Demain, la constitution doit prévoir que "la loi garantit la parité"

Par Isabelle Lefort  |   |  1499  mots
Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes à l'Assemblée Nationale
Le projet de loi pour l’égalité « réelle » entre les femmes et les hommes sera voté solennellement en première lecture, mardi matin, à l’Assemblée Nationale. Lors des discussions sur l’article 18, Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes, a pris une position déterminante. « La Constitution prévoit aujourd’hui que « la loi favorise la parité » demain elle devra prévoir que "la loi garantit la parité". A quand une modification de la constitution ?

C'est mardi 28 janvier, à l'Assemblée Nationale, à partir de 9 h 30, qu'interviendra le vote solennel de la loi cadre pour l'égalité entre les femmes et les hommes, rebaptisée sur proposition de son rapporteur Sébastien Denaja, loi pour l'égalité « réelle » entre les femmes et les hommes.

Après une semaine de débats et les premiers échanges musclés, autour de l'amendement proposé par les députés socialistes de supprimer la notion de détresse pour l'avortement, contrecarré par un amendement (rejeté) visant à ne plus rembourser l'IVG, défendu par les conservateurs, le projet de loi a été majoritairement plébiscité par les républicains en première lecture à l'Assemblée Nationale. Certes, bien sûr, des invectives lancées entre les opposants les plus réfractaires (minoritaires) et les députés de gauche ont donné lieu à des passes d'armes, dont certaines nous renvoyaient 40 ans en arrière, mais exception faite de quelques saillies d'une dizaine de députés les plus réactionnaires de l'hémicycle et de Marion Maréchal Le Pen, la concorde a régné sur les bancs du palais Bourbon. Le projet de loi a fait consensus.

Petit digest de ce qui devrait changer, dans l'attente d'une confirmation en deuxième lecture du texte au Sénat et à l'Assemblée.

