Roméo et Juliette, du noir au blanc

Par latribune.fr  |   |  488  mots
Le célèbre couple inventé par Shakespeare est ici, à l'Opéra Bastille, chorégraphié par Sasha Waltz sur la musique de Berlioz. Avec orchestre dans la fosse et immense choeur et solistes sur scène. Un spectacle où la totalité l'emporte sur le détail.

Grand succès, marqué par de forts applaudissements à la fin de la présentation, du "Roméo et Juliette" mis en danse par la chorégraphe allemande Sasha Waltz sur la musique d'Hector Berlioz à l'Opéra de Paris (Bastille). Succès mérité, pour de bonnes raisons. Mais disons tout de suite qu'il laisse quand même, après coup, une légère impression de manque. Ce couple d'amoureux dont on croit connaître la fougue amoureuse, l'irrépressible désir de transgresser les règles locales, celles du mariage, de l'honneur et des guerres familiales, montre ici beaucoup de pudeur, de réserve quant à ses passions.

Ce manque de "chair" des deux héros ne se ressent pas immédiatement. Parce que Sasha Waltz compose l'ensemble du ballet avec beaucoup d'intelligence, de retenue aussi pour rester dans l'esprit de la partition tellement étonnante de Berlioz, cette symphonie dramatique, comme l'intitule les experts, aux reflets musicaux annonciateurs d'une certaine abstraction. Pour la chorégraphe, cette contemporanéité, matière première de son travail, semble lui avoir permis de gommer les effets trop ostentatoires, trop romantiques aussi - l'époque de Berlioz - dans la relation des deux jeunes gens qui semblent toujours aux aguets.

Cette réserve faite, on apprécie la virtuosité avec laquelle Sasha Waltz crée un espace (elle participe aux décors au côté de Pia Maier-Schriever et Thomas Schenk alors que les lumières sont de David Finn) permettant des interactions multiples et passionnantes sur la scène entre le choeur (près de 80 choristes !), trois chanteurs solistes (la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova, le ténor Yann Beuron et la basse Mikhael Petrenko), trois danseurs (les étoiles Aurélie Dupont -Juliette-, Hervé Moreau -Roméo-, et Wilfried Romoli -le Père Laurence-) et une vingtaine de danseurs du Corps de ballet. Beaucoup de monde donc dirigé avec efficacité et talent depuis la fosse par Valery Gergiev (en alternance avec Vello Pähn) et l'orchestre de l'Opéra.

Dans cette immense cage de scène où le noir domine, le plateau est en partie recouvert par deux immenses et très anguleux plateaux d'un blanc intense. D'abord superposés, ils s'ouvrent et forment successivement chambre, mur, et finalement plan uniquement plat. Cette aire très géométrique de tous les possibles rappelle la chambre d'amour comme la tombe. Elle offre de magnifiques images, Roméo grimpant désespérément la paroi (émouvant Hervé Moreau), Juliette recouverte de pierre (Aurélie Dupont très sobre), le couple s'engageant dans un très beau pas de deux, une danse des familles pour une fête délirante en tutu balancé façon tcha-tcha-tcha ... Pour sa première oeuvre commandée par l'Opéra de Paris, Sasha Waltz réussit son entrée dans la grande maison.

Renseignements pratiques :
"Roméo et Juliette" jusqu'au 20 octobre en alternance. Opéra Bastille (Paris). Tél. : 08 92 89 90 90.