Sur nos relations avec la Chine

Du buste d'Alain Peyrefitte à Wuhan aux interrogations chinoises sur la reprise d'une invention française -la TVA- , récit d'une expérience multiple des relations franco-chinoises. par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Je suis allé en Chine tardivement. De ma faute. Vice-président de l'UNEF chargé des relations internationales à l'automne 1956, je devais conduire une délégation étudiante à Pékin ; à cause des agitations parisiennes, guerre d'Algérie, crise hongroise et de la fragilité du nouveau bureau de L'UNEF, j'ai laissé un ancien président conduire la délégation. En 1990, après le massacre de Tian an Men, j'avais été invité, en tant que commissaire au plan, par les pouvoirs publics chinois. Je déclinai. Avais-je raison ? Je n'étais que fonctionnaire et le risque de récupération politique était limité. Ce qui est sûr, c'est que la planification chinoise a mieux vieilli que la nôtre, elle est devenue stratégique et centrée sur le développement urbain et l'environnement.

Pour la Coface, la Chine était le premier risque

Président de la Coface (91/94) je me préoccupai du risque chinois pour les finances publiques résultant du crédit bancaire à long terme au titre des centrales nucléaires. La Chine était de beaucoup notre premier risque. Et nous voulions vendre d'autres centrales. Y avait-il un risque politique élevé, un retour possible de désordres et de poussées révolutionnaires ? Je commandais une étude à un des meilleurs experts de la place, Jean-Luc Domenach. Il fut rassurant. Le risque de dislocation de la Chine lui paraissait très faible.  

Nommé Président d'Adetef (1996) je trouvai sur mon bureau un projet de mission pour le compte de la Banque Mondiale sur la réforme des entreprises publiques à Wuhan. J'acceptai en dépit d'une faible préparation.

Un buste pour Alain Peyrefitte, à Wuhan

A Wuhan, les Français occupent une place particulière. Du temps où la ville s'appelait Hankou, il y eut une concession (1896/1943) Puis, les autorités communistes orientèrent nos investisseurs vers la capitale du Hubei, la douzième ville (9 millions d'habitants) située sur le Fleuve Bleu. Ainsi Citroën y a construit une grande usine. Les taxis de Wuhan étaient des Citroën ZX et ne séduisaient guère les Chinois ni par leur habitabilité ni par la ligne. De plus, il était reproché au président de PSA/ Citroën de n'avoir jamais mis les pieds en Chine. Le grand mandarin français, Alain Peyrefitte a son buste en ville.

Autre caractéristique-moins plaisante- de Wuhan. L'été c'est un « four » au dessus de 30 degrés et ma première mission se tenait fin août. L'automne, ce sont pluies diluviennes et brouillard ; à ma seconde mission, en novembre, passant sur le grand pont, l'interprète m'indiqua qu'à droite et à gauche, c'était le Fleuve Bleu. Je ne vis rien de bleu et rien du fleuve.

D'étranges privatisations

A Paris, j'avais compris qu'il s'agissait de préparer la privatisation des entreprises publiques de la ville, opération jugée prioritaire par la Banque Mondiale dans les ex-pays communistes. Erreur : il ne s'agissait pas de « privatisation » mais d' « equitisation » ce qui est fort différent. Les Chinois voulaient transformer leurs « régies » en entreprises autonomes ayant des comptes propres, un conseil d'administration et pouvant se financer sur les marchés. Il pourrait y avoir un peu d'actionnariat privé, à condition qu'il soit dilué et non représenté au conseil d'administration.

Il s'agissait au mieux d' « économie mixte » pour une longue durée (le problème est toujours pendant). Et les entreprises qui perdaient trop d'argent, on les fermerait. Les dirigeants de la ville misaient sur « l'equitisation » pour augmenter la productivité et réduire les coûts. Ils dénonçaient la pratique dite du « bol de fer » c'est-à-dire l'emploi à vie avec fourniture du logement et couverture sociale. Je posai quelques questions sur la couverture sociale de substitution et sur le caractère monopolistique ou non de ces activités, expliquant que sans aucune concurrence une entreprise même dotée d'actionnaires risquait d'être inefficace. Je n'eus guère de réponse.