  1. Avortement.  L'article "5 quinquies C" supprime du Code de la santé publique la notion de "détresse" pour une femme voulant demander une IVG et la remplace par les mots : "qui ne veut pas poursuivre une grossesse". Le projet de loi renforce le délit d'entrave à l'accès à l'avortement. En effet, l'article 5 considère également qu'empêcher l'accès d'une femme à l'information sur l'avortement constitue un délit d'entrave.
  2. Congé parental. Alors qu'actuellement, 97 % du demi-million de personnes qui prennent ce type de congé sont des femmes, le texte prévoit pour les parents d'un seul enfant, qui ont aujourd'hui droit à six mois de congé, qu'ils pourront prendre six mois de plus à condition que ce soit le second parent qui en soit bénéficiaire. À partir de deux enfants, la durée du congé restera de trois ans, à condition que six mois soient pris par le second parent, sinon elle sera raccourcie à deux ans et demi.
  3. Renforcement des droits et de la protection des pères et conjoints salariés. Une période de protection de la rupture du contrat de travail de 4 semaines suivant la naissance de l'enfant est prévue pour les contrats de travail concernant les hommes salariés. Une autorisation d'absence pour suivi des examens médicaux (trois) est également accordée au conjoint, concubin et partenaire lié par un PACS de la femme enceinte.
  4. Des commandes publiques exemplaires. Les entreprises de plus de 50 salariés ne pourront candidater à la commande publique que si elles sont en mesure d'attester qu'elles respectent leurs obligations légales en matière d'égalité professionnelle.
  5. Pensions alimentaires. La solidarité publique prendra le relais du parent défaillant mais les services publics se retourneront vers lui en faisant valoir des moyens de recouvrement renforcés. Mis en œuvre à partir de 2016, ce dispositif sera expérimenté dés cette année dans une vingtaine de caisses d'allocation familiales. Il est construit à partir de l'Allocation de Soutien Familial, en lien avec les juges aux affaires familiales.
  6. Renforcement de la protection des femmes victimes de violence quelle que soit leur situation administrative. La ligne d'écoute, Grand Danger 3919, sera dés ce mois-ci le numéro unique sur les violences conjugales, le viol, les mutilations sexuelles ou le mariage forcé. Un stage de responsabilisation aux frais des auteurs de violences sera créé, pour la prévention et la lutte contre les violences intra-familiales et sexistes. La ministre a assuré qu'elle soutiendrait une proposition de loi pour inscrire l'incrimination d'inceste dans le code pénal et l'absence présumée de consentement de l'enfant. Un amendement PS pour mieux protéger les enfants a également été adopté qui prévoit, que lorsqu'un parent est coupable de meurtre au sein du couple, la justice se pose systématiquement la question du retrait de l'autorité parentale.
  7. Harcèlement. L'article 12 franchit une étape supplémentaire dans la reconnaissance des violences psychologiques, puisqu'il harmonise les définitions des délits de harcèlement moral et de harcèlement au sein du couple avec celle du harcèlement sexuel. De l'avis d'Edith Gueugneau « Si les coups laissent des traces, il n'en va pas ainsi des violences psychologiques, qui sont plus difficiles à évaluer et qui posent la question de la preuve. Ainsi, un médecin peut constater par certificat médical un état de détresse psychologique, mais il n'est pas en mesure d'établir un lien avec d'éventuelles violences faites par écrit. Ces violences qui ne sont pas physiques, qu'elles soient psychologiques, symboliques ou économiques, font aussi des ravages et rendent de plus en plus difficile la parole de la victime, premier pas pour sortir de ce piège vicieux.  Ces violences doivent être appréhendées avec attention. C'est l'objectif de l'article 11 bis, lequel prévoit la prise en considération des SMS et des MMS, ce qui est loin d'être anecdotique pour les procédures à venir. » Le harcèlement sexuel sera mieux sanctionné, à l'université et dans l'entreprise. De nouvelles incriminations sont créées pour sanctionner d'autres formes de harcèlement comme l'envoi réitéré de messages électroniques malveillants.
  8. Hyper-sexualisation des enfants. Les députés ont approuvé sans réserve l'amendement présenté au Sénat par Chantal Jouanno, établissant l'interdiction des concours de mini-miss pour les moins de 13 ans, assortie d'une amende de 1.500 euros pour les contrevenants.
  9. Protection de l'image de la femme dans l'audiovisuel public et sur internet, le CSA veillera par exemple à la juste représentation des femmes, à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre la diffusion de stéréotypes sexistes et d'images dégradantes. Les associations sportives comme les entreprises culturelles devront également veiller à la promotion de la parité dans leurs directions.
  10. Parité. Alors que l'Assemblée nationale ne compte à ce jour que 26,9 % de femmes députées, la France se trouvant au trente-sixième rang mondial, au dixième rang européen en matière de parité, les députés ont alourdi les sanctions financières pour les partis politiques ne respectant pas la parité dans les candidatures aux législatives : le texte porte à 200 %, à compter de 2017, le taux de modulation applicable. Par ailleurs, les députés ont souhaité que l'Institut de France s'ouvre aux femmes et fait obligation aux administrations de s'adresser aux femmes sous leurs noms de naissance, sauf si elles désirent être désignées par leurs noms de femmes mariées. La parité sera instaurée dans les conseils économiques et sociaux régionaux, les chambres d'agriculture, les chambres des métiers d'ici 10 ans ainsi que dans toutes les autorités administratives indépendantes collégiales et les commissions et instances consultatives et délibératives de l'état.

Par ailleurs, Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes a pris une position déterminante qui conforte les associations féminines qui prônent un changement de constitution pour une parité irrévocable.

Extrait de la discussion en séance.

Catherine Coutelle, présidente de la délégation des droits aux femmes

« L'article 1er de la Constitution « favorise » l'accès des femmes aux postes de responsabilité. Cette terminologie remonte à la loi Jospin sur la parité et résulte d'un compromis. En période de cohabitation, et pour que le Sénat vote cette réforme, il a été jugé préférable d'écrire : la loi « favorise » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, plutôt que la loi « garantit » l'égal accès. Mais dès qu'une réforme constitutionnelle se présentera, je peux vous assurer que la délégation aux droits des femmes a l'intention de présenter une nouvelle modification de cet article 1er allant dans ce sens. Pourquoi nous battons-nous pour la parité ? Parce qu'il s'agit d'un droit, alors que les femmes représentent la moitié de la sphère publique. Au nom de la parité, il faut partager le pouvoir en deux. Il n'y a aucune raison que les femmes soient écartées et privées de responsabilités dans des pans entiers de la vie économique et politique. »

(…) En réponse, Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes

« À Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, je voudrais dire que j'ai bien entendu ses propositions en matière constitutionnelle : la Constitution prévoit aujourd'hui que « la loi favorise la parité » ; elle doit prévoir demain que « la loi garantit la parité ». Il serait en effet utile que votre délégation porte une telle proposition de réforme constitutionnelle. Cela nous facilitera sans doute la tâche pour aller encore plus loin, si besoin en était. »