Davos 2014 : "Alors, ça y est, c’est la reprise ? "

Que retenir de cette édition 2014 du Forum économique mondial ? Entre espoirs de rebond, réels, mais mesurés, et crainte de rechute, le monde selon Davos se divise en deux camps. Les indécrottables optimistes, et les pessimistes lucides. Sixième année après la crise de 2008, 2014 s’ouvre sur le signe « mieux » comme « peut mieux faire »
Philippe Mabille
Le nouvel hôtel Intercontinental où a eu lieu la soirée de clôture du Forum de Davos

2600 participants venus du monde entier, des chefs d'Etat et de gouvernement, les patrons des plus grandes entreprises mondiales, de Pepsico à Huawei en passant par Yahoo, Google et les nouvelles stars de la tech-industrie (Nest, Airbnb), une présence française (très et trop) discrète (à part les nombreux journalistes présents), mauvaises performances économiques oblige : le cru 2014 du forum économique mondial de Davos a donné une image impressionniste des transformations en cours de la mondialisation. Un brin d'espoir : la reprise est là, tous les participants l'ont dit, et il y a même côté américain une certaine euphorie. Le retour au « business as usual » ? Mais les mêmes se souviennent, surtout en Europe, que la reprise de 2010 a vite avortée. Et le message du pape François, inhabituel dans cette enceinte, en ouverture de Davos 2014, a vite cueilli à froid les plus optimistes : « il faut que la richesse serve le monde, pas qu'il soit gouverné par elle ».

Un Davos plus social

De fait, on semble être revenu en 2014 au Davos des origines, avec une vocation sociale. Cette enceinte créée par le professeur Klaus Schwab après l'éclatement des accords de Bretton Woods, en août 1971, a toujours fixé comme objectif de servir de plateforme d'échange pour « améliorer l'état du monde ». Guérir les maux du capitalisme, certes pour mieux le défendre, et pas le célébrer sans le critiquer. Cette dimension sociale et même sociétale se traduit par la présence à Davos de nombreux représentants de la société civile et d'ONG, ce que dans le langage anglo-saxon dominant dans la petite station suisse, on appelle les « stakeholders ». Ceux-ci ont fait entendre leur voix, pour critiquer la finance, responsable de la crise, et contester ceux qui affirment que les marchés sont devenus plus sûrs avec les régulations nouvelles mises en place. Un vote sur le sujet lors d'une session consacré à la finance a montré que 38% des participants étaient pour le moins sceptiques… En attendant le résultat des stress tests sur les banques européennes, sans doute !

Un Davos plus social donc, parce que le monde va mieux mais pas mieux pour tout le monde. L'économie mondiale devrait croître de 3,7% cette année, 3,9% l'an prochain, selon les dernières prévisions révisées en hausse du FMI la semaine dernière, pour la première fois depuis deux ans. Mais cela ne sera pas le cas partout et c'est « une reprise fragile » a reconnu à Davos Christine Lagarde, la directrice générale du FMI. Après l'Europe, qui inquiète moins cette année, c'est au tour des pays émergents d'être victimes de l'instabilité financière, avec un reflux spectaculaire des capitaux dans la foulée du changement d'orientation de la politique monétaire américaine. Surtout, après plus de cinq ans de crise, le monde semble avoir perdu la recette d'une croissance inclusive. La mondialisation a certes sorti de la pauvreté 2 milliards d'hommes et de femmes, mais de nouvelles inégalités font leur apparition, parce que les transformations vont de plus en plus vite. La « middle class trap », l'écrasement des salaires des classes moyennes, dans les pays riches, et la difficulté d'offrir des emplois « décents et bien payés », comme l'a dit une responsable syndicale britannique, a été au cœur des débats.

La question centrale de 2014, toujours selon Christine Lagarde, la seule française prise au sérieux à Davos : « jobs, jobs, jobs !". Comme si la confiance, relative, en une reprise économique, était tempérée par la crainte que l'occident ait perdu la recette magique du plein emploi. Le débat porte autant sur la quantité que sur la qualité des emplois. Les effets disruptifs des nouvelles technologies fascinent autant qu'ils inquiètent : et si on recréait une société de classe entre les éduqués (skilled) et les autres ? c'est bien l'inquiétude principale, d'un capitalisme qui laisseraient sur le côté un nombre toujours plus grand d'exclus, tandis que les « riches » s'enrichissent sans limite (voir à ce sujet les statistiques d'Oxfam).

