"Nous ne serons pas le Florange des femmes"

Les sages-femmes entament leur 5ème semaine de grève. 80 % des maternités sont concernés. Alors même que la maternité des Lilas, elle, lance toutes ses forces pour stopper son arrêt programmé.
Marie-Laure Brival, chef de service Maternité des Lilas

La fronde féminine sourd. Les cigognes craquent.* Les sages-femmes entament leur 5ème semaine de grève. Aujourd'hui, 80 % des maternités sont concernés sur tout le territoire. Après la rencontre avec leur ministre de tutelle, Marisol Touraine, le 19 novembre, elles ne désarment pas. Certes, elles ont obtenu l'ouverture du dialogue, mais à 99 % les sages-femmes ont décidé de ne pas baisser la garde. C'est la première fois que toute la profession est ainsi mobilisée. Chaque jour, de nouvelles maternités rejoignent l'Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes (ONSSF).

De son côté, à la Maternité des Lilas, le compte à rebours avant la fermeture fait monter la pression. Après avoir mené différentes actions dont le recueil de 28 000 signatures sur la pétition du collectif, en l'absence de réponse, Marie-Laure Brival, la cheffe de service de la Maternité des Lilas et son équipe, passent à l'offensive médiatique de grande ampleur. Télés, radios et presse écrite répondent à la positive.

L'affaire reçoit d'autant plus d'échos favorables qu'elle intervient alors même que le rapport, remis à Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, le 7 novembre dernier, relatif à l'accès à l'IVG, appelle à un moratoire de la fermeture des centres d'IVG. L'ancienne députée socialiste, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), Danielle Bousquet, pointe en effet du doigt les menaces qui pèsent sur le droit à l'avortement en France, puisqu'en dix ans 130 centres d'IVG ont ferméavec un rythme accéléré depuis la loi "Hôpital, patients, santé et territoire" (HPST), dite loi Bachelot, votée en 2010. Or, la Maternité des Lilas est non seulement un lieu emblématique d'une certaine manière de concevoir la naissance, mais elle est aussi l'un des plus grands centres d'IVG d'Ile de France.

On nage dans l'absurde. D'un côté, Najat Vallaud-Belkacem s'engage avec détermination et conviction pour améliorer l'accès à l'IVG, de l'autre, les faits s'inscrivent à contre-courant. Explications.

 

« Nous ne serons pas le Florange des droits des femmes »

« Je m'appelle Marie-Laure Brival. Je suis gynécologue obstétricienne. J'ai connu la Maternité des Lilas en 1982 à l'occasion d'une première garde de remplacement. J'y suis revenue définitivement en 1987. Avant d'en devenir la cheffe de service en gynécologie obstétrique à partir de 2006.

Comme tous les chefs de service, mon rôle est de veiller au fonctionnement de l'établissement et de chapeauter l'organisation. Au delà, je suis un peu la dépositaire de l'idée même de cette structure innovante.

La maternité des Lilas est depuis 50 ans une institution qui milite pour l'épanouissement des femmes et des couples sur le chemin de la parentalité. Dans l'histoire des femmes, cette maternité est essentielle. Elle est née de la volonté de mettre au monde autrement, elle prône « une certaine idée de la naissance ». Quand il y a 50 ans, la médicalisation des naissances devenait outrancière, des professionnels de la santé se sont interrogés : qu'est-ce que la naissance ? Comment accompagner les futurs parents ? Comment donner aux femmes et aux hommes la liberté de choix d'avoir ou ne pas avoir d'enfant ? Nous étions en 1964, la maternité est sortie de terre, grâce au mécénat, sur un terrain aux Lilas.

Depuis, l'institution n'a fait qu'appliquer au quotidien la même philosophie. Au début, la maternité était considérée comme un établissement alternatif choisi, par des couples qui refusaient de se sentir dépossédés par un corps médical trop envahissant. Puis, lors des discussions autour de la loi Veil, en 1975, elle est devenue un lieu militant du Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception (MLAC). Des médecins se sont engagés. Et la maternité s'est positionnée à double titre aux côtés des femmes dans leur droit à avoir ou ne pas avoir d'enfants et dans leur liberté de choisir à quel moment devenir parent.

