Le budget français dans la seringue européenne ?

La création de la zone euro a profondément modifié les politiques économiques des pays membres. La France n'y a pas échappé, mais cherche toujours comment faire rentrer ses déficits dans le moule imposé par Bruxelles...
La dette publique française, très basse jusqu'au début des années 1980, a franchi le seuil de 60% en 2003 et devrait dépasser les 95% du PIB et 2.000 milliards d'euros fin 2014. Bien loin du seuil imposé par Bruxelles...

Quel est le cadre institutionnel ?

La décision française d'adopter l'euro a radicalement transformé les conditions d'exercice de la politique macroéconomique française. Certes les politiques monétaire et de change ont été dévolues à la Banque Centrale Européenne (BCE), mais le cadre européen a également profondément changé l'élaboration et le suivi des budgets, ceci sur la base de traités et règlements successifs validés ou ratifiés par la France comme tous les autres membres de la zone euro.

C'est le cas dès le Traité de Maastricht ratifié en France par référendum en 1992. Certes il n'y a pas de transferts de souveraineté de politique budgétaire comparables à la gestion de la monnaie, mais chaque membre la zone euro s'est engagé sur le respect de six critères macroéconomiques dont deux budgétaires : une dette publique inférieure à 60% du PIB et un déficit public annuel inférieur à 3% du PIB, des critères d'ailleurs inventés en France dès 1982.

Il y a ensuite le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) de 1997 approuvé en France lorsque Lionel Jospin est le Premier ministre de Jacques Chirac. Le PSC renforce la cible du 3% annuel avec un volet préventif (envoi annuel par chaque pays à la Commission européenne d'un « programme de stabilité et de croissance », donc ses perspectives budgétaires pluriannuelles accompagnées des mesures permettant d'atteindre à moyen terme une « position budgétaire proche de l'équilibre ou excédentaire ») et un volet répressif via la procédure pour déficit excessif. Concernant cette procédure, il faut se souvenir qu'en 2003 Allemagne et France se sont coordonnées pour s'y soustraire et obtenir en 2005 une révision laxiste du PSC.

La crise de la zone euro de 2009 à 2012 a profondément rebattu les cartes. A côté de la construction ad hoc d'un mécanisme de supervision et d'accompagnement des Etats incapables de se refinancer - la fameuse troïka Commission-BCE-FMI et le mécanisme européen de solidarité (MES) -, la crise a accouché en 2012 du « Traité sur la Stabilité, la coordination et la Gouvernance » (TSCG, ou traité budgétaire européen, ou 'fiscal compact' ou 'six pack'…) renforçant le PSC. Le traité énonce un objectif de solde budgétaire structurel -corrigé des variations conjoncturelles - quasiment équilibré (-0,5%) et le retour par étape à un stock de dette publique de 60%. Il institue en outre une procédure sur les déséquilibres macroéconomiques dépassant les seuls enjeux de finances publiques : hausses salariales supérieures à la productivité, bulles immobilières ou autres….

Le traité budgétaire européen renforce la gouvernance économique de la zone euro en confiant à la Commission européenne des pouvoirs renforcés de contrôle et de surveillance de la situation économique et financière de chaque pays de la zone euro avec un mécanisme plus automatique de sanction par le Conseil européen : adoption de la recommandation de la Commission par le Conseil sauf si une majorité d'Etat s'y opposent.

Un dispositif complémentaire a été enfin mis en place en mai 2013 avec le « two pack » qui ne change pas les objectifs du traité budgétaire mais renforce encore la supervision européenne des politiques budgétaires nationales par la Commission européenne et le conseil Ecofin en ciblant notamment pour les Etats - comme la France - en situation de déficit excessif ou de déséquilibre macroéconomique excessif.

 

Quels résultats et quelle crédibilité des prévisions budgétaire françaises transmises à l'Europe ?

On peut regarder le problème sous plusieurs angles.

Concernant le respect de seuils de 3% de déficit / 60% de dette, la France n'a respecté la règle des 3% que 7 fois sur 17 entre 1997 et 2013 avec un déficit moyen de 3,7% donc supérieur au rituel 3%. La dette publique française, très basse jusqu'au début des années 1980, a franchi le seuil de 60% en 2003 et devrait dépasser les 95% du PIB et 2.000 milliards d'euros fin 2014 (prévision PLF 2014). Compte-tenu de telles données, la procédure de déficit excessif s'est appliquée à la France entre avril 2003 et janvier 2007 puis sans interruption depuis février 2009, soit 58% du temps passé par la France dans la zone euro.

Par ailleurs la France transmet à l'Europe ses prévisions macro-budgétaires de moyen terme dans le cadre du PSC qui prévoit un équilibre budgétaire de moyen terme. Une analyse faite en 2011 concluait au biais systématiquement optimiste des prévisions françaises : croissance économique fixée à 2% ou plus alors que la croissance française moyenne a été de 1,3% entre 2000 et 2012, retour à un équilibre budgétaire qui n'a dans les faits jamais lieu,  trajectoire « balistique » de baisse du stock de dette ne s'est jamais réalisée et en tout cas jamais dans les proportions prévues. Il y a une grande stabilité de ces prévisions optimistes, une stabilité qui transcende les alternances électorales du gouvernement Jospin au gouvernement Ayrault en passant par les gouvernements Raffarin, Villepin & Fillon. Bref la crédibilité budgétaire à moyen terme de la France est en question.

