"Les femmes sont une formidable réserve de croissance"

Par Isabelle Lefort  |   |  768  mots
Angel Gurrià, secrétaire général de l'OCDE
Le Mexicain José Angel Gurrià, secrétaire général de l’OCDE, a lancé hier, en ouverture du Women’s Forum, un vibrant appel sur l'importance du rôle des femmes et des jeunes dans l’économie. Interview.

Quel bilan dressez-vous de la situation des femmes dans l'économie mondiale ?

Les femmes constituent une formidable réserve de croissance dans tous les pays du monde. Globalement, dans l'ensemble des pays développés, avec bien sûr des nuances, on assiste ces dernières années à une évolution favorable. Les femmes sont actives, mais elles sont encore sous utilisées. Or, dans le contexte économique mondial, nous n'avons pas le luxe de nous passer de leurs services. Légiférer est une bonne chose, établir des quotas, si c'est nécessaire, pourquoi pas. Mais l'impulsion doit venir de l'ensemble de la société et de toutes les entreprises. Nous devons faire mieux. On ne peut se contenter de lois, il faut absolument continuer. Selon nos études, à l'horizon 2030, si le fossé qui sépare les femmes et les hommes dans le monde du travail disparaissait, on enregistrerait une croissance de 12 % du PIB. Globalement, dans l'éducation, les filles et les garçons obtiennent des résultats analogues. Elles sont mêmes meilleures dans certains domaines comme la lecture, la capacité d'analyse. En science, elles ont des performances équivalentes à celles des garçons. Pourquoi ces performances scolaires ne se traduisent pas dans le monde du travail ? On laisse encore trop les femmes de côté. Nos sociétés vont aller vers une longévité plus longue, nous devrons tous travailler plus longtemps, les femmes constituent une réserve de talent. Il faut lever les barrières à leur promotion.

Le Women's Forum organisera en 2016 un forum à Mexico. Quelle est la position des femmes sur le marché du travail dans ce pays ?

Aujourd'hui, les jeunes Mexicaines aspirent à l'éducation, leurs mères les y incitent. Elles mêmes ont longtemps été écartées de l'emploi salarié, alors qu'elles travaillent de facto, et souvent bien plus que les hommes, mais elles ne sont pas payées en retour. C'est une profonde injustice à laquelle nous devons nous attaquer. Le Mexique est un grand pays de 120 millions d'habitants et 2 millions de km2. Mais la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et il est très difficile de quantifier véritablement le travail réel car il est très volatile (ndlr : avec beaucoup d'emplois au noir). Nous avons mis en place un programme pour inciter les mères à envoyer les enfants à l'école, en leur versant des allocations en cash. Si elles maintiennent leurs enfants dans le système scolaire, elles reçoivent des aides, des compléments rétribués pour les aider à les nourrir et les soigner. Nous les versons aux mères de famille, car, elles aspirent à améliorer l'avenir de leurs enfants, ce qui n'est pas toujours le cas des hommes ; dans les zones miséreuses, péri-urbaines, l'alcool et les cartels de la drogue font des ravages. Comme le fait Muhammad Yunus, pour le micro-crédit avec la Grameen Bank, nous nous appuyons sur les femmes pour faire progresser l'éducation ; car, c'est la seule possibilité de combattre l'injustice, de générer de la croissance et rétablir la paix sociale.

Comment voyez-vous évoluer la barbarie qui dans des zones du monde prend en particulier pour cible les femmes ?

Ca me bouleverse et ca me rend malade. Les terroristes s'attaquent à l'ensemble des populations ; les femmes sont en première ligne. Nos Nations savent faire la guerre entre pays, nous ne sommes pas préparés à ce type de conflits. Nous avons besoin d'intelligence, d'unir nos forces et nos informations pour combattre toutes les formes d'extrémismes qui menacent la paix et la prospérité dans le monde. Nous devons pour cela, sur le long terme, axer nos efforts sur l'éducation et la création de compétences. En abandonnant les jeunes au chômage, au désœuvrement et à la pauvreté, nous ne faisons que nourrir la colère contre nos sociétés. Nous avons tous intérêt à lutter contre les inégalités. Que nous soyons gouvernants, chefs d'entreprises, simples citoyens. Nous, à l'OCDE, notre rôle n'est pas de dire à tel ou tel pays quelle est la marche à suivre. Nous nous devons de proposer des alternatives et présenter des solutions. La France est un grand pays qui vient de recevoir deux prix Nobel, l'un pour l'économie, l'autre pour la littérature. L'esprit et la vie sont ainsi salués. La France possède en elle de formidables capacités. Les dirigeants doivent avoir en mains toutes les informations, toutes les recommandations pour qu'ils puissent choisir les bonnes options de sortie de crise. Il y a urgence.