Quand je suis arrivée en 1982, nous réalisions autour de 900 à 1000 naissances, aujourd'hui, nous accompagnons 1700 naissances chaque année. Pour les IVG, nous en pratiquions 600 en 1982, actuellement, nous en sommes à peu près 1200 à 1300 avortements. En moyenne, chaque année, nous avons mené 1200 accouchements et 1000 IVG depuis 1964. Cela fait beaucoup de bébés qui sont nés aux Lilas. Après trente ans d'exercice, je donne naissance aux enfants de femmes que j'ai accouchées il y a 25 ou 28 ans.

Qu'il s'agisse d'une naissance ou d'une interruption volontaire de grossesse, les pères jouent un rôle essentiel. Très tôt, nous avons défendu l'idée de leur présence en salle de préparation à l'accouchement ou dans le bloc opératoire. A l'époque, on nous prenait pour des fous. Aujourd'hui, les exclure, leur refuser ce choix, paraitrait totalement rétrograde aux yeux de tous.

La maternité a aussi été innovante dans les méthodes d'accouchement, reconnaissant d'autres possibles postures. Que ce soit debout, allongée ou accroupie. Là encore, on nous a pris pour des déments. Or, depuis, les études ont confirmé l'importance de la mobilité comme facteur essentiel d'aide à la venue au monde.

Nombre de personnalités, c'est vrai, sont venues accoucher ici. L'actrice Karine Viard est la marraine de notre collectif de soutien. La chanteuse Catherine Ringer des Rita Mitsouko chemine à nos côtés. Mais, malgré cette belle notoriété notre établissement est une maternité de proximité. C'est un lieu pour toutes les femmes. Elle est très ancrée sur son territoire, le 93, qui est un département sinistré.

Au service d'orthogénie, les femmes sont accueillies avec beaucoup d'attentions. Quand elles font ce choix, c'est difficile, on doit les respecter et les accompagner sur le cheminement de cette décision mûrement réfléchie. J'ai commencé dans ce service comme responsable de la planification en 1982 ; cela a été une lutte quotidienne pour faire entendre la nécessité de respecter la liberté de choix.

Quand la loi a changé en 1981, nous avons été l'un des tous premiers établissements à appliquer la loi dans son intégralité, avec l'allongement des délais jusqu'à 14 semaines. Dans le cadre de l'Association Nationale des Centres d'Interruption de Grossesse (ANCIG) que je présidais, nous avons démontré, grâce à des enregistrements vidéo, que la technique demeurait identique à 12 ou 14 semaines d'aménorrhée. La maternité a toujours été un lieu militant.

Le 8 mars 2012, pour la journée des femmes, François Hollande, futur président de la République, accompagné de Claude Bartolone, aujourd'hui Président de l'Assemblée nationale, nous ont rendu visite ; il a apporté son soutien total au projet d'extension. François Hollande confirmant même qu'il serait présent pour inaugurer la future maternité prévue en 2013.

A l'occasion du 38ème anniversaire de la loi, le 17 janvier dernier, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, et, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, ont tenu à venir à la Maternité des Lilas, accompagnées de Claude Evin Directeur général de l'ARS. En nous honorant de leur présence, ils ont reconnu notre travail et affirmé leur engagement à nos côtés pour une autre naissance et le droit à l'avortement.

Nous n'avons jamais changé de ligne de conduite depuis 50 ans. Notre structure figure d'établissement modèle sur le plan national ; elle fait œuvre d'utilité publique pour le département de la Seine-Saint-Denis.

