Adieu ma concubine, vivent les femmes...

Par Isabelle Lefort  |   |  1581  mots
François Hollande en campagne en 2012
La séparation de François Hollande et Valérie Trierweiler intervient alors que le président de la République, a appelé de ses vœux, un "an II du quinquennat", placé sous le signe de "l'offensive". L’épisode personnel qui s’achève nous interroge : quel impact va-t-il avoir ? Est-ce un énorme caillou dans sa chaussure ? Ou, au contraire, une occasion d’imposer une forme de modernité ? La droite voudrait que l’électorat féminin en soit affecté, mais, rien n’est moins sûr… Stratégiquement, le président a une autre carte maîtresse à jouer pour redevenir le chouchou des Françaises, tel qu’il l’était en 2012.

Il y a dix jours on s'inquiétait de l'attitude de François Hollande, alors que sa compagne officielle était hospitalisée. Le week-end dernier, le président a tranché. Et sonné le glas à cet épisode personnel dont la déflagration médiatique aura été pour le moins tragi-comique en France et à l'étranger.

La page est tournée ?

Aujourd'hui, on est en droit de s'interroger sur l'impact de cet épisode médiatique sur la vie politique. Se traduira-t-il dans les urnes ? Certains déjà devisent sur les réactions des femmes. On le sait, désormais elles jouent un rôle clef dans les élections. Elles sont aussi, voire plus, nombreuses que les hommes à voter. Que ce soit en France ou en Europe - voire le dernier exemple en date en Irlande -, les candidats ne peuvent ignorer les revendications des femmes.

A droite, on murmure que cet épisode porte un coup fatal à François Hollande sur l'électorat féminin. Faisant mine de s'offusquer de la goujaterie et de l'offense faite à une femme de 50 ans, les bons mots bruissent dans tout Paris… Henri Guaino évoque « une séparation sans élégance, ni humanité », Nathalie Kosciusko-Morizet la qualifie de «  lettre de licenciement », quant à Marine Le Pen elle parle de « répudiation »…

In fine, que vont penser les femmes (et les hommes) ? Si la muflerie était un critère de mise au ban des hommes politiques (et des chefs d'entreprise du CAC 40), combien seraient encore en place ? Le président avait promis qu'il serait exemplaire, il a mangé son chapeau. Il n'est pas le premier.

Dans un pays de culture machiste qui a vu fleurir le libertinage, où quatre personnes sur dix pensent que l'infidélité n'a pas de rapport avec la morale, 12 % estimant même qu'elle est moralement acceptable, sachant que, toujours selon le sondage paru dans le JDD réalisé par l'IFOP, plus d'un homme sur deux et près d'une femme sur trois admettent avoir été infidèles, l'infidélité étant plus forte à gauche (46%) qu'à droite (40 %), on peut douter…

Pour le directeur général de l'Ifop, Frédéric Dabi, interviewé dés lundi par Le Figaro sur le sujet, la perception qu'ont les Français du président « n'est pas indexée à une affaire privée. Je fais le pari que ça ne changera rien pour le chef de l'État. Car la lecture à droite n'est peut-être pas celle de la majorité des Français. 77 % d'entre eux considéraient en effet au lendemain de la révélation par Closer de la relation supposée qu'il s'agissait d'une affaire privée. Et le clivage homme-femme était très faible, les hommes étant 79 % à aller dans ce sens et les femmes 76 %. (…) Un tel scénario n'a d'ailleurs jamais été validé par des épisodes analogues dans le passé. Même une séquence personnelle heureuse comme la naissance de Giulia, la fille de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, n'avait pas dopé la popularité de ce dernier. (…) Que pèse aujourd'hui le divorce de Cécilia et Nicolas Sarkozy et son remariage avec Carla Bruni au regard de tout son mandat ? Les Français font vraiment la distinction entre le public et le privé. »

Pensées archaïques contre pari de la modernité ?

Lors de l'émission des Paroles et des Actes du 16 janvier, Christophe Barbier s'est enfoncé dans la brèche. "Les femmes se souviendront de la violence qu'il a fait subir plus ou moins involontairement à Valérie Trierweiler".

Marie Donzel, sur son blog Ladies & Gentlemen, le 17 janvier, a été la première à dégainer. "Est-ce à dire qu'il faut que nous, femmes, nous identifions nécessairement à la femme trompée ; que les hommes ne se sentent pas ou moins atteints par cela? Que les femmes seraient plus critiques, par naturelle (?) pudibonderie, à l'égard de l'extra-conjugalité ? Que les femmes votent après avoir lu Closer, quand les hommes font le choix d'un-e candidat-e après avoir lu Le Monde ou Les Echos? Qu'elles sont plus préoccupées de vie sentimentale que d'économie, de logement, d'emploi, de diplomatie ? Que les femmes élisent leur Président avec tant d'affects qu'elles ont besoin de l'imaginer en "bon conjoint" pour le concevoir en bon Président, qu'elles l'élisent comme elles se choisiraient un "mari"? Quelle curieuse (et biaisée) vision de l'électorat féminin nous propose là le patron du mag qui titrait en octobre 2012 "Ces femmes qui lui gâchent la vie". Les femmes, décidément, qu'elles se crêpent le chignon autour de lui au lieu de bosser, qu'elles le détournent des vraies affaires et le déconcentrent dans ses fonctions en exerçant leurs charmes ensorcelants sur lui ou bien qu'elles votent avec sentimentalisme, sont décidément un "problème" pour François Hollande, si l'on en croit Barbier..."