Brave new world 

Eric Schmidt, le patron de Google résume le dilemme : «  il y a une course entre l'ordinateur et l'homme (« between computer and people »). Et l'homme doit absolument gagner » (sous-entendu, ce n'est pas certain…). Conséquence : « nous devons nous préparer et surtout préparer nos enfants à cette bataille. La croissance ira dans les industries à forte valeur ajoutée : la santé, l'internet, l'économie créative ». Et les autres ? La conviction est faite que l'on ne retrouvera jamais les emplois perdus à cause de la mondialisation et des nouvelles technologies, sauf par un effort supplémentaire de productivité.

La grande peur, exprimée à Davos cette année, c'est donc celle de la dévalorisation des « middle class job ». Est-ce inévitable ? Si l'ordinateur et le robot, très présent aussi dans les débats de Davos, gagnent, alors,  « il faudra chercher de nouvelles solutions notamment fiscales » pour assurer la redistribution, reconnaît Eric Schmidt… Pas mal pour le patron d'un groupe champion, comme toutes les stars de la nouvelle économie, de l'optimisation fiscale… Google ne paye que 19% d'impôts, a-t-il concédé.

A quand la prochaine… crise ?

En attendant d'avoir un ordinateur comme président du monde, l'édition 2014 du World Economic Forum a aussi permis de faire le point en ce début d'année sur les grands risques mondiaux. Ainsi, le monde va mieux mais pas partout. L'économiste Nouriel Roubini, traditionnel docteur catastrophe, a comme à son habitude prédit que l'Europe n'avait qu'un « sursis, de deux ans au maximum », avant que la crise des dettes souveraines ressurgisse.

Et puis, surtout, la grande inquiétude concerne le retournement de la croissance dans les pays émergents. Le krach du peso argentin et de la livre turque, en plein forum, a marqué les esprits. Après avoir permis aux Etats-Unis de sortir, à coup de milliards de la crise des subprimes en 2009, Ben Bernanke, le président de la Fed, avait dit à son homologue de la BCE Jean-Claude Trichet : « Your turn, Jean-Claude ». Et si c'était au tour des pays émergents ? Après une décennie fabuleuse, ceux-ci apparaissent fragiles et menacés par la sortie massive des capitaux qui semblent en train de repartir aussi vite qu'ils sont entrés. Un parfum de crise asiatique de 1997 a soufflé sur Davos. Certes, les taux de croissance sont encore impressionnants, en Chine (7,7%) ou même en Inde (5% après plus de 8%), mais ce sont des niveaux insuffisants pour assurer la stabilité de ces pays toujours en développement.

La principale crainte, une fois n'est pas coutume, c'est la Chine, où un atterrissage en catastrophe pourrait bien survenir, si l'immobilier chute. On parle même d'une crise comparable à celle des subprimes tant se sont accumulées les créances douteuses dans le système financier de l'ombre (shadow banking) chinois. La plus grosse banque chinoise ICBC est sous la menace d'un premier défaut de grande ampleur de quelque 3 milliards de yuans. Celui-ci pourrait ébranler le secteur du "shadow banking", qui a une très grande importance en Chine.

Tensions sociales, politiques, montée des conflits régionaux (Syrie, Iran, Chine-Japon, Inde-Pakistan, …) : le monde en 2014 reste instable, comme suspendu dans le vide. Et ce sans parler des risques climatiques, auxquels le secrétaire général de l'ONU a apporté sa voix, dans l'indifférence générale. Al Gore, l'ancien vice-président américain producteur du film « Une vérité qui dérange » l'a résumée d'une formule choc : « Nous devons mettre un prix au carbone. Nous devons aussi mettre un prix au déni politique ». Ce sera sans doute le grand sujet de Davos en 2015, alors que se tiendra à Paris la conférence mondiale de l'ONU sur le climat. François Hollande viendra-t-il alors cette fois pour tenter de convaincre les leaders du monde de l'urgence d'un accord ? « On y travaille », indique-t-on dans l'entourage des organisateurs du WEF.

