Quelle vision de long terme pour Alstom ?

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  734  mots
Si l'on se pose la bonne question, celle de l'avenir à long terme d'Alstom, la nationalité du partenaire n'est pas décisive. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Qui s'est engagé en politique a commis des erreurs. Qui les reconnait ? Non pas pour cultiver une culpabilité mais en tirer des leçons dans sa conduite actuelle et future. L'actualité me fait remonter en mémoire des erreurs, toutes anciennes.

Concernant General Electric/ SNECMA (aujourd'hui Safran), notamment. Il y a tout juste quarante ans, une filiale 50/50% fut crée pour le développement des moteurs CFM 56. Ce fut un succès qui ne se dément pas, cette gamme représentant 70% des moteurs d'avions à courte et moyenne distance. En 1974, j'étais de ceux qui protestaient contre cette « braderie » et demandaient une « solution européenne » qui ne pouvait être qu'avec les Anglais (Rolls Royce ou Pratt et Whitney).

Je m'étais trompé.

Alstom: quelle vision de long terme?

 Je ne prétends pas détenir la solution mais j'ai appris qu'en matière industrielle, comme dans tout domaine complexe, étudier sous tous les aspects avant de se prononcer est un préalable. Etudier quoi en l'espèce? Principalement la stratégie dans une vision de long terme, qu'il s'agisse des produits, de la recherche, des marchés, ou des alliances. Dans une vision mondiale de long terme, celle qui importe, la nationalité du partenaire n'est pas un critère décisif.

Si le partenaire est européen, cela serait mieux à beaucoup d'égards, culturel, politique. Cela ne saurait être décisif. Et, osons le dire, le critère de l'évolution des emplois à court terme ne l'est pas plus. Ce qui importe la aussi c'est le long terme. Les emplois seront la conséquence de choix industriels pertinents, d'un savoir-faire pointu, d'une productivité élevée. Un Alstom/GE pourrait être à terme un grand succès, avec une contraction d'effectifs en France, du fait d'une augmentation rapide de la productivité (robotisation) de la sous- traitance et de délocalisations dans des pays clients. Mais s'agissant de nos exportations (c'est par l'industrie que nous pourrons rétablir notre balance commerciale) des salaires (l'industrie paie mieux que le tertiaire) ou de notre niveau technologique, le bilan serait largement positif.

Est-ce dire que l'instruction du dossier Alstom se passe normalement, étant rappelé qu'il ne s'agit pas d'un partenariat entre égaux mais d'une cession ? On ne peut soupçonner à priori que Patrick Kron soit mû principalement par ses inimitiés à l'égard de Siemens ou du gouvernement et ne se soucie que de son principal actionnaire Bouygues. Il se situe dans une perspective de long terme.

 Des anomalies

Malheureusement, des anomalies sont apparues. Pourquoi cette précipitation apparente, alors qu'il n'y a pas de problème de trésorerie ? Pourquoi des contacts discrets n'ont-ils pas été pris plus tôt avec les pouvoirs publics, s'agissant d'un groupe aussi lié avec l'Etat par l'histoire, ses marchés et son importance dans le domaine stratégique de l'énergie ?

A une époque où ce qui est dit au conseil des Ministres se retrouve le lendemain dans la presse, Patrick Kron aurait-il eu peur de fuites ? Les politiques subissent les conséquences de leurs errements. Pour réussir leur com, ils invitent les journalistes dans leur salle de bains et s'étonnent de ne plus être informés par les décideurs.

 Un débat confus sur la place publique

A la complexité inévitable du dossier, s'ajoute un débat confus sur la place publique. Le Ministre de l'Economie, qui n'a pas eu la possibilité d'étudier le dossier tranche en invectivant le président d'Alstom. Le président de la République, qui n'a pas eu plus de possibilité, reçoit en catastrophe les présidents de Siemens et de GE. Quand François Hollandes comprendra t'il que dans un tel domaine, où l'Etat n'a plus guère de moyens directs d'intervention, il ne doit intervenir qu'en fin de parcours, lorsque l'accord est quasiment certain, laissant aux ministres et aux collaborateurs qui ont sa confiance, le soin d'instruire le dossier ? Cette agitation apparente risque d'être mise à son passif.

Comment cette confusion ne peut-elle pas inquiéter le personnel qui a déjà connu des suppressions d'emplois ?

 Il est possible qu'à terme le bilan de l'opération soit largement bénéfique. Pour le moment, ce qui apparait c'est l'absence de stratégie industrielle associant les différents acteurs, alors que plus que jamais il faut une base industrielle forte à notre pays. En attendant, essayons de comprendre.

  

Pierre-Yves Cossé

2 Mai 2014