1 - Corrado Passera (Banca Intesa) : "Une autorité européenne du secteur bancaire est inévitable"

La Tribune.- Vous coopérez avec votre actionnaire principal, le Crédit Agricole (17,8% des parts de Banca Intesa) dans le crédit à la consommation et plus récemment dans la gestion d'actifs en lui cédant votre société Nextra. Avez-vous d'autres collaborations en vue? Corrado Passera.- Nous ne pouvons bien sûr exclure qu'à l'avenir il y ait d'autres coopérations. On dit en italien qu'il n'y a pas de limite à la providence mais pour le moment, nos coopérations, fondées sur quinze ans de connaissance et de respect réciproques ainsi qu'une forte volonté, s'en tiennent là. La nouvelle version du pacte d'actionnaires de Banca Intesa prévoit une clause de protection en cas d'OPA. Le recours à ce type d'instrument est-il nécessaire? Il est très important pour la banque de savoir qu'elle a derrière elle des actionnaires de long-terme, très impliqués, unis entre eux et prêts à appuyer les investissements nécessaires à la garantie d'une croissance soutenable. Pouvez-vous vous imaginer une expansion ou des projets communs avec le Crédit Agricole en Europe centrale et de l'Est? Banca Intesa a une présence très solide en Europe centrale et de l'Est, notamment dans six pays avec nos banques de détail (Croatie, Hongrie, Slovaquie, Bosnie, Serbie, Russie), souvent comme la deuxième ou troisième banque nationale. Nous avons sélectionné trois pays, l'Ukraine, la Roumaine et la Turquie, où nous étudierons des opportunités. C'est donc un champ de développement propre à Banca Intesa. Je n'exclus pas qu'il y ait des pays dans lesquels Crédit Agricole et Banca Intesa peuvent faire des choses ensemble. Où en êtes-vous en Roumanie? Nous sommes la seule banque italienne actuellement en lice pour l'achat de la Banca Comerciale Romena (BCR). Le rachat d'HVB et donc de Bank Austria par Unicredito ne vous marginalise-t-il pas dans cette région? En Europe de l'Est, il y a de la place pour plusieurs groupes bancaires internationaux. Unicredito, assurément dans une position de fort leadership après son acquisition d'HVB, est l'un d'entre eux. Banca Intesa y figure parmi les principaux opérateurs du marché, notamment dans la banque de détail. Peu nombreuses sont les banques qui y ont une présence structurée comme la nôtre. Dans les années à venir, il y aura certainement une concentration ultérieure du marché autour des opérateurs présents aujourd'hui. Nous jouerons notre rôle dans cette phase de consolidation. Vos projets d'acquisition excluent donc le marché bancaire d'Europe de l'Ouest? En ce moment oui, car avec l'Italie nous avons un grand espace de croissance et nous voulons nous y consacrer avec la plus grande attention possible. L'autre raison, négative celle-là, est que le marché bancaire européen, surtout dans la banque pour les particuliers, n'est pas encore unifié. Les synergies possibles d'une acquisition transfrontalière sont encore plutôt limitées. Mais nous aurons les yeux grand ouverts dans les prochaines années et s'il y a des opportunités intéressantes nous les étudierons.Et en Italie? Nous nous intéressons à toutes les banques régionales intéressantes où nous ne sommes pas encore suffisamment forts. Il s'agit d'acquisitions sélectives en Italie, comme en Europe de l'Est. Vous ne pensez donc pas avoir un problème de dimension?Nous voulons croître rapidement comme le démontre notre plan mais il ne faut pas devenir esclave de cette mode actuelle qui privilégie la dimension pour ce qu'elle représente. Une acquisition n'est intéressante que s'il y a de la valeur en plus, des synergies, quelque chose qu'il n'y avait pas sans elle. La taille en effet n'apporte pas toujours que des avantages: elle est aussi synonyme de nombreux désavantages, coûts de complexité, lenteur. Parfois, c'est le client justement qui paie les conséquences de ces acquisitions. Ce n'est donc pas une position idéologique, négative de notre part envers les acquisitions, mais juste une grande rigueur dans la façon de les évaluer. Pourquoi n'avez-vous pas été intéressés par l'achat de Banca Antonveneta? D'abord parce que nous sommes déjà plutôt forts dans la région d'Antonveneta. Mais aussi car les OPA lancées sur Antonveneta et BNL ont été faites à des prix qui n'étaient pas intéressants pour nous. Votre principale concurrente, la banque italienne Unicredito, est sur le point d'avaler la banque allemande HVB et de totaliser ainsi une capitalisation boursière de près de 48 milliards d'euros. Comment pensez-vous combler ce fossé? Il faut être attentif à réaliser sa propre stratégie sans se laisser distraire par les autres. Il y a trois ans notre valeur était bien