Des usines à la mode soviétique

Je visitai des usines. Elles m'apparurent telles que je les imaginais à la belle époque de l'Union Soviétique. Beaucoup de monde apparemment inoccupé -certains lisant le journal- de la décontraction et du désordre. Je conclus hâtivement - à tort- qu'il se passerait quelques dizaines d'années avant que les usines chinoises viennent concurrencer les nôtres... Je jouai au naïf et demandai à voir le syndicat : j'eus un entretien avec le parti qui me tint le même discours que la direction.

Reçu par le Gouverneur, il me confia qu'il comptait beaucoup sur la bourse pour financer les entreprises. Je lui demandai ce qui se passerait lorsque la bourse baisserait. J'attends encore la réponse.

La Bourse, forme moderne du jeu...

Pour beaucoup de Chinois, la bourse est la forme moderne du jeu et les Chinois sont joueurs. Plus tard, je rencontrai à Pékin un courtier qui animait une officine proposant des actions au public. Les acheteurs qui ne disposaient d'aucune information précise sur les entreprises, jouaient, gagnaient ou perdaient. Il me dit qu'il gagnait beaucoup d'argent mais que le métier était dangereux au point qu'il abandonnait cette activité.

Au retour, je m'arrêtai à Pékin et rendis visite au bureau de la Banque Mondiale. Je compris que la Chine était- et de loin -leur premier client et que ce qui était bon pour un « petit » pays de l'Europe de l'Est ne s'appliquait pas à la puissante Chine restée communiste. Je ne sais si elle fut satisfaite de notre travail mais l'ADETEF fut payée.

 La fiscalité au coeur de la problématique relation centre/périphérie

Je refis d'autres missions en Chine.

L'une portait sur la fiscalité. Notre direction des impôts a une excellente réputation...à l'étranger et elle est souvent sollicitée. J'avançai avec prudence car les spécificités chinoises liées notamment à sa dimension et à la répartition des pouvoirs sont importantes.

Les fonctionnaires des Impôts dépendent soit de Pékin, soit des provinces et les fonds collectés n'étaient pas centralisés sur un compte unique. Les pertes en ligne sont donc très importantes. C'est un aspect d'un problème plus général, peut-être le plus complexe à résoudre, les relations entre le centre et la périphérie. Compte tenu de la taille de la Chine, tout ne peut être décidé à Pékin et en même temps la Chine n'est pas un état fédéral et craint les irrédentismes. Une partie de la régulation centre/périphérie est assurée par le parti communiste mais de façon opaque et selon des critères inconnus. Elle n'est sûrement pas uniforme, par exemple, le poids du parti à Shanghai est tel qu'il obtient un traitement spécifique.

L'invention française de la TVA: excellente, mais sous conditions

Si Pékin n'a pas un pouvoir complet sur les fonctionnaires du fisc, il ne l'a pas plus sur la législation fiscale. Les provinces créent des taxes additionnelles ou parafiscales au grand dam des entreprises et leur suppression est annoncée... régulièrement par le pouvoir central. La France, qui a donné au monde la TVA, est souvent interrogée sur cet impôt. Je suis prudent, aussi sur ce sujet. La TVA est un excellent impôt à deux conditions, que les entreprises aient une comptabilité sincère et qu'elles soient contrôlées. Autrement, elle engendre des fraudes gigantesques et les remboursements au titre des exportations et des investissements doivent être interrompus.

Les techniques de recouvrement sont hétérogènes. A Shanghai, l'informatisation et la dématérialisation pour les taxes sur le chiffre d'affaires étaient très développées ; la densité des agents et des ordinateurs dans une salle gigantesque était beaucoup plus forte qu'en France.

J'essayai d'intéresser mes partenaires aux relations entre l'administration fiscale et les contribuables, à la nécessité de relations stables, et aux droits des redevables. J'eus un succès médiocre.

