Veut-on vraiment résoudre la crise du logement en France ?

La Fondation Abbé Pierre vient de publier de nouveaux chiffres catastrophiques sur le mal-logement en France. Et si on s'attaquait réellement aux raisons qui conduisent à ce paradoxe économique français : demande et prix en hausse et offre en baisse.
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Le nombre de logements mis en chantier en France baisse régulièrement depuis 2006 avec une remontée en 2011 suivie malheureusement d?une forte rechute de près de 20% en 2012 avec 304000 logements malgré l?augmentation de la demande solvable à l?accession -les taux d?intérêt sont bas- et une collecte record du livret A pour financer le logement social. La baisse de 30% enregistrée au 4ème trimestre traduit même une accélération du repli qui devient inquiétante au regard d?un possible reprise à moyen terme.

Ce déficit de l?offre qui contribue à maintenir les prix à un niveau élevé, notamment à Paris, résulte en fait de la faible élasticité à la demande qu?il est intéressant d?analyser pour comprendre comme la résoudre.

Une pénurie durable

Le rapport de la Fondation Abbé Pierre sorti cette semaine évalue à 3,5 millions le nombre de mal logés et même 8 millions si on y ajoute les ménages qui s?estiment à l?étroit ou en situation précaire. Le chiffre évolue en hausse régulière depuis longtemps et montre que l?économie du logement a dérapé depuis les années 90 par rapport à l?économie générale et aux revenus des ménages.

Bien entendu, la situation est fondamentalement différente entre les zones tendues (la région Ile-de-France, certaines villes en particulier sur la façade méditerranéenne et le genevois) et les villes moyennes du centre et du Nord Est. Mais il est frappant de constater que c?est en région parisienne où la crise se fait le plus sentir que le taux de construction est le plus faible : entre 2 et 3 fois moins par habitant que dans le lyonnais ou en Midi-Pyrénées !

Selon l?OCDE, la France en queue de peloton en Europe

L?OCDE a procédé à une étude intéressante sur les politiques du logement dans différents pays développés et ses conséquences sur l?économie qui -on s?en doutait- sont fortes : non seulement au niveau de l?emploi dans le secteur du BTP (50000 emplois sont menacés en France en 2013) mais également sur la productivité du fait de la plus ou moins grande mobilité du personnel et de la difficulté de modérer l?évolution des salaires quand les prix de l?immobilier dérapent.

L?étude porte aussi sur une variable économique fondamentale: l?élasticité de l?offre de logement par rapport à la demande ou comme on s?y attendait la France est en queue de peloton avec l?Italie et la Grande-Bretagne loin derrière les USA mais aussi des pays scandinaves et, ce qui est plus surprenant, du Japon malgré l?exigüité des zones urbaines constructibles et leur densité.

Les déterminants de cette faible élasticité semble être essentiellement la rareté foncière et la réglementation en matière d?urbanisme. Examinons dans le cas français ces deux éléments et les moyens d?améliorer notre classement.

Le lancinant problème foncier

Il est étonnant que le pays le plus vaste d?Europe avec une densité de population cinq fois inférieure à celle des Pays-Bas connaisse des problèmes fonciers. Mais il s?agit en fait des terrains rendus constructibles par les plans d?urbanisme qui sont en effet en voie de raréfaction pour de multiples raisons, certaines légitimes d?ordre environnemental, mais d?autres qui le sont moins et procèdent d?une approche quelque peu malthusienne.

L?exemple du grand Paris est éclairant à cet égard : le Schéma directeur de 1994 avait fixé un objectif de 53000 logements annuels qui nécessitait sur 25 ans une surface annuelle de 43500 hectares soit 4% de la surface de l? Ile-de-France. Le nouveau schéma élève l?objectif à 70000 logements (+35%) mais réduit la surface constructible à 28500 hectares (-25%) .

Penser que l?on va ainsi d?un schéma à l?autre doubler la densité constructible moyenne, c?est en réalité organiser délibérément la pénurie de terrains et maintenir leurs prix à un niveau élevé.

Certes, l?objectif de construire « la ville sur la ville » nouvelle appellation de la vieille politique de « containment» des années cinquante est louable mais ne peut à lui seul régler le problème du logement des 13 millions de franciliens car la transformation de l?urbain existant est difficile et surtout très lente (plusieurs générations, on n?est plus au temps d?Haussmann !). Il faut donc viser à la fois l?urbanisme intensif et extensif car le gel de terrains en deuxième couronne repoussera encore plus loin dans les départements limitrophes du bassin parisien les populations défavorisés.

