Comment l'élection présidentielle a fini par polluer le fonctionnement de nos institutions

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  805  mots
La France est déjà entrée en pré-campagne présidentielle, au risque de bloquer le fonctionnement normal du gouvernement. Si on ne peut revenir sur l'élection du président au suffrage universel, il est parfaitement possible de limiter son rôle. Pour retrouver une certaine sérénité... Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Depuis quelques jours, mes nuits sont peuplées de cauchemars, où s'emmêlent le temps et la chronologie. Je ne dois pas être le seul Français dans ce cas.
Dans le premier cauchemar, je descends le temps. Les années 2015 et 2016 sont effacées. Nous sommes en 2017 peu avant la campagne présidentielle. C'est le temps des petites phrases, des jeux exclusivement tactiques, des entourages qui se placent pour toucher leur récompense au lendemain du succès de leur candidat. C'est le temps des formules incantatoires, des recettes magiques et des engagements qui ne seront pas tenus. Plus de débats de fond et de recherche de solutions novatrices. Brutalement, nous sommes entrés dans cette période.

Les media lancés sans retenue dans une campagne pré-présidentielle

Au lieu de traiter l'élection du chef du principal parti d'opposition comme un sujet important mais limité, les media se sont lancés avec délices et sans retenue dans une campagne pré- présidentielle. Ce sujet va réduire tous les autres à la portion congrue.
Belle période pour les journalistes. Il suffira d'aller déjeuner avec un de ces hommes de l'ombre, proches d'un candidat présumé, particulièrement faciles d'accès durant ces périodes et l'on aura des « tuyaux » qu'il suffira de mettre en forme. Plus rapide qu'une enquête sur un des graves problèmes économiques et sociaux qui se posent à notre pays.
Période qui tolère les insolences. En campagne, on peut tout dire ou presque. Un journaliste sur une chaîne publique- pas sur le Petit Journal- interroge le principal adversaire de François Hollande sur la poursuite du mandat du président de la République à son terme. La classe politique, elle aussi, dans sa majorité, ronronne de plaisir. François Bayrou retrouve du tonus.

 Et tout à coup, surgit le mot "Schengen"

Dans le second cauchemar, c'est l'inverse. Je remonte le temps. Nous sommes en 2012. Les personnages politiques sont les mêmes qu'à cette époque. L'un a pris quelques kilos, l'autre a quelques rides en plus. Félicitons-nous, le métier politique conserve et la santé de nos élus n'est pas affaiblie par la crise. Mais pas de tête nouvelle. Au moins, ces acteurs, qui résistent à l'usure et au temps, renouvellent-ils leurs propositions ? Dans le ces de Nicolas Sarkozy, en dépit de ses affirmations, c'est non. Il a fallu un mot pour que nous nous retrouvions entre les deux tours de la campagne présidentielle de 2012.

Ce mot « Schengen »surprit parce qu'il n'était pas attendu. Comment croire un instant que, Schengen ou pas Schengen, ce soit la solution. Les millions de Syriens qui quittent leur pays vont -ils disparaître dans la nature, les détroits de Gibraltar et de Messine vont-ils rétrécir, des Afghans vont-ils cesser d'arriver à Calais ? Le « traître » Patrick Buisson ne peuplerait-il pas les rêves de l'ancien président de la République ? Il s'agit de susciter des réflexes plutôt que de traiter un problème.

Limiter la place du Président

Les mêmes acteurs sur les mêmes thèmes plus de deux ans avant l'échéance, c'est le cauchemar permanent pour beaucoup de Français, sauf pour Marine Le Pen, qui profitera de la dépolitisation engendrées par la lassitude et le désintérêt.
Nous vivons une étape supplémentaire dans la dégradation de nos mœurs politiques. L'élection présidentielle a fini par polluer gravement le fonctionnement de nos institutions. Du temps du septennat et des présidents de stature incontestable, les inconvénients étaient supportables. Ce n'est plus le cas.
Puisque les Français tiennent à l'élection du Président de la République au suffrage universel, comme cela se pratique dans de nombreux pays, gardons le suffrage universel mais limitons la place du président.

Deux mesures simples

Il suffirait de deux mesures simples pour que l'article 20 de la constitution, selon le quel « le gouvernement conduit et dirige la politique de la nation » soit appliqué. Que le conseil des ministres soit présidé par le Premier Ministre et que ce dernier nomme les ministres (articles 8 et 9).  Dans cette perspective d'un président moins impliqué dans la politique quotidienne, le retour au septennat, mais non rééligible, serait cohérent. Nous aurions au moins un homme politique qui se sente concerné par le long terme.
Ainsi rééquilibré, le fonctionnement de nos institutions pourrait être plus serein et les candidats à la fonction présidentielle plus modestes, voire moins nombreux. Existe-t-il des forces politiques, conscientes de la dégradation de notre système politique, prêtes à proposer un tel changement? Pour l'instant, elles ne sont guère visibles. Mais les citoyens pourraient être moins patients.

Pierre- Yves Cossé
Septembre 2014