Reformuler les politiques économiques

Quelles réponses apporter à ces dangers. Le message principal, à Davos, a été d'affirmer qu'il ne faut surtout pas renoncer à poursuivre les réformes structurelles mais d'en adapter le rythme à la conjoncture. Et aux réalités politiques. Pour Nouriel Roubini, « beaucoup de pays émergents n'ont pas profité de la période de vaches grasses pour faire les réformes nécessaires. Et maintenant, le retour des tensions les rendent encore plus difficiles à mettre en œuvre ». Tous les dirigeants venus à Davos ont évidemment assuré du contraire. Mais le calendrier politique n'aide pas. Il y aura en 2014 des rendez-vous électoraux majeurs dans dix grands pays, en Inde, en Indonésie, en Egypte…

En Occident aussi, on constate une divergence croissance entre les pays qui ont fait les réformes (Allemagne, pays sous programme d'aide) et les autres. Mais à force d'austérité, le nouveau danger s'appelle déflation et a été pointé par Christine Lagarde et de nombreux économistes. Seuls les banquiers centraux n'y croient pas, tout en reconnaissant la difficulté de la tâche qui les attend. Le calendrier du « tapering » (réduction progressive du programme d'achat d'actifs de la Fed) est sans aucun doute l'une des clefs de 2014 et cela entretient « une forte volatilité des marchés financiers », a souligné le président de BlackRock, le premier fonds d'investissement mondial (qui gère 3000 milliards de dollars à lui seul et a fait récemment la Une de The Economist), au cours d'une table ronde avec les principaux banquiers centraux (sauf les représentants de la Fed).

Et si ça tournait mal à nouveau ?

« Les marchés sont à l'affut, pour tester les limites des politiques monétaires », soutient un financier français qui refuse d'être cité. « Nous vivons dans un monde irréel, drogué de monnaie par les banques centrales ». En fait, selon lui, nous vivons depuis cinq ans dans un véritable « no man's land économique », entre inflation et déflation. Les banques centrales sont en rempart mais le monde est devenu « un laboratoire des politiques économiques extrêmes ». Au Japon, avec les trois flèches des Abenomics, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni avec le « quantitative easing », cela semble marcher et relancer les économies, mais à quel prix pour la stabilité du monde ? Selon le président de la Banque du Japon, le monde doit absolument éviter la déflation, qui après quinze années au Japon, a démontré sa nocivité : c'est un « cercle vicieux mauvais pour toute l'économie parce qu'elle empêche de se projeter dans l'avenir et d'innover, d'investir »

« Super » Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, reste serein. Certes, la BCE a échoué à ramener l'inflation en zone euro au niveau plancher de 2% qu'elle cible, puisqu'elle se situe autour de 1%. Mais Mario Draghi veut croire en une inflation stable sur les deux ans à venir, horizon prévisible pendant lequel les taux d'intérêt resteront à leur niveau actuel, c'est-à-dire très bas. Mais quid si la situation échappe à la BCE ? Celle-ci se prépare si besoin à baisser les taux voire à prendre à son tour des mesures non conventionnelles… Un « Quantitative Easing » dans la zone euro ? Mario Draghi sourit d'un air mystérieux, et se réfugie derrière les contraintes du Traité européen, sous la surveillance sourcilleuse de Wolfgang Schauble, le ministre des finances allemand. Poussé dans ses retranchements, Draghi évoque les achats de dettes privées ou de produits de titrisation. En fait, sur le risque déflationniste européen, on le sent un peu désemparé.