La réforme fiscale est une orientation majeure pour la période 2014- 2020 dans le cadre de la politique d'urbanisation. Afin de limiter l'augmentation des inégalités et de financer les infrastructures nouvelles, une fiscalité sur les constructions bâties et sur les plus-values sera mise en place. Le système fiscal saura t'il répondre aux besoins, d'autant que l'opposition des Princes Rouges, les héritiers des dirigeants historiques, sera forte ?

Ambitions chinoises

Une autre mission portait sur l'épargne et le financement des investissements. Reçu à la Banque de Chine, je fus longuement interrogé sur l'euro qui ne cessait de baisser. Je leur dis de prendre patience et qu'à ma prochaine visite, ils s'inquiéteraient de son cours trop élevé. J'avais la consigne de plaider auprès du Ministre des Finances en faveur des partenariats publics/privés pour financer des infrastructures et équipements. Il me fut répondu que compte tenu de la marge prise par les établissements bancaires, mieux valait consacrer une petite partie de leurs réserves bancaires-elles sont immenses- à de tels investissements. Le patron de la bourse de Shanghai ne cacha pas ses ambitions : le XXIe siècle sera celui de la Chine. Je répondis : probablement puisque notre siècle sera celui des grands ensembles, dont l'Europe...

L'épreuve des repas

Même dans le cadre des missions officielles, les différences culturelles sont visibles. A Pékin, siège du pouvoir officiel, le formalisme est de rigueur : ponctualité stricte et réunions conduites par les chefs de délégation placés dans des fauteuils l'un à côté de l'autre, les collaborateurs sur les côtés, les interprètes derrière. Rien de mieux pour attraper un torticolis, lorsque vous êtes chef de délégation. A Shanghai, les délégations s'installent à l'occidentale l'une en face de l'autre de chaque côté d'une table rectangulaire.

Les repas sont une épreuve. La tradition est le « cul-sec », le gân beï ; dans certains cas j'indiquai que j'étais atteint d'une maladie et que l'alcool m'était interdit. Je préférais perdre la face que mes moyens. Lorsque vous croyez avoir terminé après le douzième plat, qui est sucré, et qu'apparaît un potage, vous avez un moment d'angoisse, le repas recommence ; la moins mauvaise méthode est d'accepter les mets, qui vous sont souvent servis directement par votre hôte et de faire semblant de manger. Toutes les assiettes et les plats seront bientôt enlevés, le gâchis étant une des formes de l'hospitalité chinoise. Bien sûr, la baguette de règle. Une fois dans une résidence officielle luxueuse, mon hôte me fit porter un beau couvert d'argent, je suppose qu'il me jugeait maladroit avec les baguettes.

 Expliquer le capitalisme à la française

En mission, il faut être disponible. Un soir (décembre 2000) travaillant sagement à l'hôtel, Pierre Morel, notre excellent ambassadeur (qui s'illustra également à Moscou et au Vatican) m'appelle et propose de me rendre visite. Je l'en dispense, compte tenu, notamment de la modestie des lieux. Alors, il me demande si j'étais prêt à faire un exposé le lendemain matin à des cadres du parti communiste chinois sur le « capitalisme à la française ». J'acceptai et passai une partie de la nuit à préparer mon exposé. Le matin, l'ambassadeur passa me prendre à l'hôtel pour nous rendre dans un immeuble immense qui hébergeait le Comité Central. Nous fûmes salués par des militaires en armes. Un vice-ministre et plusieurs dizaines de cadres du département de liaison du Comité Central nous attendaient.

Leurs questions toutes pertinentes montraient une bonne connaissance des réalités internationales. Je fus troublé parce que peu de temps avant ils avaient entendu Michel Albert leur présenter son ouvrage sur « le capitalisme rhénan » et je ne voulus pas le contredire ouvertement, alors que je trouve le concept flou et fragile. Expliquant la pensée libérale, j'indiquai que les seuls vrais libéraux dans le monde étaient les Anglais, que leur bible était « l'Economist » dont ils n'avaient pas entendu parler, que son domaine était beaucoup plus large que l'économie et incluait les problèmes de société et de mœurs. Je suggérai que le Parti s'abonne, en précisant qu'il fallait bien deux semaines pour lire cet... hebdomadaire. Le vice-ministre sembla satisfait au point d'envisager la possibilité de l'envoi en Chine de deux chercheurs pour accompagner la réflexion du parti. A ma connaissance, il n'y eut pas de suite.

