le PDG est désormais rebaptisé "Magic Eisner". En 1995, son règne est couronné par le rachat du groupe de télévision ABC pour 16 milliards de dollars.Accident d'hélicoptèrePourtant un an avant, c'est déjà la première fêlure. En 1994, Michael manque d'y passer: il subit un quadruple pontage coronarien. Surtout, son numéro deux Frank G. Wells meurt dans un accident d'hélicoptère. Faute d'avoir pu le remplacer, le génial patron des studios Paramount Jeffrey Katzenberg claque la porte. Ce dernier ira ensuite fonder avec Steven Spielberg les studios DreamWorks. Michael Eisner embauche ensuite en catastrophe un ami de longue date Michel Ovitz, qui tiendra moins d'un an et partira avec un chèque d'au moins 100 millions de dollars. Un arrangement qui a d'ailleurs poussé les actionnaires à faire un procès au groupe. Sans Frank G. Wells pour faire contre-poids, Michael Eisner reste tel qu'il est: autoritaire et arrogant. Son caractère autocrate fait partir les meilleurs éléments et serait même à l'origine de la rupture avec les studios d'animation Pixar, desquels sort pourtant Le Monde de Nemo. Le groupe et son patron perdent de leur lustre. Dix ans plus tard et un éclatement de bulle Internet après, c'est un réveil en forme de gueule de bois pour les administrateurs. En particulier, Roy Disney, qui avait pourtant soutenu Michael Eisner à ses débuts, et son acolyte Stanley Gold entreprennent une véritable campagne contre le PDG. En décembre 2003, Roy, le neveu de Walt, est sommé de quitter le conseil d'administration en raison de son âge: il a alors 73 ans. Il en profite pour publier une lettre assassine contre le PDG. Griefs invoqués: son incapacité à redresser l'audience d'ABC, la mauvaise gestion qui fait fuir les talents, le partenariat avorté avec Pixar... En février 2004, le groupe est en plus menacé par une OPA hostile menée par le câblo-opérateur Comcast. Bien que divisé, le conseil d'administration fait quand même front contre le prédateur. Ce qui n'empêche pas le 3 mars les actionnaires de voter à 45% pour le départ du roi Michael. Comcast abandonne son projet en juillet. Entre temps, et conformément à sa personnalité, le PDG, qui perd pourtant sa place de président, décide de rester à la direction opérationnelle du groupe jusqu'à la fin de son mandat prévue pour 2006. Comme pour donner tort à ses détracteurs, il ne cesse depuis de publier des résultats en hausse. A 63 ans pourtant, peut-être parce qu'il est sûr d'avoir choisi un dauphin qui ne lui fera pas d'ombre, Michael Eisner tire sa révérence. Sandrine CassiniDisney sur le chemin de la croissanceAprès des années difficiles, le groupe Disney a incontestablement retrouvé la santé. Sur son dernier exercice (clos fin septembre 2004), le chiffre d'affaires a progressé de 14% à 30,75 milliards de dollars, tandis que le bénéfice net a augmenté de 85% à 2,4 milliards de dollars. Bob Iger, actuel directeur général, avait promis une croissance d'au moins 50% du résultat net. Ce sont les parcs à thèmes, les réseaux de télévision câblés (la chaîne de sport ESPN, les chaînes pour enfants) et les produits dérivés qui ont tiré les résultats. Le réseau national ABC a même diminué ses pertes, grâce à une réduction des coûts et à la reprise de la publicité. Cette année, son défi sera de revenir dans le vert. Autre enjeu: tout le monde attend Disney dans les salles obscures. Sur le dernier exercice, il n'a en effet sorti aucun film.
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