inférieure à Unicredito et aujourd'hui nous sommes en gros au même niveau de capitalisation. Et nous ne modifions pas notre stratégie qui s'est révélée valide et a été appréciée par les actionnaires parce qu'une autre banque fait un choix différent du nôtre. Pour atteindre nos objectifs, nous n'avons pas besoin de réaliser des acquisitions, mais cela ne veut pas dire que nous ne surveillerons pas attentivement la situation. Une fusion entre grandes banques italiennes comme la vôtre est-elle désormais possible? En Italie ces dix dernières années, il y a eu plus d'opérations de fusions-acquisitions que dans n'importe quel autre pays européen, soit au moins 500 opérations. La part de marché cumulée des cinq principaux groupes bancaires italiens sur leur marché national est d'ailleurs tout à fait comparable à celle observée en France et en Espagne, et nettement plus élevée que celle du marché allemand. La privatisation des caisses d'épargne italiennes est aussi considérée comme exemplaire dans le monde entier. La part de marché des banques publiques ou assimilées est aussi plus basse que dans les quatre grands pays de l'Europe Continentale. L'Italie a fait un travail de privatisation, de renforcement et de consolidation tout à fait positif de son secteur bancaire. Cette réforme est le mérite des banquiers qui l'ont faite et de la Banque d'Italie qui l'a favorisée. Souvenons-nous dans tous les cas que dans l 'intérêt du marché et des clients il est nécessaire de maximiser la concurrence sans créer de situations d'oligopole. Plusieurs banques occidentales négocient actuellement leur arrivée sur le marché chinois. Etes-vous de la partie? Le pire que l'on puisse faire dans une entreprise est de vouloir tout faire partout. En général, c'est le meilleur moyen pour se faire mal. Nous, nous avons décidé d'être une banque universelle sur un marché important, à savoir l'Italie, et dans plusieurs pays de l'Europe centrale et de l'Est. En Chine, nous sommes probablement la banque italienne la plus présente: nous avons non seulement deux filiales mais aussi une joint-venture avec la Bank of China et Simest. Et nous sommes peut-être la seule banque italienne à avoir été autorisée à faire des opérations en monnaie locale. Mais il s'agit d'une présence spécialisée pour aider toutes les entreprises italiennes qui sont ou veulent opérer là-bas, ainsi que les firmes chinoises qui veulent opérer en Italie. Et en Russie, vous avez racheté cette année la KMB... Oui, après la ZAO Bank destinée aux entreprises, nous avons désormais cette petite banque de détail en Russie. Ayant une activité "retail" se développant déjà bien en Europe centrale et de l'Est, nous avons décidé de faire cet investissement mesuré pour expérimenter le grand marché russe. Si le marché répond bien et si le niveau des risques est acceptable à la longue, il peut peut-être y avoir d'autres opportunités. La controverse sur le rôle du gouverneur de la Banque d'Italie lors des OPA bancaires sur Antonveneta et BNL ternit l'image de l'Italie bancaire. Comment voyez-vous cette situation? Il ne nous semble pas opportun de commenter le comportement de notre régulateur. Ces deux OPA sont très complexes, difficiles. Nous ne sommes de toute façon intéressés ni par Antonveneta ni par la BNL. Tant que ces opérations ne seront pas closes d'un point de vue judiciaire ou de marché, tout commentaire serait déplacé.Le cas de ces deux OPA a démontré à nouveau le revers d'une surveillance du secteur bancaire très différente d'un pays à l'autre. Faudrait-il selon vous uniformiser cette surveillance au niveau européen? Oui, aujourd'hui nous avons beaucoup de marchés nationaux avec des règles et des superviseurs différents. Nous devons arriver à des règles uniformes. Il sera donc inévitable d'avoir une autorité de surveillance commune. Il est important qu'actuellement ces différents superviseurs et régulateurs se parlent et se coordonnent entre eux. Par ailleurs il y a trois ou quatre modèles de contrôle du secteur bancaire et financier en Europe: de ce point de vue aussi, il est souhaitable que les différents pays se dirigent vers un modèle commun.Combien espérez-vous récupérer de la cession de votre part de la Banque d'Italie (26,8% du capital) prévue dans le projet de loi de réforme de la banque centrale? Le chiffre d'un gain de 537 millions d'euros a circulé... Impossible à dire car il n'y a pas de marché pour les participations de la Banque d'Italie! Nous l'avons dans nos comptes à une valeur très basse, environ un dixième des fonds propres de la banque. Cela dépendra du vote de la loi et des critères que l'Etat imposera à cette transaction. L'aspect le plus important de la nouvelle loi