Imaginez vous une situation équivalente en France : un secrétaire d'état ou un secrétaire général de ministère demandant à un expert chinois de présenter à ses collaborateurs le « socialisme à la chinoise »...

Tocqueville, à la mode

Les dirigeants chinois, eux, réfléchissent sur leur modèle de développement dans une perspective longue. L'auteur à la mode est aujourd'hui Alexis de Tocqueville et « l'AncienRégime et la Révolution/1856 » est un ouvrage souvent consulté. Un chapitre susciterait particulièrement leur intérêt ; « Que le règne de Louis XVI a été la période la plus prospère de l'ancienne monarchie et comment cette prospérité même hâta la Révolution (nécessaire et légitime) »... « Comment aurait-on pu échapper à la catastrophe ? D'un côté une nation dans le sein de laquelle le désir de faire fortune va en se répandant tous les jours ; de l'autre un gouvernement qui excite sans cesse cette passion nouvelle et la trouble sans cesse... » N'y a-t'il pas quelque ressemblance avec la Chine ?

 La langue anglaise s'impose petit à petit

Un incident avait troublé la réunion. Mon interprète était celui de la mission économique, excellent pour le vocabulaire commercial et financier, mais dépassé par des termes politiques ou philosophiques. Comme ses hésitations se multipliaient, un participant chinois se leva et le remplaça ex abrupto. Notre interprète avait « perdu la face » et je n'ai pas su comment le consoler.

J'avais déjà eu un incident avec un interprète de l'ambassade, homme fort érudit, qui eut été un excellent interprète pour les conférences de nos romanciers. Le domaine financier n'était pas son affaire. Nous dûmes passer dans la langue anglaise comprise ce jour là de tous. On ne dira jamais assez combien la qualité de l'interprète importe dans ce genre d'échange. Déjà, compte tenu des différences culturelles, une zone d'incompréhension est inévitable. Alors, si l'interprète est mauvais...Un fonctionnaire chinois revenant de France m'indiqua qu'il n'avait rien compris de notre système de Sécurité Sociale...à cause de l'interprète, me dit-il.

A Paris, nos interprètes étaient excellents. Mais l'ambassade de Chine ne les trouvant pas dans la ligne fit pression pour que nous les changions. Nous répondîmes que nous n'en trouvions pas d'aussi bons aussi peu chers.

Le problème n'existera probablement plus dans quelques années. Déjà les supports visuels sont présentés en anglais, à Shanghai tout le monde dans les réunions peut s'exprimer en anglais. Le reste suivra pendant que le Quai d'Orsay continuera de pondre des circulaires sur l'usage du français. Inutile de pleurer : le plus important est de faire passer nos messages, quelle que soit la langue et de pas laisser la place aux seuls anglo-saxons. Et si nos messages sont excellents, certains apprendront notre langue pour mieux les assimiler. C'est ce que m'avaient dit les statisticiens de l'INSEE chinoise très admiratifs de notre INSEE, reconnue sur le plan international. Je ne suis pas sûr qu'ils l'aient fait, les relations entre les deux instituts s'étant distendues.

 Des délégations chinoises reçues à Paris dans le désordre

A Paris, il fallait aussi être disponible. Nos dirigeants, lorsqu'ils se rendent à l'étranger, exigent d'être reçus au plus haut niveau possible et généralement au dessus de leur condition, ce qui pose problème à nos malheureux ambassadeurs. Mais à Paris, ces mêmes dirigeants sont rarement disponibles pour recevoir des personnalités étrangères de passage. Les services venaient me chercher pour présider un déjeuner, j'avais l'avantage d'être âgé -ce qui dans l'espèce était un bon point- d'avoir été commissaire au Plan et de porter un titre un peu mystérieux, celui d'Inspecteur Général des Finances. Dans l'ensemble, nos invités étaient d'excellente qualité, l'architecture monumentale de Bercy en harmonie avec leur sens de l'État les mettait à l'aise et ils aimaient se faire photographier. La nourriture était de qualité mais c'étaient de petits mangeurs, se méfiant de la nourriture occidentale. Parfois, j'allais faire la potiche dans des déjeuners présidés par le Ministre. Comme nos ministres font rarement parler leurs collaborateurs, j'avais tout le temps d'observer nos invités, les jeunes qui prenaient des notes et les plus âgés agitant un éventail les jours de forte chaleur.

