Jean-Claude Juncker, l'européiste pragmatique

« Realpolitiker », l’ancien Premier ministre luxembourgeois est le candidat du centre droit à la succession de José Manuel Barroso. Il connaît si bien la chorégraphie si particulière de l’UE que d’aucuns doutent qu’il puisse vraiment la changer.
Jean-Claude Juncker,

Après avoir longtemps douté, il y croit. Le candidat du centre-droit aux élections européennes, Jean-Claude Juncker, a fini par se prendre au jeu. Ou par s'y laisser prendre. Et il se voit déjà président de la Commission européenne :

« Le président de la Commission européenne sera élu in fine par le Parlement européen. Nous aurons le choix entre deux têtes de liste », lui et Martin Schulz, le social-démocrate, confie-t-il à La Tribune.

Pourtant, celui qui a dirigé le gouvernement luxembourgeois pendant dix-huit ans était le candidat de toutes les ambiguïtés qui planent sur cette élection. Fait tête de liste du Parti populaire européen par Angela Merkel, on le soupçonnait de vouloir trahir.

Trahir, c'est-à-dire ne pas aller au bout de l'exercice démocratique qui est en train de se dérouler sous nos yeux, de ce tour de passe-passe des partis politiques européens qui ont imposé l'idée que celui qui siégera au dernier étage du Berlaymont sera la tête de liste du parti arrivé en première place à l'élection.

On murmurait il y a quelques semaines encore que, lui, le politicien madré, l'homme des compromis noués en secret dans la nuit bruxelloise, lui qui avoue que la politique a besoin de secret et de mensonge, visait en fait la présidence du Conseil européen, le conclave des chefs d'État et de gouvernement. On le voyait complice de ces chefs qui auraient bien aimé garder la main sur la nomination à la tête de la Commission sans se laisser imposer un choix par les partis politiques. On disait que la chancelière ne l'avait placé là, lui, le Luxembourgeois germanophone, que pour faire campagne en Allemagne contre Martin Schulz.

Et le voilà converti à la surprenante mécanique à l'oeuvre, celle d'une élection calquée sur un régime parlementaire.

Pour le statu quo en matière de traités

Si son voeu se réalise, Jean-Claude Juncker ne sera pas le président flamboyant dont certains ont rêvé. C'est un « Realpolitiker », l'homme qui a défendu bec et ongles le secret bancaire, contre l'avis de ses partenaires européens… jusqu'à ce que la pression des États-Unis l'oblige à lâcher.

Mais c'est aussi un Européen convaincu, capable de tracer la voie d'un compromis entre ses grands voisins et d'éviter le pire, à défaut de réaliser l'impossible. Comme lorsqu'en 2012 il a pesé de tout son poids pour dissuader Angela Merkel de pousser la Grèce hors de la zone euro.

Il sait que le navire n'est pas encore stabilisé, qu'un retournement des marchés peut relancer la crise, que certaines banques européennes restent fragiles, mais ne comptez pas sur lui pour faire campagne sur la vaste réforme de la zone euro qu'il sait pourtant nécessaire. Interrogé sur les plans ambitieux des groupes Eiffel ou Glienicke, dont les propositions de création d'un budget ad hoc et d'un marché de la dette commune aux pays de la zone font consensus chez les économistes, il répond sans détour :

« Le programme de travail de la Commission se distingue des séminaires académiques par une dose supplémentaire de réalisme. Il n'est pas envisageable d'apporter des changements de taille aux traités et surtout pas en matière d'union économique et monétaire. »

Mais cela ne l'empêchera pas d'y venir au cours de son mandat, quand il estimera qu'un espace politique existe pour prendre cette voie. Dans un premier temps, il se contentera de soutenir une réforme qu'il est bien placé pour savoir nécessaire!: l'instauration d'un « Monsieur Euro ». Pendant huit ans, de 1995 à 2013, il a présidé le groupe des ministres des Finances de la zone euro… tout en dirigeant son gouvernement. Il sait que c'est un job à temps plein.

« Le ministre des Finances américain ne s'occupe pas des finances de l'Ohio toute la journée et des finances américaines le soir pour meubler ses loisirs. Non, il faut quelqu'un qui soit présent d'une façon permanente, c'est essentiel aux moments de crise aiguë », dit-il.

Mais là encore, pas de révolution. Il aimerait que le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem aille au bout de son mandat, en 2015.

« Je ne veux pas donner l'impression de vouloir éjecter mon successeur », dit-il.

En attendant, il aimerait « poser le principe » de la présidence permanente, une idée française à laquelle s'est ralliée l'Allemagne. Toujours la même technique : prendre date pour faire que se réalise demain ce qui ne saurait être fait aujourd'hui sans heurts. Quoiqu'ici rien ne dise que les chefs d'État et de gouvernement ne choisissent pas d'accélérer le mouvement. Il leur en laissera la responsabilité.

S'il défend le bilan de ces années de crise dont il a été l'un des acteurs principaux, il admet qu'elles ont éloigné les peuples les uns des autres.

Il y a « dans le Nord l'impression de financer le Sud, notamment à cause de la crise grecque. Et dans le Sud l'impression que le Nord serait insuffisamment solidaire. Cette description ne correspond à aucune forme de réalité. Nous avons su organiser en Europe l'intersection entre la solidarité des uns et la solidité des autres. Je voudrais que cesse ce dénigrement », dit-il.

Pour un salaire minimum européen

Et de louer par exemple le « génie italien » et les « performances économiques Remarquables » de la Péninsule, malgré son endettement colossal. Il sait qu'il échouera s'il est l'homme d'une Europe contre l'autre.

