Quand la Fnac se prend pour un laboratoire...

Par latribune.fr  |   |  1089  mots
Il le reconnaît lui-même: "c'est une bizarrerie de la Fnac". Ainsi s'exprime Victor Jachimowicz, directeur des laboratoires d'essai de la grande enseigne de distribution. Cette "bizarrerie" s'est installée en 1988 à côté de la Bibliothèque François Mitterrand, dans le 13ème arrondissement à Paris, à l'opposé du siège de Clichy. Atteindre les locaux des laboratoires tient en ce moment du parcours du combattant. Ilot isolé au sein du dernier quartier d'affaires en devenir, l'immeuble années 70 à la façade de béton brut et aux fenêtres bordées de plexiglas bleu est coincé entre le quai de la Seine, l'échangeur du pont d'Ivry et l'océan d'échafaudages appelé à donner naissance aux futurs immeubles de bureaux.En arrivant au 4ème étage, même impression de déménagement-emménagement. Dans l'entrée, les kyrielles de cartons entreposés tiennent lieu d'hôtesse d'accueil. Où est-on ? Dans les locaux que la Fnac qualifie de laboratoire d'essai, façon recherche et développement. "Aucun autre distributeur ne fait la même chose en France ou à l'étranger", assure Victor Jachimowicz. C'est sur cet étage que la Fnac sélectionne et note techniquement les produits électroniques qui seront sur ses étagères et qui feront partie des fameux "Dossiers Fnac", entièrement rédigés par Victor Jachimowicz lui-même. "Au départ, c'est le très militant fondateur trotskiste de la Fnac, André Essel, qui a eu l'idée de mettre les tests dans le journal de la Fédération Nationale pour l'Achat des Cadres", explique-t-il, tout en reconnaissant que "aujourd'hui, ces dossiers, qui ont été très médiatisés, ressemblent plus à des catalogues".EtoilesObjectif du labo: noter techniquement les produits. "On ne fait que des mesures, en excluant tout critère de beauté, de gamme, de design ou de prix". En fonction des résultats des tests, le labo attribue un certain nombre d'étoiles au produit, voire pose son veto à la vente. Pas de problème côté fournisseurs, assure Victor Jachimowicz, qui nie toute pression éventuelle. "Lorsqu'un produit est mal noté, on envoie la fiche technique au fabricant et on discute avec les ingénieurs", indique-t-il. "Mais c'est bien plus cool qu'on ne le croie".De toutes façons, au final le chef de produits de la Fnac peut choisir un appareil mal noté. D'autant que par ailleurs, outre une note technique, les produits sont classés en fonction du rapport qualité/prix et classés selon leur "niveau de sophistication", loin de critères techniques purs et durs.Pour "aider les clients à choisir à bon escient", le labo du 13ème passe au gril de ses machines les nouveautés de l'électronique grand public, de la téléphonie, les imprimantes et les scanners. La photo, activité historique des magasins, est restée à Clichy. Le principe est toujours le même: se mettre dans la peau du consommateur. "On se demande ce qu'il faut tester. Par exemple, concernant les téléphones portables, dès le départ les consommateurs se sont plaints du manque d'autonomie des appareils", explique le testeur en chef. "Les fabricants, qui se sont tous mis d'accord, promettent par exemple 250 heures de veille et 2h30 de communication. C'était bidon au départ et ça l'est toujours autant". Le labo a ainsi mis en place des tests reproduisant une utilisation réelle, et conclut... qu'aujourd'hui comme hier, un gros consommateur de mobile ne tient pas une journée sans recharger sa batterie.Pour tester l'efficacité des appareils - combinés mobiles, matériel hi-fi, caméscopes - la Fnac s'est équipée du même matériel que celui utilisé par les constructeurs. Elle possède ainsi plusieurs "cages de Faraday", ces pièces de cuivre qui protègent des rayonnements radio. Il y a celle aux murs tapissés de mousse bleue taillée en pics, et traitée anti-écho, qui met à l'épreuve les performances radio des combinés mobiles. Il y a la même, version "Orange mécanique", avec ses pics plus grands réservés au matériel sonore. Autre curiosité des lieux: "Marguerite", la fleur montée sur travelling et sa dizaine de filtres mouvants qui met à l'épreuve la qualité des caméscopes. Ouvert sur le couloir, le studio photo réservé aux prises de vues des produits, afin que "chacun soit traité à égalité".Usine à essaisPlus qu'un laboratoire, c'est une "usine à essais" qui a été mise en place. "Il faut pouvoir tester toutes les nouveautés qui arrivent en même temps deux fois par an, en novembre/décembre et de la mi-mai à la mi-juillet". Et comme dans tout bon laboratoire, les choses évoluent. Une grande machine ressemblant à une machine à laver a été mise au rencart: "on y testait les chocs thermiques sur les caméscopes par exemple. Actuellement, ils réagissent tous de la même façon au chaud-froid, c'est-à-dire tous aussi mal. Ce n'est donc plus un critère discriminant". Il y a aussi les produits qui disparaissent - comme les magnétoscopes, en mort clinique, ou les enregistreurs nomades, qui s'éteignent peu à peu. Et ceux qu'on ne teste pas, comme les ordinateurs. "Au départ, il y avait des grosses différences de performances, mais ce n'est plus le cas. Et cela va trop vite, le temps qu'on publie les tests, ils sont déjà dépassés. On se contente donc de donner des éléments comparatifs". Pourquoi une telle débauche d'énergie? "Vu la complication de la chose, c'est un peu maso comme démarche", reconnaît le directeur du laboratoire, qui assure par ailleurs que les concurrents ne se privent pas de copier sa sélection de produits. Mais le "labo" fait historiquement partie de la Fnac. Sauf qu'à ses débuts, les essais, c'était le vendeur du "Photo-Ciné-Club", première implantation de l'enseigne, logée alors boulevard Sébastopol, qui s'en chargeait. A l'époque, il descendait dans la rue pour tester les appareils photos et pouvoir discuter avec ses clients. C'était en 1961. Mais son petit luxe, la Fnac peut se le payer: le million d'euros annuel de budget du labo n'est qu'une goutte d'eau pour le distributeur, qui, 40 ans plus tard, a dépassé les 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Et c'est finalement un moyen plutôt bon marché de conserver quelque chose de l'image de marque de ses débuts, qui était alors frappée au sceau de la défense du consommateur...