 Les délégations venant directement des provinces posaient un problème difficile. Elles faisaient un tour d'Europe, consacrant deux jours à Paris, deux jours à Berlin etc. Leur qualité était très variable et les programmes souvent légers. Ils confiaient l'organisation à des organismes privés fort bien rémunérés pour cette mission. Je tentai, en vain, de réguler ces visites, afin d'éviter que Bercy soit trop souvent envahi par des délégations trop nombreuses. Je proposai que l'on demande une contribution financière à ces organismes privés. L'idée fut jugée inconvenante, le savoir- faire de Bercy n'est pas à vendre. D'ailleurs, à l'époque, il existait encore des crédits publics pour financer des opérations d'assistance technique en Chine. De façon désordonnée, ces délégations continuèrent d'être reçues par nos administrations et entreprises publiques.

L'organisation administrative française transposable dans un pays d'un milliard d'habitants.

Cette multiplication de délégations décentralisées posait indirectement un problème de fond. L'administration française, de tradition centralisée et jacobine, a-t-elle quelque chose d'utile à dire, s'agissant d'une organisation convenant à plus d'un milliard d'habitants ? Une gestion publique est une composante d'un système et d'une société et elle s'inscrit dans une histoire. Le contre-sens est rapidement fait. Par exemple, faut-il une carte de Sécurité Sociale pour le milliard de Chinois, ce que l'informatique permet facilement, ou des échelons intermédiaires sont-ils pertinents ? Lesquels ?

Dans un pays communiste, les organismes administratifs ne peuvent être qu'une apparence, le fonctionnement réel dépendant d'un jeu de pouvoirs et contre-pouvoirs à l'intérieur du Parti, qui nous est inconnu. C'est probablement le cas dans les systèmes de contrôle où la demande d'assistance technique n'est qu'un alibi. Il nous aurait fallu nous abstenir mais trop souvent nous considérions que la grande Chine nous faisait un honneur en s'adressant à notre expertise. Et nous disions oui, si nous avions les moyens financiers et humains nécessaires. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'experts français aient réfléchi à ces risques avant de prendre l'avion pour Pékin.

 Quand l'assistance française devient trop efficace...

Il est impossible de donner une réponse globale à la question : à quoi ont servi tous ces échanges, tant du point de vue de la modernisation de l'administration chinoise que de notre influence en Chine ? Un examen analytique serait nécessaire et les effets indirects difficilement mesurables sont probablement les plus importants. Les liens personnels qui se sont noués se sont révélés fort utiles dans les enceintes internationales où Français et Chinois se rencontrent de plus en plus souvent. L'appropriation, après transformation, par les Chinois de dispositifs français a permis des progrès. S'il faut écarter le terme de « modèle » utilisé souvent par les Chinois, faisant preuve de fausse humilité ou d'excessive politesse, il est vrai que les expériences des uns peuvent servir aux autres, peut- être surtout ce qui n'a pas marché et qu'il ne faut pas chercher à reproduire. De leur côté, ces échanges ont incité les fonctionnaires français à réfléchir sur leurs pratiques et leur organisation et à en percevoir mieux les limites.

Parfois, sur un point technique, le succès est évident et peut nous être reprochés....par des Français. Ainsi, au Vietnam, des entreprises étaient allées se plaindre auprès de notre ambassade que suite à notre assistance technique, l'efficacité des services fiscaux s'était accrue au point que cela leur coûtait très cher.

