Arbia Smiti, l'étoffe d'une grande de la mode sur Internet

À 30 ans, la fondatrice de Carnet de mode prépare une levée de fonds aux États-Unis. En trois ans, ce petit bout de femme s'est fait une place dans le monde très fermé de la mode.
Arbia Smiti, la fondatrice de la plate-forme de vente en ligne Carnet de mode part à la conquête de l’Amérique./ DR

Des dizaines de couvertures de Vogue, Grazia, Elle ou encore Madame Figaro accrochées aux murs dans de sobres cadres noirs. Les locaux de Carnet de mode sont raffinés, sans exubérance, à l'image de la maîtresse des lieux, Arbia Smiti.

À 30 ans, ce petit bout de femme au doux minois s'apprête à donner une nouvelle envergure à la société qu'elle a créée il y a trois ans pour dénicher et promouvoir les jeunes créateurs de talent à travers le monde.

En avril, elle ira fouler de ses escarpins la terre promise des startupers : la Silicon Valley

Elle entend bien séduire de nouveaux investisseurs pour lever 3 millions d'euros, un an après avoir convaincu Elaia Partners, le fonds de capital-risque qui a notamment soutenu Criteo, le-français-qui-est-entré-au-Nasdaq, de miser 1 million d'euros sur son entreprise.

Pascal Chevalier, entrepreneur, investisseur et membre du directoire de 50 Partners, a été le premier à croire dans le potentiel d'Arbia Smiti, alors qu'elle débutait avec son parcours atypique.

« Je l'ai entendue "pitcher" au Loft 50 Partners avec une énergie débordante, beaucoup de passion et une grande force de conviction. Et quand nous sommes entrés en négociation sur la valorisation de son entreprise, elle s'est montrée déterminée et persévérante. La négociation a duré longtemps... », se souvient ce mentor reconnu, qui apprécie en outre « la pertinence de la vision, dans la stratégie comme dans les détails ».

Pressentant dès 2011 que l'essor du crowdfunding aux États-Unis finirait par toucher l'Europe, elle fonde son business model sur le financement participatif pour permettre la production des futures collections de jeunes créateurs de mode.

« Mais un business model fondé sur le crowdfunding s'essouffle vite. J'ai donc décidé en 2012 d'abandonner la logistique et de faire de Carnet de mode une place de marché. Grâce à une technologie que nous avons nous-mêmes développée, nous permettons aux créateurs de construire leur propre univers en ligne et nous leur offrons de la visibilité dans les médias. Aujourd'hui, nous sommes la référence internationale en matière de créateurs de talent émergents dans le monde », débite-t-elle, soulignant au passage que « faire un pivot, c'est simplement transformer un échec en réussite ».

Elle entend recenser, d'ici à la fin de l'année, plus de 1.000 créateurs sur sa plate-forme, qui en compte aujourd'hui 250 dans 36 pays. D'ici là, cette militante de la démocratisation du luxe aura également lancé la version chinoise du site, qui génère 70 % de son chiffre d'affaires à l'étranger. Tout cela depuis Paris, où s'affaire une dizaine de collaborateurs, qu'elle encourage à prendre des initiatives sans validation préalable, désirant n'être informée que du résultat, « pour ne pas perdre de temps ».

Arbia Smiti veut aller vite et haut

Dès le lancement de la version bêta de Carnet de mode, en janvier 2011, elle envisageait de sortir du projet au bout de cinq ans, après avoir suffisamment développé l'activité pour l'adosser à un grand groupe, et de fonder alors une nouvelle start-up, dans les médias ou la culture.

« J'aime le côté fun du lancement, et les équipes à taille humaine. Diriger un empire, ça m'ennuierait. »

Mais avant de lâcher les rênes de Carnet de mode, elle veut hisser sa start-up au rang de référence internationale. Elle ne cache pas son ambition, car c'est au fil de ses rêves qu'elle s'est tissé un parcours d'exception.

« Je suis née à Tunis, dans une famille plutôt modeste de fonctionnaires. Enfant, je voulais être présidente du monde, parce que la Tunisie me semblait un pays trop petit. Je voulais avoir beaucoup de pouvoir pour changer le monde, et arrêter les guerres.

En grandissant, j'ai eu très tôt l'envie de m'orienter dans la voie de la création, mais j'ai préféré la sécurité d'une voie plus classique », précise-t-elle.

