Lorenzo Benedetti, le "good feeling" du Studio Bagel

À 33 ans, le fondateur de Studio Bagel a défriché un nouveau business model de média via la plate-forme de vidéos YouTube. Pour accélérer sa croissance, il vient de vendre à Canal+ 60 % du capital de sa maison de production de talents humoristiques.
Lorenzo Benedetti, le "big boss" du Studio Bagel. / DR

Une conversation avec Lorenzo Benedetti débute toujours par une plaisanterie. Une sorte de préambule pour ce hipster barbu et décontracté. Mais ensuite, c'est avec méthode et sérieux qu'il parle affaires. L'humour est son fonds de commerce sur la Toile.

Sous l'enseigne Studio Bagel, il diffuse, via des chaînes YouTube, de nouveaux talents du rire. Avec une fierté à peine dissimulée, le fondateur âgé de 33 ans énonce les chiffres du succès :

« Nous produisons 11 talents, nous avons 1,5 million d'abonnés sur la chaîne YouTube de Studio Bagel, et autant pour les chaînes de certains talents. Nos séries parodiques phares, comme Les Tutos de Camille, Inspecteur Le Blanko et MicroTroll, génèrent 40 millions de vues par mois. »

« J'étais un genre de "superassistant" »

Le ton décalé de ces créations a séduit un public jeune, ainsi que Canal+, qui vient d'acquérir 60% du capital de cette société de production atypique. Lorenzo Benedetti emménagera en mai dans les locaux du groupe de télévision pour continuer de piloter son projet, avec davantage de moyens pour la réalisation des vidéos. Intégrer un grand groupe ne lui fait pas peur. Il en connaît le fonctionnement, ayant débuté comme chargé de mission chez France 5.

« J'étais un genre de "superassistant" aux côtés du directeur des programmes. Je devais notamment rédiger le rapport d'activité annuel pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ce qui impliquait d'aller récupérer les informations dans chacun des services. »

L'expérience lui permet d'affiner son projet professionnel, après s'être longtemps cherché.

« Dans ma famille, tout le monde est chercheur, médecin ou scientifique. J'ai su très tôt que ce n'était pas ma voie. J'aspirais à un métier plus artistique », confie Lorenzo Benedetti.

Pourtant, c'est d'abord vers le droit que se tourne ce bon élève, avant d'intégrer Sciences Po Paris, pour se rapprocher de ce qui l'intéressait :

« Le journalisme, le cinéma, et surtout la musique. »

Il déchante après un stage chez Universal Music, où il gérait les « projets spéciaux » réunissant les marques et les talents.

« À l'époque, l'industrie du disque sombrait dans la crise, ne sachant pas comment faire face à la diffusion gratuite des oeuvres sur Internet. Et j'ai compris que ma formation ne me permettrait pas d'accéder à un poste de producteur. »

Il s'oriente alors vers l'audiovisuel

Il parvient à intégrer le DESS de la Sorbonne créé par Daniel Sabatier, qui fait référence dans la profession. C'est un des professionnels intervenant au sein de cette formation qui lui ouvre une première porte dans ce milieu très fermé. Alexandre Michelin, aujourd'hui directeur général de Microsoft Online Media and Publishing Europe - Moyen-Orient - Afrique, était alors directeur de l'antenne et des programmes de France 5 :

« Lorenzo se distinguait par son profil atypique : un geek intéressé par les médias traditionnels. Très sympathique, curieux de tout, avec une culture très large, il m'avait impressionné par sa connaissance encyclopédique de tous les styles de musique. La réussite de Studio Bagel ne doit rien au hasard, et Lorenzo n'est qu'au début de sa carrière. »

Quand on lui prédit un bel avenir, Lorenzo Benedetti affiche une moue embarrassée. Amateur d'astrologie, superstitieux, il refuse de tirer des plans sur la comète. Ce lecteur de Machiavel est convaincu que la réussite tient à la fois à la chance et au talent. Il mise sur sa persévérance pour provoquer la bonne fortune.

En 2005, il tente sa chance auprès des boîtes de pro

« Deux mois après avoir envoyé mon CV à Air Productions, Nagui en personne m'a appelé. Sur le coup, j'ai cru que c'était une blague, confie Lorenzo Benedetti. Je suis devenu chargé de production, montant les dossiers pour vendre les programmes aux chaînes.

Et comme je suis quelqu'un de sympa, Nagui m'a emmené partout. Il n'y a pas meilleur professeur de pitch que lui !