La dévolution des terrains publics est intéressante car si elle ne peut régler à elle seule qu?une fraction du problème elle peut avoir un effet d?entrainement significatif. Mais il faut aller bien au delà des 1000 parcelles répertoriées depuis 2006 car beaucoup sont de petite taille, mal situées ou même déjà vendues.

En Ile-de France de nombreuses grandes emprises peu ou pas utilisées pourraient recevoir des milliers de logements. Citons notamment l?aéroport militaire désaffecté de Brétigny, le nord de Satory, le port de Gennevilliers, la plaine de Montesson, le petit aérodrome au nord de Chelles, le nord du Bourget etc?

Mais il faudra moderniser pour ce faire les outils de l?urbanisme opérationnel en faisant appel largement aux partenariats public privé sous forme de concession et d?une manière générale revoir l?imposant code de l?urbanisme français.

Moderniser la réglementation

La France n?est pas mal classée par l?OCDE en ce qui concerne le délai moyen de délivrance des permis de construire. Mais ce délai minimum de 2 mois n?est pas celui des zones tendues . Compte tenu des contraintes de tous ordres et des multiples normes constructives, couteuses et freinant la créativité des architectes, il n?est pas rare de mettre plusieurs années voire 10 ans pour décrocher un permis, en particulier à cause de la multiplication des recours dont certains sont manifestement abusifs mais sont rarement sanctionnés.

Mais c?est surtout la partie du code relative à l?aménagement foncier qui devrait être dépoussiérée : les ZAC issues de la loi foncière de 1967 (!) sont devenues inadaptées et trop facilement annulables par les tribunaux. Construire du logement a des externalités négatives pour le voisinage (?nimby?, ?not in my backyard?) mais les exemples étrangers de concertation préalable au projet avec les habitants devraient nous inspirer pour refondre la vieille procédure d?enquête publique qui n?est plus adaptée.

Le logement social peut-il être contracyclique ?

Il est tentant de soutenir une conjoncture déprimée du bâtiment par une relance de l?habitat social qui est en France particulièrement important avec près de cinq millions de locataires. L?objectif du gouvernement est de lancer un programme de 150000 logements sociaux : les financements sont en effet suffisants du fait de la mobilisation du 1% UESL et des prêts de la Caisse des Dépôts. Mais à moins de construire des logements dans des secteurs où ils sont inutiles- ce que refuse à juste titre le Ministère, c?est le manque de projets et de terrains qui va limiter les ambitions.

Toujours le mur de l?offre !

C?est ainsi que le nombre de projets financés en Ile -de -France est passé de 40000 en 2011 à 25000 en 2012 et sans doute moins en 2013. Il est donc probable que l?objectif national doive être sérieusement révisé à la baisse et que l?effet contracyclique soit faible. Les marchés publics et privés du logement marchent en réalité du même pas comme le montre la crise immobilière de la décennie 90 où le nombre de logements sociaux étaient tombées à moins de 40000 avant de rebondir quand la conjoncture est repartie pour atteindre prés de 100000 unités en 2011 dont une partie non négligeable au titre de la procédure de démolition /reconstruction du Plan National de Rénovation Urbaine.

En définitive la relance du logement ne peut résulter de la seule stimulation de la demande -le Scellier 2008 ou le Duflot 2012- mais parallèlement d?un engagement fort de la puissance publique pour restaurer l?offre.

Pour l?Etat, la dévolution à grande échelle d?emprises publiques avec mise en ?uvre de PPP sous forme de concession avec les opérateurs privés mais aussi une fiscalité incitant à la vente de terrains constructibles et une modernisation de l?ensemble des procédures de l?aménagement foncier. Pour les collectivités locales, dont le rôle est essentiel, des documents d?urbanisme moins contraignants et plus cohérents avec les programmes locaux d?habitat

La France a la chance de disposer d?un tissu performant d?acteurs dans le secteur de l?habitat: promoteurs publics et privés, organismes HLM, architectes, ingénieurs, entreprises de construction qui peuvent réagir rapidement si les contraintes venaient à se desserrer.

En conclusion, le paradoxe de l?économie du logement résulte du fait qu?il s?agit d?un marché imparfait où le poids de la puissance publique est par nature déterminant du fait des externalités de tout acte de construire en particulier en zone urbaine dense.