à laquelle le Parlement travaille en ce moment, est la garantie d'une autonomie maximale de la banque centrale et ce aussi dans le futur.Le gouverneur Fazio aurait dit que s'il démissionne, une OPA étrangère sur l'assureur Generali serait possible. Voyez-vous vous aussi ce risque, Generali étant votre partenaire de bancassurance et un de vos principaux actionnaires (6,67 % de Banca Intesa)? Je ne sais si cette phrase a été dite par Antonio Fazio. En tout cas, Generali a un groupe d'actionnaires très solide et est une société cotée en Bourse qui obéit aux règles du marché européen, comme nous tous.Banca Intesa peut-elle atteindre les objectifs de son nouveau plan triennal avant son échéance en 2007? Nous nous sommes fixé des objectifs plutôt courageux, sachant qu'ainsi Banca Intesa serait parmi les toutes meilleures banques de la zone euro. Mais cela n'aura rien d'une promenade. Un taux de retour sur fonds propres (ROE) de 20% et un coefficient d'exploitation de 50% semblent à notre portée car nous avons une vitesse de croissance déjà supérieure à celle prévue dans notre plan et les coûts sont sous contrôle. Nos résultats du premier semestre 2005 sont dans la ligne du plan triennal. Vous voulez accélérer la fin de votre partenariat avec la banque d'affaires Lazard... Pourquoi? Nous considérons avoir le droit à l'interruption immédiate de la joint-venture avec Lazard à cause des récentes modifications dans sa propriété dérivant de l'opération d'introduction en Bourse de Lazard USA. Ces changements, entre autre, ont provoqué chez Lazard Italie le départ de personnes extrêmement importantes à la bonne gestion de la joint-venture. Tout ceci fera l'objet d'une procédure d'arbitrage, dont la durée est incertaine car le sujet est plutôt complexe. Jusqu'au jugement, nous continuerons à respecter notre contrat en coopérant avec Lazard. Quoi qu'il en soit, nous ne renouvellerons pas notre contrat après sa date d'échéance prévue pour le 31 décembre 2007. Avez-vous déjà prévu un partenariat avec une autre banque d'affaires pour se substituer à Lazard Italie? Non. L'accord avec Lazard Italie ne concerne que les opérations de fusions-acquisitions de firmes au chiffre d'affaires supérieur à 500 millions d'euros, ce n'est donc qu'une activité de modeste dimension parmi toutes celles que nous avons. Il est possible qu'à la fin de cet accord, il ne soit plus nécessaire d'avoir une telle alliance spécifique avec une autre banque internationale.Une entrée de votre établissement au capital de l'autre grande banque d'affaires milanaise Mediobanca est évoquée... Il n'y a absolument rien en ce sens. Avec la conversion de votre prêt de 650 millions d'euros à Fiat en titres de ce constructeur, vous en devenez un des principaux actionnaires. Cette participation est-elle stratégique pour Banca Intesa? Il y a trois ans, nous avons participé à une importante opération de recapitalisation parce que nous croyions qu'il était possible de guérir et de relancer le groupe Fiat. Aujourd'hui, beaucoup de gens y croient et cela nous fait plaisir. Notre rôle d'actionnaires est évidemment temporaire et nous n'avons aucune intention de nous mêler de la gestion de l'entreprise. Votre participation à l'augmentation de capital de 1,2 milliard d'euros de la compagnie aérienne Alitalia a été évoquée... Quand Alitalia aura un nouveau plan industriel qui doit tenir compte de l'augmentation significative du coût du pétrole, nous étudierons s'il est opportun de participer à cette augmentation de capital. Comme dans tous les autres cas de crise industrielle, nous sommes prêts à avoir un rôle actif mais à condition qu'il existe des plans de relance crédibles. Vous avez aussi accordé des financements importants à d'autres groupes industriels italiens à l'instar de Piaggio, Versace, Prada, etc... Quelle est la philosophie de ce type d'engagement de votre part? C'est une des choses à la fois complexes mais surtout satisfaisantes de ces dernières années que de travailler avec tant d'entrepreneurs italiens traversant des moments difficiles et recherchant un partenaire bancaire solide. Nous avons vu beaucoup de ces moments critiques mais chaque fois qu'il y avait un entrepreneur et un projet crédibles, nous ne nous sommes pas dérobés. Dans chaque cas, notre intervention a permis d'assainir et de relancer l'entreprise et dans certains cas de trouver de nouveaux partenaires, de nouveaux marchés et même de rouvrir les portes des entreprises qui avant notre intervention avaient déjà dû jeter l'éponge. Cela est un des côtés les plus agréables de mon métier de banquier.Voir ci-contre la deuxième partie de cette interview
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