En mal de stratégie, le prédateur Saint-Gobain devient une proie

"Où allons-nous?": le titre d'une étude publiée par Exane sur Saint-Gobain en dit long. Avec le lancement de son offre de rachat de 5,46 milliards d'euros sur le plâtrier britannique British Plaster Board (BPB), le groupe de construction et de matériaux sème le trouble dans l'esprit de nombreux opérateurs, tant du point de vue de sa stratégie industrielle que sur le prix payé. Certes, BPB est le leader mondial sur son marché. Et le plâtre est un matériau très complémentaire des autres activités de Saint-Gobain. Mais pourtant, l'acquisition de ce producteur européen s'inscrit difficilement dans la stratégie un peu floue du groupe. En effet, depuis deux ans, Saint-Gobain a adopté une stratégie orientée vers la distribution dans les pays industrialisés et la production dans les pays émergents. Il a cédé plusieurs actifs dans les matériaux de construction comme Terreal ou Stradal. En contrepartie, le groupe a pris des positions importantes dans la distribution de matériaux, comme Lapeyre, où les marges sont plus élevées que dans la production. Un choix motivé par le fait que beaucoup de matériaux connaissent des problèmes de débouchés: "les usines croulent sous les stocks", selon un consultant interrogé par latribune.fr.En outre, Saint-Gobain est prêt à débourser près de 5,5 milliards d'euros pour BPB, au terme d'une offre relevée. Un prix très élevé, selon le marché, qui représente une prime de 40% par rapport au dernier cours de Bourse de la société, avant la première offre de Saint-Gobain. "Historiquement, Saint-Gobain paie toujours cher ses acquisitions", confie un analyste. Reste qu'à ce prix, l'opération, déjà controversée, risque d'être peu rentable pour Saint-Gobain. D'après Exane, le retour sur investissement de l'opération diminuerait même, à partir de 693 pence par action. Or, l'offre de Saint-Gobain est aujourd'hui de 720 pence... Ainsi, au niveau actuel, la rentabilité de l'opération n'est déjà plus optimale, selon les estimations d'Exane. Pour la société de Bourse ETC Pollak, cependant, l'offre reste créatrice de valeur jusqu'à 750 pence. Autre source de trouble pour le marché: cette opération intervient dans un contexte sensible pour le groupe. L'ancien numéro deux de Saint-Gobain, Christian Streiff, vient de s'en aller, alors qu'il était pressenti depuis plusieurs mois pour succéder à Jean-Louis Beffa en 2007. Certains évoquent d'importants problèmes relationnels avec le patron du groupe, qui aurait eu du mal à lui céder des pouvoirs. Preuve que l'ambiance au sein de l'équipe dirigeante n'est pas des plus sereines.Une cible potentielleDu coup, en Bourse, ce manque de clarté de la stratégie, qui accentue le statut de conglomérat de Saint-Gobain, pèse sur le titre. Deutsche Bank estime ainsi que les marchés infligent à Saint-Gobain une décote de 12% par rapport aux autres groupes du secteur. Ce qui en fait une proie potentielle. D'autant que le groupe possède un capital très éclaté, avec 85% de flottant, ce qui le rend opéable.Pour Dexia Securities, Saint-Gobain pourrait ainsi devenir la cible de fonds d'investissement. Mais cette hypothèse n'est probable que si Saint-Gobain se déleste de son fardeau de l'amiante aux Etats-Unis. Le groupe a déjà dû passer 326 millions d'euros de provisions à ce titre en 2004, et devait poursuivre son effort cette année. Mais justement, fin mai, le Sénat américain a adopté un amendement afin de constituer un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, qui permettrait l'abandon des plaintes. De quoi donner au groupe français les moyens de sortir de cette lourde affaire...Dès lors, pour nombre d'observateurs, la cause est entendue: si Saint-Gobain se donne autant de mal pour mettre la main sur BPB et accepte de payer autant, c'est tout simplement dans l'idée de grossir suffisamment pour se protéger contre un prédateur éventuel... Même si rien ne permet de penser qu'une telle "protection" suffira à mettre le groupe à l'abri.
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