Pourquoi l'Europe doit renégocier avec l'Irlande

Par Eric Albert, à Dublin  |   |  880  mots
Développement immobilier abandonné au centre de l'Irlande
Les élections de ce vendredi en Irlande devraient donner un mandat au nouveau gouvernement pour renégocier le plan de sauvetage. C'est une bonne chose : pour sauver l'euro, Bruxelles doit faire un geste et arrêter d'enfoncer l'Irlande.

La colère qui règne en Irlande est impressionnante. Après trois années de grave récession (-11% de PIB au total), un chômage qui a triplé, et surtout quatre plans d'austérité en trois ans, les Irlandais n'en peuvent plus. Presque tous ont été directement touchés par la crise. Le ras-le-bol devrait s'exprimer dans les urnes ce vendredi. Le parti au pouvoir, le Fianna Fáil, va être laminé: il avait 42% des voix lors des élections de 2007, et n'est crédité que de 15-17% pour ces élections.

Le très probable nouveau premier ministre, Enda Kenny, du parti Fine Gael (centre droit), a mené campagne sur un thème principal: renégocier le plan de sauvetage du FMI et de l'Union Européenne. Pour l'instant, Bruxelles, mais surtout Berlin, ne veulent pas en entendre parler. Ils ont tord. L'Irlande fait partie de la zone euro. Si la monnaie unique doit être sauvée, il faut aider ce pays, pas l'enfoncer.

Les conditions imposées à l'Irlande sont telles que le pays aura beaucoup de difficultés à se relever de cette crise. Le plan de sauvetage impose à l'Irlande de réaliser 15 milliards d'euros d'économies pendant les quatre prochaines années, dont six milliards dès cette année. Pour donner une idée de l'ampleur de la tâche, c'est presque 10% du PIB. Comme si on demandait à la France d'économiser environ 190 milliards d'euros, soit une fois et demi le budget de l'éducation nationale!

Si l'Irlande avait été un pays dépensier, dont le déficit venait d'un Etat irresponsable, un tel plan pourrait peut-être se justifier. Mais l'Irlande a déjà passé quatre plans d'austérité. Les salaires des fonctionnaires ont été baissés de 15% en moyenne ; les allocations sociales ont été baissées ; un nouvel impôt, entre 2% et 10% suivant les revenus, vient d'être imposé pour payer le plan de sauvetage.

Le résultat est sans surprise: l'économie irlandaise ne s'en remet pas. La récession continue, malgré des exportations en forte progression. Cette année, les économistes prévoit une très légère croissance, mais à peine. Et donc, les recettes fiscales sont en baisse, ce qui rend presque impossible de réduire le déficit.

Surtout, ce ne sont pas tant les dépenses de l'Etat qui creuse le déficit que le problème des banques irlandaises. C'est entendu: celles-ci ont fait n'importe quoi dans les années 2000, prêtant beaucoup trop et créant une gigantesque bulle immobilière. Mais aujourd'hui, l'Etat n'en finit pas de renflouer les banques. La facture atteint désormais 50 milliards d'euros, mais le plan de sauvetage du FMI prévoit 35 milliards de plus. Au total, c'est plus de 50% du PIB. Intenable! Et il paraît plus que dangereux -et injuste- de tenter de payer cela en baissant les allocations chômages. Imaginez qu'on baisse les aides aux chômeurs français à cause des pertes de la Société Générale ou de BNP Paribas.

Enfin, outre les mesures d?austérité, le plan de sauvetage international de 67,5 milliards d'euros (le total atteint 85 milliards d'euros, mais une partie vient d'un fonds de réserve irlandais) impose des conditions très dures. Le taux d'intérêt est de 5,8%. En clair, la France et l'Allemagne -entre autres- font des bénéfices sur le dos des Irlandais, puisqu?ils empruntent à moins de 3%.

Conséquence de tout cela: l'Irlande ne peut pas se redresser, du moins pas à court terme.

Que faut-il faire? Baisser le taux d'intérêt du plan de sauvetage aiderait. L'Irlande économiserait environ 600 millions d'euros pour une baisse de 1%. Un taux d'intérêt autour de 3,5-4%, au lieu de 5,8%, permettrait au pays de rembourser 3,5 milliards d'euros en moins pendant les trois prochaines années. Ce serait un premier pas, simple à réaliser. Mais ce n'est pas assez.

L'autre aide devra porter sur les banques. En particulier, les porteurs d'obligations dites "seniors" des banques irlandaises doivent accepter des pertes. Jusqu?à présent, leur argent a été garanti par l?Etat irlandais au début de la crise. En clair, les pertes des banques ont été nationalisées. C?est cette grave erreur que l?Irlande paie aujourd?hui.
Au moins 24 milliards d'euros d?obligations seniors sont en jeu. En imaginant par exemple que leur valeur soit réduite de moitié, cela permettrait de couvrir presque l?ensemble du plan d?austérité de quatre prochaines années. De quoi vraiment aider l'Irlande à rebondir.

Le probable nouveau gouvernement se veut raisonnable: il exclut d'agir de façon unilatérale sur ce sujet. Il reconnaît que cela doit être négocié de façon paneuropéenne. Il a raison: s'il agissait dans son coin, cela risquerait de faire paniquer les détenteurs d'obligations de banques portugaises ou espagnoles, et provoquer une nouvelle crise de la zone euro. Mais une telle solution est inévitable.

Certains trouveront qu'il est injuste d'aider ainsi les Irlandais. Qu'ils ont profité des années de la bulle immobilière. Qu'ils devraient augmenter leur taux d'imposition sur les sociétés (de 12,5%). Peut-être. Mais ce n'est pas le sujet. Si la zone euro veut se sauver, elle doit aider l'Irlande. Sinon, cela reviendra la hanter.