En 50 ans, nous n'avons pas beaucoup dépensé les deniers de l'argent public. Le bâtiment a été construit en 1963, aujourd'hui, il a besoin d'être modernisé. Il est devenu trop étroit car notre notoriété est telle, que nous n'avons pas la place de répondre à toutes les demandes. Et nous ne pouvons augmenter notre capacité d'accueil, en répondant aux exigences de la nouvelle budgétisation et de la tarification à l'activité (T2A) qui obligent les hôpitaux à avoir un certain niveau d'activité pour équilibrer leur budget. Dans les locaux actuels, malgré les extensions que nous avons réalisées par le passé, nous ne pouvons aller au delà de 1700 naissances par an. Aussi, depuis une dizaine d'années, nous avons cherché des solutions pour augmenter nos capacités d'accueil.

En 2009, le projet de reconstruction a été validé dans le cadre du plan hôpital 2012. Tous les plans ont été actés, le dossier est passé entre les mains les plus expertes du pays pour analyser les finances et la viabilité du projet. Tout a été approuvé.

Une première fois, en 2010-2011, l'Agence régionale de la santé (l'ARS) a stoppé le projet. Claude Evin Directeur Général de l'ARS, a décidé de revoir le dossier. Alors même que nos conditions de travail se dégradaient, nous nous sommes battus pour démontrer la fiabilité de l'extension. Un médiateur a passé trois mois dans la maternité ; ses conclusions ont confirmé la viabilité du projet de construction est viable. Il a donc de nouveau été acté en septembre 2012 par Claude Evin lui-même.

Quatre mois plus tard, lors de leur visite, Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine et Claude Evin, ont réitéré le soutien du chef de l'Etat. Tout allait bien, nous étions confiants. Nous attendions tranquillement la pose de la première pierre.

Mais, voilà, après les trompettes et les confettis, à partir de fin janvier à fin mai, nous sommes entrés dans une phase de silence étourdissant. Plus aucune nouvelle, jusqu'à ce que nous recevions le 3 juin, un courrier de Claude Evin nous annonçant que la construction était finalement définitivement arrêtée, sans aucune autre alerte, sans aucune forme de discussion, sous prétexte que la maternité affiche un déficit structurel de 2 millions d'euros.

On ne peut que s'interroger sur le prétexte avancé. Puisque le coup d'arrêt apparaît tout à coup le 3 juin 2013, signé de la main de Claude Evin qui, au vu de tous les éléments et de l'avis des experts sur la fiabilité du projet et l'analyse financière de l'établissement, a lui même acté la reconstruction neuf mois auparavant. C'est pour le moins incompréhensible.

Que s'est-il passé ? Comment l'ARS n'aurait-elle pas anticipé ce déficit ? C'est impossible puisque c'est l'ARS elle-même qui a commandité les dépenses supplémentaires qui apparaissent dans le budget 2012. C'est l'ARS en juin 2011 qui a demandé - en l'espace de 24 heures - d'investir 1 million d'euros sur le pôle anesthésie. L'ARS a parfaitement su qu'une panne de monte malade nous a par ailleurs contraint à trois mois d'arrêt d'activité. Trois cents patientes ont du être transférées, ce qui correspond à une perte de 500 000 euros.

Je ne veux pas entrer dans la polémique comptable car ce n'est pas mon rôle. Mais, en tant que médecin, quand un patient se présente à moi avec un symptôme, mon devoir et ma fonction m'imposent de regarder au delà du symptôme pour trouver l'origine du problème. On ne peut pas fustiger ce déficit en juin 2013 alors qu'on a acté neuf mois plus tôt la reconstruction des Lilas en toute connaissance de cause. Il est impossible que l'ARS n'ait rien vu venir.

Nous dénonçons l'acharnement de l'ARS à vouloir faire disparaître la maternité des Lilas et le projet médical de l'établissement.

La proposition alternative qui nous est faite de rejoindre l'hôpital de Montreuil, vise à réunir en un seul et même lieu, difficile d'accès, deux offres de maternité et d'orthogénie, au nom de la répartition des offres de soin dans le 93. On nous dit que l'indépendance de notre établissement sera sauvegardée, c'est un leurre. A terme, c'est la disparition de l'établissement qui est visée. C'est extrêmement grave. Toute la question est de savoir pourquoi ?

