Une journée particulière dans la Roumanie de Ceausescu

"Mon film n'est ni pour ni contre l'avortement", nous déclarait Cristian Mungiu de passage à Paris pour faire la promotion de son film en France. Une façon de couper court à la rumeur qui enfle depuis le dernier festival de Cannes où le film, projeté en tout début, a fait l'unanimité tant parmi la critique qu'au marché du film, et où il a obtenu en toute logique la palme d'or. N'en déplaise aux censeurs et au Vatican qui a fait connaître son opposition dans "L'Osservatore Romano", le film n'est pas une oeuvre de propagande ni de polémique mais une histoire vécue racontée par le menu, une expérience sans retour qui ne laisse personne indifférent. L'oeuvre ayant également obtenu le prix de l'Education national, le ministre de l'Education, Xavier Darcos, après avoir hésité, a fini par autoriser la prochaine diffusion dans les collèges et lycées d'un DVD pédagogique du film.Pour son deuxième long métrage - après "Occident" en 2002 -, Cristian Mungiu, 39 ans, également auteur du scénario, retrace une journée très particulière dans la vie de deux copines. Réaliste et en même temps très léché, "4 mois, 3 semaines et 2 jours" ("4, 3, 2" pour faire court) est un film très abouti malgré un petit budget de 700.000 euros. Son auteur y montre une maîtrise des plans séquences et de l'image qui le situe parmi les plus grands du septième art. Les deux filles en question sont étudiantes dans le même campus, en 1987, deux ans donc avant la chute du communisme, dans une ville de province de Roumanie. Contrairement aux autres "démocraties populaires" d'Europe de l'Est où l'avortement était autorisé voire encouragé, dans ce pays des Carpates, il était sévèrement réprimé par une loi de 1966. Non pas pour des raisons morales mais pour augmenter la main d'oeuvre taillable et corvéable à merci. L'une de ces deux filles, Gabita, a un grave problème, elle a tardé à voir la réalité en face, elle est enceinte et bien qu'elle ait dépassé le délai "raisonnable" pour un avortement (selon son évaluation, elle en est à "4 mois, 3 semaines et 2 jours"), elle se résout à passer à l'acte. Sur le campus où règne la combine pour se procurer tous les biens introuvables sur le marché (cigarettes américaines, cosmétiques, contraceptifs...), elle peut compter sur sa copine de chambrée, Ottila (l'excellente Anamaria Marinca), qui est en fait l'héroïne du film, pour trouver quelqu'un qui la "libère". En l'occurrence ce sera un médecin, surnommé M. Bébé, sinistre personnage qui non content d'empocher une somme d'argent jugée insuffisante va profiter du désarroi des deux filles et de la clandestinité à laquelle elles sont comme lui contraintes pour abuser d'elles. Si Gabita, la première concernée, va vivre le traumatisme dans sa chair, le sort de sa copine Ottila n'est pas plus enviable. C'est à elle que va revenir l'épreuve d'organiser l' "opération" dans un hôtel ultra-fliqué de la ville, de faire bonne figure devant sa belle famille qui l'accueille pour dîner, enfin de se débarrasser du foetus. Un vrai cauchemar assumé avec une volonté de fer. Les deux filles parviendront-elle à sauvegarder leur amitié? Comment vont-elles vivre après cette expérience? Ces questions taraudent le spectateur tenu en haleine par ce film mené comme un thriller qui, comme l'aventure qu'il raconte, laisse une trace indélébile.
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