Cette tendance s'est poursuivie récemment dans le jeu miroitant des prévisions du gouvernement français et de la Commission européenne : depuis fin 2012, il y a eu trois jeux de prévisions françaises et quatre jeux de la Commission : le retour vers l'équilibre budgétaire comme depuis longtemps constitue un horizon fuyant jamais atteint, et l'on constate par ailleurs un écart significatif entre la dernière prévision du gouvernement (septembre 2013) et la « prévision de printemps » de la Commission européenne (février 2014) établi dans le cadre du semestre européen : déficit 2014 prévu à 4% contre 3,6% pour le gouvernement français, et surtout déficit 2015 prévu à 3,9% contre 2,8%…

 

Quels sont les évènements récents liant la gouvernance européenne et le budget français ?

A côté de ce match de prévisions, quels sont les évènements récents et que va-t-il se passer ?

Tout d'abord, la France a adopté avec de fortes majorités le traité budgétaire européen de 2012, 477 voix contre 70 le 9 octobre 2012 à l'Assemblée Nationale et 307 voix contre 32 le 11 octobre 2012 au Sénat. Le traité est donc entré en vigueur le 1er janvier 2013.

Autre évènement d'importance le 3 mai 2013 : Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, a admis que la France reporte à 2015 son retour à la norme des 3% compte-tenu de la rigueur de la conjoncture économique française et européenne : la France a ainsi gagné deux ans, sachant que le budget 2013 était initialement basé sur un déficit de 3% qui était d'ailleurs l'objectif commun de déficit 2013 des deux finalistes de l'élection présidentielle de mai 2012.

Les choses ont cependant significativement changé début 2014, avec la publication le 25 février de prévisions d'hiver fortement décalées négativement par rapport aux dernières prévisions françaises, mais surtout le placement le 5 mars dernier de la France sous surveillance par la Commission européenne et le même Olli Rehn, la Commission émettant une recommandation à son attention -et celle de la Slovénie - concernant le risque de non-respect de l'objectif budgétaire recommandé en application du « two pack » (article 11 paragraphe 2 du règlement CE n°473/2013). La Commission, se positionnant en garde-fou de la zone euro, énonce plusieurs difficultés structurelles du pays qui dépassent le jeu des finances publiques : faiblesse de la compétitivité attestée par une perte continue de parts de marché à l'exportation, niveau de dette, rappel du fait qu'un problème de la France l'est également pour la zone euro compte-tenu de son poids systémique dans la zone euro (21% du PIB de la zone).

C'est peu de dire que les prochains jours et semaines ont une importance spécifique ce feuilleton institutionnalo-budgétaire :

D'abord le Conseil européen le 20 mars dont l'ordre du jour inclut l'analyse du semestre européen et donc l'enjeu de coordination des politiques économiques nationales ; puis, la publication des chiffres officiels de déficits 2013 par l'Insee (31 mars) et Eurostat fin (2 avril) ; enfin et surtout le 15 avril avec plusieurs annonces ou évènement clefs : information détaillée par le gouvernement français sur la nature des 50 milliards d'économies annoncées en janvier par François Hollande, remise avec le programme de stabilité un plan budgétaire à moyen terme adressé à l'Union. Affaire à suivre donc.

 

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Commentaires 6
à écrit le 23/03/2014 à 18:55
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Le seul discours raisonnable serait du sang (après ce qui ce passe en Crimée c'est d'actualité) de la sueur et des larmes, mais qui est vraiment prêt à voter pour un politique qui vous promet cela? Alors attendons le grand crash de la dette et prépa...

à écrit le 19/03/2014 à 19:04
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Dommage que les commentaires ne soient pas au niveau de l'article. La France se reveille avec la GDB, prenons en acte et reglons le pb.

à écrit le 18/03/2014 à 11:15
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C'est dans l'ADN républicain de flatter les électeurs pour être élu quitte à dévaluer 2 ou 3 ans aprés la monnaie de singe qu'était le francs. Avec le Big-bang monétaire de l'Euro les promesses deviennent intenables et les politiques n'ont plus que ...

à écrit le 18/03/2014 à 11:07
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Le mensonge français ne va plus faire illusion longtemps. On voudrait croire au Père Noël et continuer à raser gratis sans faire d'efforts. Nos bobos-dirigeants vont devoir réduire leur train de vis, et surtout celui de leurs électeurs. Les écoutes...

à écrit le 18/03/2014 à 10:59
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Le modèle français de l'état providence a vécu, financé par un endettement qui est devenu insoutenable malgré une pression fiscale écrasante et démotivante. L'heure de vérité va sonner, aprés les élections évidemment oû nos élus vont une fois encor...

à écrit le 17/03/2014 à 12:23
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Et vous pensez que c'est cela qui va nous rendre plus compétitif et va permettre a rendre l'euro d'être plus raisonnable?

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