En France, on fait totalement fausse route dans l'organisation la périnatalité. Une société qui ne veille pas à l'épanouissement à la structure de base qu'est le cocon familial, est une société qui va mal. Ne pas prendre soin, dés la naissance, au démarrage de la parentalité, c'est envoyer un très mauvais signe. D'autres établissements comme le nôtre dont la clinique des Bluets sont en danger.

Nous, on veut simplement nous rayer de la carte. Alors même que notre personnel travaille dans des conditions de précarité extrême, ne sachant pas de quoi l'avenir sera fait, nos infirmières, nos médecins et nos sages-femmes se battent pour conserver des conditions d'accueil optimales, grâce à une qualité humaine exceptionnelle qui pallie la vétusté des locaux. Le taux de satisfaction de nos services est supérieur à 90 %.

Nous vivons une situation ubuesque. Et franchement, c'est extrêmement douloureux. Vouloir joindre une maternité comme celle des Lilas qui estun hôpital privé, conventionné de secteur 1, ne pratiquant pas de dépassements d'honoraire,à une structure de type III comme le CHI de Montreuil n'a pas de sens. De l'agent de service aux responsables des blocs opératoires, il a fallu trente ans pour constituer une équipe solide autour d'une philosophie particulière. Vouloir diluer cette éthique dans un CHI de type III, c'est programmer sa fin.

Quelle est la volonté politique derrière ce prétexte ? Il nous paraît totalement inadmissible que la maternité disparaisse sous un prétexte fallacieux. Les engagements qui ont été pris par le chef de l'Etat de venir inaugurer l'extension de la maternité des Lilas doivent être respectés. On ne s'engage pas à la légère à ce niveau de responsabilité. C'est inacceptable.

Nous demandons une réponse au chef de notre Nation, nous demandons à François Hollande de tenir sa promesse. Pourquoi s'être engagé et maintenant être dans un silence qui nous étonne compte tenu des engagements pris pendant la campagne ? Nous attendons de lui une décision forte. Nous attendons de lui qu'il s'engage pour défendre ce symbole de l'histoire des femmes, nous attendons de lui du courage politique. Nous n'accepterons pas de devenir le Florange du droit des femmes.

Il y a urgence. Lors de notre action de campement devant le ministère de la santé, il nous a été promis qu'une réponse nous serait donnée d'ici le 15 septembre. Un rapport a été commandé au professeur René Frydman, le père médical du premier bébé-éprouvette en France, on l'attend mais personne n'a rien vu venir, ni n'en a entendu parler. Nous sommes en novembre, nous n'avons aucun retour. Nous ne pourrons pas commencer l'année 2014 sans réponse.

Nous sommes surdéterminées. Nous irons jusqu'au bout de la victoire. Nous utiliserons tous les moyens pour défendre ce lieu emblématique. Au delà de tous les soutiens que nous avons reçus ; qu'il s'agisse des politiques, des syndicats, des personnalités mais aussi des anonymes (plus de 28000 personnes ont signé la pétition du collectif), nous sommes prêts à lancer un appel de à la générosité du public auprès de tous les Français.

Une nouvelle fois, nous réitérons au chef de l'Etat notre invitation à venir couper le ruban de la prochaine extension. L'an prochain, nous fêterons nos 50 ans, faisons de cet anniversaire la fête de la reconstruction.

Je suis effarée qu'un gouvernement de gauche puisse mettre en danger cet emblème du droit fondamental des Françaises à choisir la manière dont elles souhaitent donner naissance ; c'est un non sens, une énorme absurdité. Encore une fois, nous ne serons pas le Florange des droits des femmes. »

Propos recueillis par Isabelle Lefort

 * Dixit Wikimanche. La cigogne craque, craquette, claquette ou glottore mais elle demeure la plupart du temps silencieuse.

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#lescigognes

 

 

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Commentaires 3
à écrit le 21/11/2013 à 11:11
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Commentaires terre à terre, de epi97, qui n'apporte rien...

à écrit le 21/11/2013 à 3:39
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Assumez, une majorité de fonctionnaire à vote hollande!

le 22/11/2013 à 6:05
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