Douée dans ses études, la brillante Arbia Smiti entre au très élitiste lycée pilote de Tunis pour se préparer à intégrer une école d'ingénieurs en France. Ce sera l'École supérieure du Bois, à Nantes.

« Cette formation m'a permis de voyager en Nouvelle-Zélande et en Autriche. Mais j'ai rapidement compris que le métier auquel elle me préparait n'était pas pour moi : quand on est une femme à talons, diriger une dizaine d'hommes sur un chantier, c'est assez difficile », sourit-elle.

Son diplôme en poche, elle part compléter sa formation à l'ESCP, avec un master marketing et communication

Cette formation lui ouvrira les portes d'un monde plus féminin : le luxe et la cosmétique, chez L'Oréal et Fashionshopping.com. Elle lui permettra aussi de rencontrer Ronan Pelloux, le fondateur de Creads.

« Ronan est mon époux et l'associé que je n'ai pas pu avoir. Il a réalisé la première version de la plate-forme de Carnet de mode, et il continue de m'apporter des conseils et de m'accompagner dans des brainstormings. »

« Arbia a un caractère très indépendant et elle veille à ne pas se laisser influencer dans ses prises de décisions. Elle ne suit pas toujours mes recommandations. Parfois, je me demande si ce n'est pas juste pour affirmer son autonomie par rapport à son mari », plaisante Ronan Pelloux.

Pour gagner en efficacité, valeur cardinale d'Arbia Smiti, le couple enchaîne en duo les soirées de networking dans l'écosystème parisien.

Elle fréquente également les réseaux réservés aux entrepreneuses, intervenant chez Girls in Tech, et une fois par mois elle déjeune avec le groupe informel des entrepreneuses de l'e-commerce parisien qu'elle a initié. Intégrée au très sélectif réseau Sandbox, qui réunit sur tous les continents un millier de jeunes de moins de 30 ans à haut potentiel, « elle s'est toujours distinguée comme un membre très actif », confie Rand Hindi, fondateur de Snips et créateur du hub parisien de Sandbox.

Elle noue ainsi des contacts entrepreneuriaux au gré de ses voyages.

« J'ai créé ma société en France, car Paris fait référence dans le milieu de la mode, où j'ai fait ma place grâce à ma capacité d'innovation, car je ne connaissais personne pouvant m'introduire dans ce milieu très fermé.

Mais je tiens à rester ouverte sur le monde. Les conférences par Skype avec des partenaires partout dans le monde font partie de mon quotidien. Au bureau, nous parlons souvent anglais entre nous. »

Alors, si des investisseurs américains potentiels lui demandent d'ouvrir des bureaux à San Francisco, elle ne laissera pas filer l'occasion.

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>>> MODE D'EMPLOI

Où le rencontrer ? : « A l'occasion d'un déjeuner, dans le quartier Montorgueil. 99 % de mes déjeuners sont consacrés au networking et au partage d'expériences entrepreneuriales. »

Comment l'aborder : « Straight to the point ! Soyez direct et efficace. Je le serai également dans mes réponses, que ce soit un "oui" ou un "non". »

À éviter ! « N'en faites pas trop. Et oubliez ce formalisme très français qui veut qu'un exposé débute par une introduction en trois paragraphes... Ce n'est pas mon style. »


>>> TIMELINE

  • Novembre 1983 Naissance à Tunis
  • 2009 Master marketing et communication à l'ESCP
  • 2009 Chef de produit cosmétique chez L'Oréal puis chez Fashionshopping.com
  • Septembre 2010 Fonde Carnet de mode
  • Septembre 2012 Entre chez Microsoft à Paris
  • Juillet 2011 Rejoint le réseau Sandbox
  • Avril 2014 Cherche des fonds aux États-Unis, un an après avoir levé 1 million d'euros auprès d'Elaia Partners
  • 2016 Vend Carnet de mode, fonde une nouvelle start-up

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Commentaire 1
à écrit le 19/08/2014 à 18:28
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Bonjour, Arrêtons cette hypocrisie, ce site "canets de mode" n'est pas là pour aider les créateurs mais pour ceux qui ont les moyens de s'offrir une séance de photos avec mannequins... Donc le critère n'est pas la qualité des créations... --

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