Un monde qui tourne à vide

Le consensus de Davos, cette année, c'est qu'il n'y a pas de « solutions magiques » pour faire renaître une croissance stable et profitable à tous. La vrai réponse est « entre les mains des politiciens qui doivent faire preuve de courage », assène Laurence Fink, le patron de BlackRock… Il a surtout besoin d'un nouveau cycle d'investissement. La Banque mondiale travaille ainsi sur une nouvelle facilité de financement des infrastructures, alors que les pays émergents ont 1000 milliards d'euros de projets dans leurs cartons, raconte Bertrand Badré, le directeur général de l'institution internationale. L'enjeu, c'est de rétablir la confiance et de bâtir de nouveaux modes de financement standardisés, pour que l'argent du secteur privé s'y investisse. Car, c'est tout le paradoxe de la situation, le monde de 2014 est riche : il y a entre 50.000 et 75.000 milliards de dollars dans les caisses des grands fonds qui gèrent l'épargne mondiale. Mais la majeure partie est comme gelée, thésaurisée dans des produits à faible rendement, et faible risque. Changer cela, voilà l'enjeu pour l'économie mondiale. Après Davos, on en reparlera aux assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale à Washington en avril. L'Australie, qui préside le G20, et dont le Premier ministre Tony Abbott était présent à Davos, a fait du financement des infrastructures dans les pays émergents une priorité.

Pour sortir du brouillard neigeux dans lequel le Forum de Davos s'est achevé, dimanche 26 janvier, rien ne vaut un peu de méditation. C'est la leçon qu'a apporté ici Loic Le Meur, LE français le plus connu de Davos, exilé depuis quelques années dans la Silicon Valley et qui vient de vendre la société qui organise chaque année sa conférence sur les nouvelles technologies, LEWEB. Méditer une heure par jour, c'était le titre de l'une des nombreuses conférences qu'il a animé cette année. Voilà peut-être la solution pour que les dirigeants mondiaux, dont les responsabilités n'ont jamais été aussi grandes, échappent au burn-out et puissent ainsi « remodeler le monde », comme les y appelait le titre générique de cette édition 2014.

Retrouvez le programme, les vidéos des sessions sur le site du World Economic Forum.

et sur Twitter, #Davos et #WEF14 toutes les informations, petites phrases et commentaires des 300 journalistes présents pour couvrir l'événement.

Notre blog "Inside Davos" sur latribune.fr

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Philippe Mabille

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Commentaires 9
à écrit le 28/01/2014 à 3:19
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Il y a un gros gap entre le ressenti de la France d'en-bas et les discours médiatico-politique (comme le vôtre dans une certaine mesure). Or, la perspective "instrumentaliste" qui perdure et transpire de partout risque d'aggraver encore ce gap ! La f...

à écrit le 27/01/2014 à 23:38
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la mondialisation est élitiste par essence et le déchet donc considérable . Le pape a mis le doigt sur la plaie mais hors via la redistribution il semble incertain de pouvoir faire monter tout le monde dans le bateau .

à écrit le 27/01/2014 à 12:23
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Merci, M. Mabille pour cette excellente synthèse.

à écrit le 27/01/2014 à 11:47
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Davos, le rendez-vous du gratin de milliardaires avec pour objectif faire du ma tu vu. Rien de concret n'en sort, seul ces filous de petits suisses !!!! en font du business.

à écrit le 27/01/2014 à 10:28
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"Méditer une heure par jour"...Le temps, c'est de l'argent et à l'heure où l'unité de temps est la nanoseconde, qui peut se permettre des "méditer une heure par jour"? Certainement pas les grands de ce Monde. Le seuls qui peuvent "méditer une heure p...

à écrit le 27/01/2014 à 10:14
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Davos, une dimension sociale... Ils osent tout.

à écrit le 27/01/2014 à 9:01
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fin d'année impôts locaux,foncier pris sur mon épargne et là électricité et distribution de la voiture.IL ne me reste plus que quelques mois pour mettre assez de côté pour recommencer et l'année prochaine comme je bosse ben se sera les pneus mes vaca...

à écrit le 27/01/2014 à 9:01
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fin d'année impôts locaux,foncier pris sur mon épargne et là électricité et distribution de la voiture.IL ne me reste plus que quelques mois pour mettre assez de côté pour recommencer et l'année prochaine comme je bosse ben se sera les pneus mes vaca...

le 27/01/2014 à 15:23
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Quand je regarde mon compte bancaire le 15 du mois je remarque que la reprise m'a oubliée pourtant je travaille alors pour les autres ce doit être pire. Il nous prennent vraiment pour des imbéciles.

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