Et, si c'était le contraire… Passé l'état de sidération devant l'événement et les difficultés personnelles de cette séparation qui ne regardent que les intéressés, politiquement, François Hollande a tout intérêt à faire de cet épisode un moment déterminant pour affirmer sa modernité. Comment ?

Tout d'abord, en statuant effectivement une bonne fois pour toute sur la fin du rôle dévolu à la première dame. Qui s'y intéresse vraiment ? Qu'ont-elles fait ? Les temps ont changé. Pourquoi devraient-elles forcément jouer les bonnes fées, inaugurer crèches et centres pour personnes en difficulté. On ne fait plus de l'humanitaire comme il y a dix ou vingt ans. Les fondations, c'est bien. Le social business, c'est mieux. Dés lundi matin, alors que Valérie Trierweiler avait tenu un discours tonitruant et pour le moins embarrassant en novembre dernier, endossant les habits de Danielle Mitterrand, plus rien ne restait apparent de l'investissement de l'ex-première dame sur le site de la Fondation France Libertés. Quid de la Fondation de Carla Bruni-Sarkozy ? Quid de celle de Cecilia Attias ? Bernadette Chirac et son opération pièces jaunes, est la seule à tenir le rang d'icône nationale, dans une parfaite filiation chrétienne et conservatrice à la Yvonne de Gaulle.

De l'avis d'Yvette Roudy, pour faire progresser les droits des femmes, il faudrait une présidente, déclarait-elle dans Libération en décembre dernier.  « La société y est prête ! Ce n'est pas une question de génétique mais de politique ! La question des droits des femmes n'est que politique... »** C'est elle qui a poussé le futur président à instaurer le premier ministère transversal depuis trente ans, consacré aux droits des femmes. De l'avis de l'ancienne ministre, Hollande a parfaitement compris l'importance des femmes dans la société d'aujourd'hui et de demain. Il doit poursuivre son engagement.

Lui, qui en 2012, était considéré comme le chouchou des Françaises par le magazine Challenges (puisque près de 27 % d'entre elles reconnaissaient leur proximité avec le favori des sondages, selon une étude de l'institut Toluna) devrait saisir cette opportunité pour s'imposer comme le président qui aura le plus fait en matière d'égalité.

Le président du pays des droits des femmes 

Après le mariage pour tous, la feuille de route présentée par Jean-Marc Ayrault début janvier et le projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, plébiscitée par les républicains à l'Assemblée Nationale, il a tout intérêt à continuer à s'appuyer sur les femmes pour passer à l'offensive de l'An II du quinquennat. Les premiers résultats quantitatifs du ministère de Najat Vallaud-Belkacem se traduiront dans un an à l'échelle mondiale au classement des pays les plus favorables aux femmes. La France va regagner en dignité. Il faut aller plus loin pour figurer dans les premiers rangs.

Et pour convaincre le plus grand nombre de le rejoindre dans une union nationale, une suggestion : à lui, de faire en sorte que plus jamais, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, en Espagne notamment, on puisse remettre en question, le droit des femmes. Qu'enfin, la France devienne bel et bien le pays des droits des femmes.

Najat Vallaud-Belkacem, à l'Assemblée Nationale, vient de se prononcer en faveur d'une révision de la constitution pour que la loi, au delà de favoriser la parité, comme c'est le cas actuellement, demain garantisse la parité. Cette revendication portée par le Laboratoire de l'Egalité et la Déléguée aux droits des femmes ne naît pas des extrêmes, elle est légitime. Il ne s'agit pas de faire une révolution mais de faire acte de justice sociale.

Le président saura-t-il saisir cette chance ? Comme l'a écrit, Jacques Attali qui a l'oreille du président, à la veille de la conférence de presse du 14 janvier « François Hollande est à un moment charnière : s'il décide mal, ou peu, dans les jours qui viennent, il ne restera rien, lui non plus, de son mandat. Si par contre, il réfléchit au bilan de ses prédécesseurs, il peut encore être très utile au pays et y laisser une trace. »*** Souhaitons que le président entende. Et, en particulier, puisque le président aime les femmes, qu'il les aime vraiment. Totalement. Jusqu'au bout.

Vive l'égalité, vivent les femmes, Monsieur le Président.

 

* Paru dans Le Figaro, 27 janvier 2014

** Paru dans Libération, 13 décembre 2013

*** Paru dans L'Express | Publié dans Géopolitique, 13 janvier 2014