Rüdiger Grube : "mon rôle est désormais de défendre tous les actionnaires d'EADS"

Par latribune.fr  |   |  1653  mots
Dans une interview accordée à la Tribune, l'actuel co-président du conseil d'administration de EADS (au côté d'Arnaud Lagardère) et futur président unique, revient sur l'accord intervenu en début de semaine pour doter le groupe aéronautique européen d'une nouvelle gourvernance. Et explique sa vision très précise de sa mission.

La Tribune : Vous vous êtes mis d'accord sur une nouvelle gouvernance. EADS est-elle sur la voie de devenir une entreprise comme les autres ?
Rüdiger Grube : EADS est une entreprise normale avec une gouvernance normale. Nous nous dotons d'une organisation qui va lui permettre d'être plus efficace, moins lourde, plus transparente. Nous avons aujourd'hui une équipe de dirigeants qui se connaît depuis longtemps et qui sait travailler ensemble. Je connais Louis Gallois depuis plus de 15 ans alors qu'il était président d'Aerospatiale et que j'étais assistant du président de Deutsche Airbus. Je connais Tom Enders depuis la même époque quasiment. Il m'a suivi à de nombreux postes chez DASA, la filiale aéronautique armement de Daimler qui a fusionné dans EADS. Je vais être surtout seul président du conseil d'administration, donc mon rôle est désormais de défendre les intérêts de tous les actionnaires et plus seulement ceux des Allemands. Nous avons donc maintenant dans nos mains les conditions pour faire d'EADS un groupe performant. Et n'oubliez pas chaque jour où nous avons un désaccord est un bon jour pour Boeing. A l'inverse chaque jour où nous tirons la corde du même côté est un bon jour pour EADS.

Mais les hommes aux commandes restent les mêmes. Les syndicats se demandent ce qui va vraiment changer dans EADS et si les querelles ne vont pas se poursuivre ?
Chacun a des responsabilités uniques, ce qui est un élément très important, tout en assurant la continuité dans l'organisation. Et nous avons pu nommer les dirigeants en fonction de leurs qualités même si nous avons aussi respecté au niveau du top management un équilibre des nationalités.

C'est la critique de certains analystes qui reprochent à cette parité franco-allemande de ne pas prendre en compte les seuls critères de compétence?
L'évolution d'EADS a lieu en trois temps. Lors de la première phase, après sa création en 2000, une gouvernance bicéphale était indispensable pour faciliter l'intégration des structures. Sept ans après le groupe était mûr pour accepter une structure de direction monocéphale. Mais il a besoin aussi d'avoir la confiance des équipes et c'était important que les quatre postes clés du groupe soient équilibrés entre Français et Allemands. Dans une prochaine étape, nous serons en mesure de nommer les meilleurs pour chaque poste, puisque désormais ce sont le chairman et le président exécutif qui proposeront au conseil leurs successeurs. L'époque est terminée où les actionnaires français nommaient les dirigeants Français et les Allemands les Allemand.

N'avez-vous pas décidé du principe d'une alternance des responsabilités en fonction des nationalités pour dans cinq ans ?
Nous l'avons évoquée. Ceci dit un équilibre des nationalités est important, ne serait ce qu'à cause de la nature même de nos activités. Les clients d'une partie du portefeuille d'EADS et notamment des activités de défense, de sécurité et de satellites sont des gouvernements.

Pourquoi n'avez-vous pas profité du changement de présidents il y a deux ans pour modifier la gouvernance et décider d'une direction unique, comme le souhaitait déjà à l'époque certains managers français ?
Nous en avons discuté il y a deux ans. Mais le dossier n'était pas mûr du côté politique. Je dois saluer la volonté réformatrice du président de la République française, Nicolas Sarkozy, qui ensemble avec Angela Merkel et les actionnaires privés a favorisé cette fois l'aboutissement de la réflexion. Il a fallu les expériences négatives des deux dernières années à la fois en matière de management comme la dispute entre actionnaires sur les dividendes pour que tout le monde comprenne l'urgence d'un changement de la gouvernance. Et c'est une grande victoire pour l'amitié franco-allemande et pour l'aéronautique européenne qui a toujours été portée par l'axe franco-allemand.

Vous étiez co-chairman. Vous allez à l'automne devenir chairman unique. Qu'est ce qui va changer dans votre fonction ?
Mon rôle sera d'exercer une surveillance au nom de tous les grands actionnaires et de soutenir le travail du CEO, qui lui sera chargé de son côté des contacts avec les petits actionnaires et les institutionnels. Je me rendrai régulièrement en France, régulièrement sur le terrain dans les différentes activités pour discuter de la stratégie car je serai président de cette nouvelle commission stratégie que nous allons mettre en place au sein du conseil d'administration. Elle comprendra également le président exécutif d'EADS, un représentant de la Sogeade, un représentant de Daimler et un représentant indépendant du conseil. Celui-ci à l'avenir sera constitué de onze membres. Outre le chairman et le CEO, il y aura donc deux représentants de Daimler et autant de la Sogeade, un du Sepi et quatre indépendants. Ce qui est nouveau également c'est la constitution du comité d'audit et de rémunération qui existe aujourd'hui mais qui sera présidé à l'avenir par un indépendant.