Mais c?est donc un domaine où avec de bonnes décisions des pouvoirs publics il est possible, sans moyens budgétaires supplémentaires, ce qui n?est pas négligeable dans la conjoncture actuelle, de se donner cette année les moyens d?une franche reprise à partir de 2014.

Sans cette intervention, il est à craindre que la crise de l?immobilier dure, comme ce fut le cas pour les précédentes, entre 5 et 7 ans, aggravant encore au fil des années les statistiques de la fondation Abbé Pierre.
 

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Commentaires 34
à écrit le 04/09/2013 à 11:40
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C'est qu'il n'y a PAS de pénurie de logement en France. Cette information est infondée et reprise comme un refrain pratique parce qu'on ne veut pas s'attaquer aux véritables causes du problème. On dénombre plus de 2 million de logements vides : http:...

à écrit le 02/09/2013 à 15:21
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L'article aurait gagné à développer les points suivants : - les prix baissent (même si la diminution est trop lente dans les zones tendues), - les coûts restent trop élevés (voir la comparaison faite par les professionnels sur la construction d'une m...

à écrit le 27/04/2013 à 11:58
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Mars 2013 Étude basée sur l?application de la loi de 1974 LE BEGUINAGE PERSONNES RETRAITEES SEULES MOBILES Cette loi qui a été appliquée, mais qui semble actuellement délaissée, nous a permis de réaliser, après réflexion, un plan de travail destiné à...

à écrit le 13/03/2013 à 6:14
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Je lis qu'il s'agit d'un excellent article... Hum... Quid de la réalité des chiffres ici tenus pour vrais? Si vous faites un petit tour sur le "rapport" de la fondation Abbé Pierre, vous risquez de déchanter. Donc on "travaille" sur des hypothèses bi...

à écrit le 26/02/2013 à 15:20
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une bonne solution serait de vendre des HLM's à ceux de leurs occupants qui en ont les moyens ( ceux qui ne devraient pas y rester mais qui le font quand même , et c'est bien compréhensible) et en construire des nouveaux sur ces fameux terrains rend...

à écrit le 13/02/2013 à 15:11
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Ce sont quand même des problèmes locaux, non extensibles à toute la France, dans mon village de 800 personnes, taux de chômage peu élevé (je dirais même que ceux qui ne travaillent pas n'ont pas trop envie de taffer) il y a environ 20 maisons à vendr...

à écrit le 07/02/2013 à 12:50
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Ahh ! Voilà un bien meilleur article que les précédents produits par le Cercle des Ingénieurs Economistes. Bon, on a encore droit à une petite bêtise écolo-compatible par-ci par-là (un réflexe pavlovien, probablement), mais dans l'ensemble, c'est mie...

à écrit le 03/02/2013 à 11:52
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Excellent article de fond

à écrit le 02/02/2013 à 12:19
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Bon article, à enregistrer.

à écrit le 02/02/2013 à 10:31
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Nous attendons le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur son immense fortune . Cet amas de fric et de propriétés dans le monde entier bénéficie en France de l'exonération d'impots . En voila une belle niche fiscale dont personne ne parle !!! L'abbé...

le 02/02/2013 à 11:19
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Tu m'étonnes. Je connais même des restos qui récupèrent tout gratuitement, qui font bosser des bénévoles et dorment sur un gros tas de pognon fourni par des donateurs qui le déduisent de leurs impôts. En France, il y a plus d'associations lucratives ...

le 02/02/2013 à 14:11
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Combien de logements non occupés pour diverses raisons??? Comment les contraindre à s'insérer dans le locatif??? Combien de logements en décrépitude,que l'on peut remettre en état,par la simple intervention des artisans.Vollà un pont clé pour résou...

à écrit le 02/02/2013 à 8:27
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ne subventionnons plus toutes ces associations qui comme la cgt ont surprotégés les mauvais locataires et les mauvais ouvriers tous ces politiques qui ne parlent qu'en voix et peut etre la confiance reviendra

à écrit le 02/02/2013 à 8:24
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Le problème du logement ne PEU pas être réglé, le calcul est simple. Il arrive chaque année des milliers d'immigrés que l'on trouve tout à fait normal de loger (allez n'importe ou dans le monde on vous demandes de prouver que vous avez assez avant de...

le 02/02/2013 à 11:09
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@ Opinion + UN triste constat, mais c'est exact!

