Louvre Abu-Dhabi, un musée universel ?

Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan  |   |  919  mots
Le Louvre présente les collections du futur musée Louvre Abu-Dhabi. Le musée français a-t-il vendu son âme contre des pétrodollars? par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

A l'entrée de l'exposition, Jean Nouvel accueille le visiteur et présente son musée, un « geste architectural » ambitieux conforme à sa réputation. Sur l'île artificielle crée à cet effet, tout est lisse, blanc, monumental. Sous une coupole plate et ajourée, une sorte de parasol, les jeux de lumière, notamment la nuit, les dédales lumineux et les reflets sur l'eau font rêver. L'inspiration moyen-orientale, mosquée, medersa, ville arabe est évidente. Ce qui est montré au Louvre est très beau.

Ces 24 000 mètres carrés, n'est ce pas excessif pour recevoir à l'inauguration, en 2015, 600 œuvres dont 300 prêtés par le Louvre ? L'on pense au beau MUCEN (Marseille) dont les collections permanentes sont pauvres par rapport à la capacité d'exposition. Certes, il y aura les expositions temporaires (le Louvre doit en organiser quatre) et les achats. Mais avec 40 millions d'euros par an, on n'achète pas beaucoup de chefs d'œuvre.

La question dépasse les mètres carrés. Peut-on en 2014, compte tenu des prix et de la concurrence entre grands acheteurs, créer un musée universel, même si l'on a beaucoup d'argent ?

 Les arts s'influencent les uns les autres

Les 160 objets présentés -sur les 400 acquis-ne seraient pas représentatifs de ce que sera le musée. Sur quels critères ont-ils été choisis ? Comment ont-ils été achetés? Cela doit être précisé dans le guide de l'exposition mais ne l'est pas sur les cartels. Dans l'ensemble, ce sont de très beaux objets, dont les détails sont parfois agrandis sur des écrans placés à côté des œuvres.

Ils peuvent être vus pour eux-mêmes sans chercher à établir des liens ou correspondances : statuette de Bactriane, fibule d'or et de grenats ( 6è siècle) Vierge de Bellini, boîte Tang, « le gitan » de Manet, un Klee…Quelques points forts du futur musée apparaissent : de nombreuses et belles faïences d'Iznik, des miniatures persanes, des manuscrits et 9 Twomblys, des ligne gribouillées sur fond bleu (il devait y avoir un lot sur le marché) soit la moitié de ce qui est exposé après 1918.

On peut chercher à saisir les intentions de Vincent Pomarède, le Commissaire de l'exposition, pour qui il n'y a plus ni esthétique dominante ni art majeur. Les représentations du sacré peuvent être comparées : un dieu hermaphrodite malien entre un Shiva dansant et un Christ montrant ses plaies et des Corans. Les arts s'influencent les uns les autres et se combinent dans le temps et l'espace (transpositions, imitations) : influence grecque sur bustes romain ou ceux du Gandhara, chinoiseries dans l'Europe du 17 et 18è siècle (très belle tapisserie de Beauvais), influences persanes sur l'architecture et la peinture. Très peu d'œuvres pour le XXe siècle : une aquarelle de Picasso, un Mondrian…

 Relire la Parabole des Talents

Le Louvre aurait-il vendu son âme dans une opération à caractère politique et financier plus qu'artistique ? C'est ce qu'affirment avec véhémence des personnalités éminentes.

Dans l'exposition aucune censure-ni provocation- n'apparaît, même si les chairs nues sont peu nombreuses. Alors reproche-t-on au Louvre de faire une « bonne affaire » environ un milliard d'euros sur trente ans ? Relisons la Parabole des Talents : il faut dans le monde tirer le meilleur parti de sa compétence et de son expérience, lorsqu'on n'a pas de sous. De plus, le montage financier est habile : les fonds sont déposés dans une Fondation et le Louvre ne perçoit directement que les intérêts. Bercy pourra difficilement mettre la main sur le magot.

Les visiteurs français lésés?

Les Français seront-ils lésés parce qu'ils ne pourront plus voir directement un certain nombre de chefs d'œuvre ? Ces Français ne représentent que 30% des visiteurs du musée, ils sont saturés par le nombre des œuvres accumulées au Louvre et ils donnent la préférence à des expositions temporaires dont on peut faire le tour en deux heures. Les chefs d'œuvre du Louvre sont mieux mis en valeur et vus avec plus de plaisir dans la Galerie du Temps au Louvre-Lens que dans les salles spécialisées de l'ancien palais de nos Rois.

Quant aux étrangers, il est peu probable que ces absences les détourneront du « plus grand musée du monde », à condition que « Mona Lisa » et la Vénus de Milo soient toujours là.

Enfin, ces prêts seront l'occasion de ressortir des réserves, beaucoup plus importantes que ce qui est exposé, des œuvres que les amateurs découvriront avec plaisir.

La querelle n'est pas éteinte. Elle pourrait rebondir si le succès n'est pas au rendez- vous et les visiteurs satisfaits trop peu nombreux. Les achats de l'Agence France- Muséums seront contestés. Il n'est pas d'opération ambitieuse sans risques, surtout au Moyen-Orient. Assumons-les.

 

Pierre-Yves Cossé

Mai 2014

 

PS L'Institut Imagine (maladies génétiques) à proximité de l'hôpital Necker est la dernière œuvre de Jean Nouvel à Paris. Sa haute (trop) et plate façade en verre orné de sérigraphies et sa couverture tubulaire s'insèrent mal dans le paysage urbain. En revanche, l'intérieur est une réussite : vaste atrium baigné de lumière, lisibilité de l'ensemble, salle de réunions également éclairé par la lumière du jour, jardins, restaurant et terrasse. Les 400 chercheurs et cliniciens de tous pays qui y travaillent s'y sentent bien. Une rencontre de la fonctionnalité et de l'esthétique.