Comment allez vous recruter ces membres indépendants ?
Le chairman et le CEO vont proposer au conseil des personnalités en fonction de leurs compétences et de leurs diversités. Les actionnaires, lors de l'assemblée qui aura lieu à l'automne, devront avaliser nos choix. Nous nous sommes mis d'accord sur un nombre de critères très précis auxquels ils doivent souscrire, expérience internationale et du secteur de l'aéronautique et de l'espace, intégrité, crédibilité, étique, expérience en tant que patron d'une entreprise, ancien membre du gouvernement. Et nous ne souhaitons pas que des Français et des Allemands. Tous les détails de l'accord conclu ce week end ont été recensés dans un avenant qui va être joint au pacte d'actionnaires signé en 2000.

Quelle durée aura votre contrat ?
Cinq ans, comme celui du président exécutif. Mais après trois ans, la prolongation de notre fonction sera soumise à un vote de confiance du conseil d'administration.

A quelle date la nouvelle organisation doit elle entrer en application ?
Nous sommes en train de vérifier s'il nous faut attendre l'assemblée générale des actionnaires qui aura lieu à l'automne ou si nous pouvons anticiper pendant une phase de transition.

EADS va-t-elle pouvoir se permettre le luxe de conserver trois sièges, avec Amsterdam, Paris et Munich ?
C'est une question de détail. Il y a autres urgences.

Il est question d'aller plus loin encore pour réformer le pacte d'actionnaire. Qu'avez-vous décidé ?
Nous nous sommes mis d'accord pour créer deux groupes de travail. L'un doit réfléchir à la structure et l'équilibre de l'actionnariat à moyen terme, l'autre à comment nous pouvons nous protéger face à des actionnaires potentiels non désirés.

Quand voulez vous conclure ?
Il est trop tôt pour le dire mais soyez sûrs que nous voulons aboutir rapidement à une conclusion.

Avec un droit de regard aussi pour le gouvernement allemand ?
Non. Le gouvernement allemand a seulement été consulté lors de toutes les négociations des dernières semaines. Mais il n'est pas actionnaire. Il a seulement un droit de préemption à compter de juin 2010 sur les titres de Daimler, au cas où celui-ci voudrait sortir du capital.

Et l'Etat français?
Les actionnaires français et allemands ont un droit de préemption réciproque sur les participations de l'autre camp.

Les propositions que doivent faire les deux groupes de travail vont -elles aboutir à définir un nouveau pacte ou est il seulement prévu un autre avenant si des modifications interviennent?
Le pacte n'est pas limité dans le temps. En cas de modifications, comme ce que nous venons de décider, nous lui ajoutons un avenant.

Ces dernières années, Daimler donnait l'impression de vouloir au plus vite se débarrasser de sa participation dans EADS. Jürgen Schrempp avait même boudé la présentation de l'A380 à Toulouse qui avait réuni tous les patrons des autres partenaires d'Airbus. Lundi Dieter Zetsche était à Toulouse aux côtés de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel. Maintenant que Chrysler va reprendre son indépendance, EADS regagne t-il ses lettres de noblesse au sein du groupe ou reste t-il une participation financière ?
Je suis président du conseil d'EADS. Cela prouve clairement que Daimler est entièrement impliqué dans EADS.

Les reproches ont été nombreux ces derniers temps envers Lagardère et Daimler pour vouloir faire la pluie et le beau temps sans s'engager vraiment puisque les deux groupes ont vendu une partie de leur participation au plus haut du titre et juste avant que ne soit connu les déboires de l'A380. N'est ce pas abusif que de décider alors que vous ne détenez que 15% du capital ?
C'est un raisonnement inexact. Les industriels français et allemands et les Etats français et espagnol détiennent au total 50,5% du capital. Ce n'est pas une minorité.

Mais vous n'avez même pas été capable de vous mettre d'accord sur les dividendes lors de la dernière assemblée générale ?
J''espère que cela ne se reproduira plus dans l'histoire d'EADS.

Nicolas Sarkozy souhaite l'entrée de nouveaux actionnaires au sein d'EADS ?
Nous sommes bien évidemment ouverts à de nouveaux actionnaires. Dubai vient de rentrer comme la banque russe...Mais cela ne remet en cause en aucune façon le pacte d'actionnaires.

Et comment avez-vous réglé la question de l'augmentation de capital ?
EADS est une entreprise saine qui n'a absolument pas besoin de capital aujourd'hui. Bien évidemment nous avons discuté ces derniers jours de cet aspect. Mais nous sommes unanimement arrivés à la conclusion qu'actuellement le groupe n'avait pas besoin d'argent frais.