à écrit le 02/02/2013 à 6:51
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La venue légale de 200 000 immigrants par an sous la droite et la gauche ne doit pas simplifier le manque de logements sociaux.La loi par commune de quota 25 % de logements sociaux obligatoires est une absurdité.Il suffit de prendre l'autoroute pour...

à écrit le 02/02/2013 à 2:24
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dire que les intervenants architectes, ingénieurs etc soient performants, fait sourire : le logement est comme tout dans ce pays : tout évolue dans tous les sens et n'importe comment : au lieu de suivre les normes européennes de maisons passives on a...

à écrit le 01/02/2013 à 23:09
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Vous parlez logement, peut-on parler préservation de la vie ? Les téléphones sont performants, les GPS aussi. Nous sommes tous choqués par les disparitions d?enfants ou le fait de voir des jeunes filles meurtries et tuées, récemment par pendaison. Et...

le 02/02/2013 à 11:20
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Tu es hors sujet.

à écrit le 01/02/2013 à 22:20
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liberer tous les logements dit de fonction occupes par les castres ..

à écrit le 01/02/2013 à 21:04
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2.5 MLS DE LOGEMENT VIDE EN FRANCE ET ON SE POSE ENCORE LA QUESTION POURQUOI CETTE CRISE DU LOGEMENT C POLITIQUE IL REFLECHISE UN PEU TROP A MON GOUT VOUS N'AVEZ QU'A PROTEGER LES INSVESTISEURS DES RISQUES DES LOYERS IMPAYE ET LE PROBLEME SERA REGLE...

à écrit le 01/02/2013 à 20:51
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Les différentes pistes pour relancer le logement: -décentraliser l'emploi en région, il n'y'a pas que l'ile de france -décentraliser l'ETAT -ne pas prendre en compte les demandes farfelues pour annuler les permis de construire, certains ne font que s...

le 27/02/2013 à 13:07
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Décentraliser ? Mais vous oubliez la bêtise franco-française : on décentralise, donc on embauche encore plus de fonctionnaires dans les collectivités locales, par contre on ne débauche pas au niveau national...Et je ne parle même pas des évolutions d...

à écrit le 01/02/2013 à 20:09
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Perso, ça ne me dérangerait pas d'accueillir une jeune femme chez moi et de réduire le besoin en logement de 1. Sinon pour rigoler : "53000 logements annuels qui nécessitait sur 25 ans une surface annuelle de 43500 hectares" : 8000 m² par logement !!...

le 02/02/2013 à 1:49
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euh non... 328 !

le 04/02/2013 à 16:07
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La surface de 43500 hectares n'est pas annuelle mais sur la durée du schéma :25à30ans; Merci d'avoir signalé cette faute de frappe.

à écrit le 01/02/2013 à 20:07
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Non, +200.000 nouveaux "entrants" par an en France, impossible de suivre le rythme de la demographie avec les pelleteuses et betonneuses.

le 01/02/2013 à 22:17
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tres bonne reflexion .

le 02/02/2013 à 11:22
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Hé oui, mais personne n'ose prononcer le mot tabou de frontières. Désormais, on construit, on construit, on construit. Pour loger qui, dans quelles conditions, avec du travail et des enfants ? Chut ! Surtout, ne rien dire, on attendra simplement que ...

le 02/02/2013 à 12:12
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@ Bastien + 10000000000!!! mais quand ça va péter, ce qui serait , triste mais salutaire, ça fera p-être mal.....comptage de ré élection ou pas...mais en attendant, CHUUUTTT, parlons tout bas !

le 13/02/2013 à 15:03
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surtout que les 200000 entrants ne sont pas directement comme ça été dans les années 50, maçons, carreleurs plâtriers etc ,pas près de construire leurs hlm. Il est bien loin le maçon portuguais qui parlait mal mais bossait bien.

à écrit le 01/02/2013 à 19:16
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Nos politiciens sont fortement imbriqués dans l'immobilier du point de vue personnel et aussi l'immobilier social pour leurs affaires, l'objectif est clair, maintenir les prix le plus haut possible et les passe-droits, n'espérez pas d'amélioration. U...

le 02/02/2013 à 12:14
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que des "Maffioso" !

à écrit le 01/02/2013 à 18:12
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un excellent papier et c'est rare sur le web ! bravo

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