Peut-on sauver le quinquennat ?

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1092  mots
La gauche a d'ores et déjà perdu la prochaine élection présidentielle. Cela ne l'empêche pas de laisser quelques réformes à l'issue de ce quinquennat. Au besoin avec le soutien ponctuel de l'opposition qui renoncerait à une obstruction systématique? Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Pour sortir la France de l'impasse, le leitmotiv le plus répandu est : faisons les « réformes structurelles » Un propos aussi général n'a aucune portée pratique. Quelles « réformes structurelles » ? Avec quel contenu ?
Aucune de ces réformes n'est simple. Dans chaque cas, les avantages et les inconvénients doivent être évaluées ainsi que les conditions et les délais d'application.
Le recul est nécessaire. Les retombées financières pour les consommateurs et les finances publiques ne sont pas immédiates. Elles peuvent même coûter dans un premier temps. De « bonnes » réformes faites maintenant ne seront perçues comme telles par les Français... qu'au début du prochain quinquennat d'Alain Juppé ou de Nicolas Sarkozy.
Si ces réformes sont perçues comme un catalogue élaboré à Bruxelles, elles déclencheront des « guerres de religion » patronat contre syndicats, Paris contre province, petites entreprises contre monopoles, alimentées par de puissants lobbys.

Réformes: pour une approche non dogmatique

La guerre contre « les professions fermées » contre « le millefeuille territorial » ou « les rigidités du marché du travail » ne mobilisent que les adversaires, les milieux concernés, laissant indifférente une grande partie de l'opinion.
L'approche réaliste consiste à partir de situations existantes, malthusiennes et nocives, pour les corriger, fixer les résultats concrets à obtenir et expliciter les moyens à mettre en œuvre.
Quelques exemples de cette approche « existentielle » et non dogmatique.

Une priorité, conjoncturelle et structurelle, est une offre de logements diversifiée en prix et en statut. Pour ce faire, il faut détecter les rentes, distorsions et situations abusives sur toute la chaîne: rétention de terrains par les propriétaires privés et publics, comportements malthusiens de municipalités et d'organismes de constructions sociales, fiscalité qui freine les transactions, rémunérations excessives des intermédiaires, promoteurs et notaires. La méthode de la négociation et du compromis dans un délai de temps limité, à partir d'un rapport de forces s'appuyant sur la demande des mal -logés et une volonté politique n'est pas optimale, mais possible. Cela ne signifie pas qu'il faille se désintéresser du volet demande.

Revoir les jours fériés?

Une autre priorité est une meilleure mobilisation de notre force de travail dans des conditions acceptables par les salariés. Comment se satisfaire de la semi paralysie de la France durant le mois de mai (ne parlons pas du désert du mois d'aout) du fait des jours fériés et des congés à prendre avant la fin du mois ? Le 8 mai (qui avait été supprimé par VGE) et le lundi de Pentecôte (déjà écorné par M. Raffarin) sont-ils intangibles ? Les dates- limite ne peuvent-elles être revues ? Bien sûr, il faut des compensations, par exemple une amélioration de la formation.

Moduler la durée du travail, comme le défendait le chroniqueur Emmanuel Macron

Les écrits du chroniqueur d'Esprit, Emmanuel Macron, méritent aussi réflexion: la durée du travail pourrait être modulée (elle l'est déjà d'ailleurs) si les organisations syndicales majoritaires sont d'accord et dans des conditions à débattre. Ouvrir les magasins le dimanche dans les zones fréquentées par une clientèle ne peut être plus longtemps différée. Mais tout ceci ne se fera pas au moyen de déclarations tonitruantes sur la place publique et par des mesures uniformes.

Revoir les réglementations malthusiennes en matière de transport

Une amélioration de la mobilité urbaine et interurbaine permettrait de sortir de leurs ghettos des populations enclavées et leur accès à l'emploi. Les réglementations malthusiennes pour le transport par car ou en taxi sont à réexaminer dans cette perspective. Bien évidemment, on n'échappera pas à un étalement dans le temps et aux compensations financières en cas de suppression brutale des rentes.

Trouver une coalition gagnante pour chaque réforme

Dernier exemple, celui de la réforme territoriale. Plus que la réalisation d'économies de fonctionnement, nécessairement de second ordre, l'enjeu est d'accroître les marges de manœuvre pour les acteurs susceptibles de faire plus et mieux, soit concrètement de doter les régions et les métropoles de pouvoirs supplémentaires dans l'ordre économique et social en réduisant simultanément l'interventionnisme parisien.

Bien évidemment, le consensus dans chaque cas sera limité et dans chaque cas, il faudra trouver la coalition gagnante.

La gravité de la crise peut-elle amener à inverser les comportements habituels?

Est- ce faisable d'ici la fin du quinquennat ? A priori non. La carence intellectuelle de la majorité ou ses divisions sont évidentes. Quelle réflexion sur le contenu de la réforme territoriale ? Sur les professions fermées, qui exercent une forte pression sur les élus ? Sur l'efficacité du marché du travail ? Son intérêt électoral à court terme ne serait-il pas de différer les réformes et d'éviter une montée supplémentaire de mécontents. La perspective que les fruits ne seront récoltés que dans le prochain quinquennat n'est guère mobilisatrice.
Réflexion faite, un retournement est possible avec un effort de lucidité et de civisme. La gravité de la situation actuelle, politique et économique, pourrait inverser les comportements habituels.

La gauche déjà perdu la prochaine présidentielle, mais elle peut laisser quelques réformes

La gauche a perdu toute chance de gagner la prochaine présidentielle. Non seulement François Hollande ne sera pas élu mais il ne sera pas candidat. La seule possibilité pour les socialistes est que pour barrer l'extrême droite, un gouvernement de salut national, axé sur quelques priorités, exerce pour un temps le pouvoir. Compte tenu de notre système majoritaire, une telle formule est peu probable.
Reste à la gauche de gouvernement de se situer à un terme plus éloigné et de montrer qu'elle est capable de réformer, ce dont le pays doute, en laissant derrière elle quelques changements substantiels qui se révéleront pertinents et seront une référence pour les échéances suivantes.
Reste à la gauche le soin de choisir ses priorités et ses « réformes structurelles » en tenant compte notamment de la priorité à donner à l'investissement et à la mobilisation des forces vives dans les régions et les métropoles. C'est dire que le logement et la réforme territoriale figurent dans les priorités. L'opposition, assurée de recueillir une succession difficile, pourrait-elle renoncer à une obstruction systématique et adopter un comportement sélectif ?

Pierre- Yves Cossé