Là aussi, une vision globale et longue est nécessaire. Notre intérêt est que nos partenaires disposent de services publics efficaces. C'est évident dans le domaine de la sécurité, de la douane et de la justice. Cela l'est également dans les autres domaines, même si dans un premier temps l'efficacité accrue de pays devenus nos concurrents peut avoir un coût.

Des liens entre écoles d'administration

Dans un cas particulier, celui de l'ENA, la complicité culturelle est indéniable et ancienne. Au 18ème, la Chine était connue à travers les écrits des Jésuites, qui enjolivaient quelque peu la réalité. Ils vantaient la formation mandarinale, par opposition à la vénalité des charges, qui était la règle en France et dans d'autres monarchies européennes. Nos révolutionnaires, voulant renouveler les élites et lecteurs des jésuites, créèrent des écoles mandarinales, nos grandes écoles. La quasi dernière est l'ENA crée à la Libération par le mandarin Michel Debré. Il était logique que des liens se nouent entre Ecoles d'Administrations. Ils devinrent étroits dans les années 80 lorsque Simon Nora, un grand mandarin de gauche, fut à la tête de notre ENA. Des fonctionnaires chinois suivent régulièrement le cycle étranger de l'ENA. Ils constituent aujourd'hui un groupe de quelques dizaines de hauts fonctionnaires parfaitement francophones, regroupé en association, et jouent un rôle fort utile dans les relations entre nos deux pays. Une promotion de notre ENA devrait s'appeler Confucius.

 Un rythme de transformation incroyablement rapide

Peut-on comprendre ce qui se passe dans le monde sans s'informer de façon continue sur la Chine ?

Lorsque le voyage sur place est devenu difficile, reste l'information écrite et orale. Il n'est guère de mois où les journaux donnent des informations mettant en cause ce que nous croyions savoir. La dernière est le refus de l'accord associant trois grandes compagnies maritimes, CMA, Maersk et MSC, qui avait été accepté par Bruxelles et Washington. Le socialisme chinois donne des leçons au capitalisme occidental sur la défense du libre marché et le respect des règles de concurrence... Les compagnies se sont immédiatement inclinées. Il faudra concevoir la régulation mondiale avec la Chine comme partenaire actif.

Dans beaucoup de domaines, le rythme de transformation est incroyablement rapide. Nos certitudes d'un jour sont balayées par les changements. Rappelons que même avec une croissance ramenée à 7%, le PIB double en dix ans.

Et l'information orale. Les conférenciers de qualité ne manquent pas à Paris. J'ai déjà cité Jean-Luc Domenach dans le domaine politique. Patrick Artus est une référence, comme toujours, sur l' économie chinoise.

Un spécialiste de la Chine, Michel Aglietta

  J'avoue un faible pour Michel Aglietta. Je l'ai connu dans les années 70, alors qu'il faisait   partie de la brillante division des synthèses de l'INSEE qui avait en charge la macroéconomie et les modèles de moyen terme (malheureusement ces travaux ne se font plus à l'INSEE). Ce polytechnicien ne se faisait pas seulement remarquer par sa taille, la qualité de ses travaux et l'autorité du verbe mais par sa chemise rouge. Il appartenait à un de ces groupes maoïstes qui prospéraient à l'ombre du petit livre rouge et s'intéressait beaucoup à la Chine.

Depuis, il a certes changé, mais résisté au conformisme et son intérêt pour la Chine, où il se rend fréquemment en tant qu'universitaire ou conseiller, est toujours aussi vif. De sa culture marxiste, il lui reste une une capacité à analyser les contradictions qui caractérisent le développement et à se situer dans une perspective longue, intégrant des aspects historiques, sociaux et politiques. En tant que spécialiste du système monétaire international et ancien conseiller à la Banque de France, il a une vision intégrée des phénomènes économiques et monétaires, ce qui est rare. Son empathie pour la Chine peut le conduire à sous-estimer faiblesses et difficultés. Mais sa vision d'ensemble est beaucoup plus éclairante et pertinente que celle de conjoncturistes, qui à la moindre variation d'indices (souvent peu fiables) annoncent la catastrophe.
Faute de pouvoir entendre Aglietta, lisez-le.

 

Pierre- Yves Cossé

Juin 2014

 

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