Et quand je lui ai demandé de m'apprendre à fabriquer un programme, il m'a confié la coordination artistique des Victoires de la musique. Pour moi, c'était le rêve ! »

La productrice de l'événement, Valérie Médioni, l'entraîne alors dans une nouvelle aventure : créer un label consacré aux programmes multiformats et crossmédias au sein du groupe Telfrance. Ils lancent ensemble Prod 360 en 2007.

« Nous partions d'une feuille blanche, avec pour seuls actifs notre énergie et notre enthousiasme. À l'époque, le groupe Telfrance était connu pour ses fictions, comme Plus belle la vie, ou ses magazines, comme Les Maternelles.

Avec Prod 360, nous devions défricher les programmes de flux. J'ai découvert les galères de la production indépendante, les refus en cascade. Jusqu'à ce que Gulli nous fasse confiance sur un projet d'émission de cuisine pour les enfants. La première que j'ai produite et réalisée. »

Le créneau du « brand content »

En 2010, après le départ de Valérie Médioni, Fabrice Larue, le PDG du groupe Newen (créé par acquisition de Telfrance, Be Aware et Capa), décide de le laisser piloter Prod 360 seul :

« J'avais senti son potentiel. Lorenzo déborde d'idées. Il était très intéressé par l'émergence des nouveaux business models dans le numérique, notamment par le "brand content". Mais il était également évident qu'il souhaitait devenir son propre patron. J'ai donc déploré son départ, mais je ne pouvais pas l'empêcher de choisir la voie que j'ai voulue pour moi-même. »

Durant ses cinq ans chez Prod 360, Lorenzo Benedetti s'est forgé deux convictions :

« Quand on ne peut pas être un grand acteur du marché, il faut être singulier, se différencier pour percer. Et j'ai découvert qu'on pouvait vendre nos contenus non seulement aux chaînes de télévision, mais aussi aux marques. »

C'est sur ce créneau du « brand content » que se place The Social Company, qu'il fonde en janvier 2012. Lorenzo Benedetti a déjà des recettes de succès et un goût pour l'humour (Antoine de Caunes, les Nuls, Alain Chabat, les films de l'américain Judd Apatow).

Le Studio Bagel, une expérimentation sociale

Avec Éric Hannezo, cofondateur de Black Dynamite Productions, il lance une coproduction intitulée Studio Bagel « pour voir ce qu'on pouvait faire dans le nouvel écosystème qu'était YouTube. C'était une danseuse. Nous n'avions pas de stratégie, seulement l'envie d'expérimenter cet outil pour faire émerger une communauté », précise Lorenzo Benedetti. La chaîne est lancée le 16 novembre 2012, « le même jour que Golden Moustache », son concurrent, et le public est au rendez-vous.

Quelques mois plus tard, Christelle Graillot, la responsable de la cellule repérages de Canal+, sollicite Lorenzo Benedetti pour produire une série de dix épisodes, Groom Service, diffusée sur son antenne pendant le Festival de Cannes.

« Dès septembre, nous avons signé pour trois séries, dont deux quotidiennes. Il a fallu s'organiser pour produire autant. J'ai su déléguer à mon équipe », sourit Lorenzo Benedetti, qui menait alors en parallèle les discussions en vue de l'acquisition de Studio Bagel par Canal+.

L'affaire est à peine conclue que, déjà, ce père de deux enfants planche sur la suite :

« Nous préparons un long-métrage avec Orangina et nous allons créer Bagel School, une chaîne de tutoriels sur les effets spéciaux. »

On ne badine pas avec l'humour.

 

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>>> MODE D'EMPLOI

Où le rencontrer ? : Abordez-le sur les réseaux sociaux, de préférence via Twitter.

Comment l'aborder : De manière directe, « J'ai été dans la position du mec pénible qui doit frapper à toutes les portes. Je suis donc compatissant, et je lis tout ce qu'on m'envoie. »

À éviter ! « Plutôt que de me dire que vous avez plein d'idées, rédigez un script et envoyez-le-moi ! ».


>>> TIMELINE

  • Mai 1980 Naissance à Paris
  • 2004 Chargé de mission chez France 5 Mars
  • 2006 Chargé de production chez Air Productions
  • 2007 Lance Prod 360 avec Valérie Médioni, au sein du groupe Telfrance
  • Janvier 2012 Fonde The Social Company 16 novembre
  • 2012 Lancement de la chaîne YouTube Studio Bagel
  • Mars 2014 Vend 60 % du capital de Studio Bagel à Canal+, qu'il rejoint
  • 2016 Toujours chez Canal+. Ou en voyage spatial.

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