« Nous avons insuffisamment appris la gestion collective et solidaire de la monnaie unique. Très souvent les États se comportent comme s'ils avaient l'euro mais pas de monnaie unique. Les torts sont partagés », dit-il.

Mais les responsabilités individuelles. Lui qui a assisté impuissant à la violation des règles budgétaires par Paris et Berlin veut faire crédit au gouvernement Valls.

« Lorsque le Premier ministre de la France dit qu'il respectera les règles, je n'ai aucune raison d'en douter », dit-il, alors que les doutes grandissent sur la capacité de la France à ramener son déficit sous les 3% en 2015.

« A priori, il n'y a aucune raison de prolonger le délai d'ajustement qui fut accordé à la France, parce qu'il n'y a pas eu de choc externe qui aurait frappé le pays », dit-il.

Et de s'attendre en juin à ce que la Commission prenne une décision « qui ne dérangera pas la France ». On ne vient pas à bout des grands pays en les heurtant frontalement. Paris n'a-t-il tout de même pas raison quand il se plaint de l'euro fort?

« L'euro et le taux de change sont les mêmes pour tous », y compris les pays particulièrement compétitifs à l'export, dit-il. Et de céder à la tentation de paraphraser le président Hollande :

« Moi, président de l'Eurogroupe, j'ai connu un euro à 0,87 dollar et un à 1,60. Les uns étaient effarouchés, les autres prenaient cela avec philosophie », dit-il.

Et pourtant, il pourrait bien être le premier président de la Commission à lever le tabou de la politique de change.

« Si le taux de change réel de l'euro menaçait la reprise dans la zone euro, et pas seulement dans un État membre, je ne manquerai pas de proposer au nom de la prochaine Commission des orientations générales sur lesquelles les ministres des Finances pourront décider. »

Ce qui serait une première dans l'histoire de la monnaie unique. Stigmatisé par ses adversaires comme un « homme du passé », il a choisi de déborder Martin Schulz sur sa gauche en proposant la création d'un salaire minimum européen. Et contrairement à son opposant allemand, il promet de mettre sur la table une vraie « Union européenne de l'énergie », où notamment les achats de gaz russe seraient centralisés. Quant aux camarades britanniques du parti conservateur, qui ont quitté le Parti populaire européen il y a cinq!ans, il balaye leurs menaces de sortie de l'Union européenne d'un revers de la main.

« Nous n'allons pas rouvrir les traités simplement pour accommoder nos amis britanniques », dit-il. D'ailleurs, « ils ont vu comme nous que les États-Unis leur disaient de rester membre de l'Union ».

Et si la situation échappait au contrôle du Premier ministre David Cameron… il serait toujours temps de trouver un arrangement. La Realpolitik faite homme.

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Commentaires 14
à écrit le 26/05/2014 à 23:00
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Pauvre France! Si le niveau de la plupart des commentaires reflète le niveau réel des représentants français dans les instances de l'UE, il n'est guère étonnant que personne n'ait envie de suivre leurs avis... Ce n'est en effet ni avec les mensonges,...

à écrit le 26/05/2014 à 0:15
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Il est temps de prendre les armes pour récupérer nos droits, notre démocratie et se débarrasser des dictateurs de Bruxelles... comme ce monsieur Juncker, chef auto-proclamé de l'Europe. Se battre ou crever, les européens ont le choix !

le 26/05/2014 à 17:14
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Chef autoproclamé.... son parti a quand même reunni les plus grand nombre de sieges...

à écrit le 25/05/2014 à 13:59
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Joker est un ultralibéral comme on en voit depuis 30 ans et qui depuis 30 ans ruinent les européens.

à écrit le 25/05/2014 à 12:21
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Politicard d'un pays qui est la honte de l'europe ,lui meme mis en examen il va s'enrichire comme la fait Barroso

à écrit le 25/05/2014 à 11:45
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Junker ex premier ministre d'un paradis fiscal mafieux à la tète de la commission pour lutter contre l'argent sale. On rigole!

le 27/05/2014 à 17:48
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Premièrement il s'appelle JunCker et pas Junker. Deuxièmement le Luxembourg n'est PAS un paradis fiscale, autrement il ne serait pas membre de l'OCDE; il applique le secret bancaire oui, mais il va tomber en 2015. En outre, de quelle droit qualifiez ...

à écrit le 24/05/2014 à 18:18
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Vire du gouvernement du luxembourg ce politicard mis en examen dans son pays, machine a laver l'argent sale ,le luxembourg espere pouvoir s'enrichire comme Barroso ! a nous de dire NON

le 26/05/2014 à 17:16
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désole mais les européens ont dit non (le votes des français n'est pas le seul qui compte)

à écrit le 24/05/2014 à 13:19
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Mon point de vue compte peu car je suis un "européen" convaincu mais si je peux donner un ou deux conseils à nos gouvernants afin de rendre l'EU lisible ils seraient les suivants: a) proposer un projet clair sur l'UE politique étape par étape et fai...

le 25/05/2014 à 13:04
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Et que pensez vous du dénis de démocratie subit par les français en 2005 pour le traité de Lisbonne ? Qu'il fallait revoter ? Ou que finalement cette solution passant par le parlement national était acceptable ?

le 25/05/2014 à 19:24
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J'ai voté NON pas contre l'EU mais clairement contre Chirac et je le regrette tout comme tous ceux qui comme moi on fait le même calcul. Ce matin j'ai glissé un vote UDI-MODEM ....par conviction. Vive l'EU fédérale....sinon, elle peut mourir car quan...

le 26/05/2014 à 0:20
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@eurofederal : Formidable ! Vous êtes la victime parfaite, celle qu'on peut arnaquer, arnaquer encore et encore, sans fin. Nos dirigeants rêvent qu'il n'y ait que des citoyens européens comme vous, sincèrement convaincu qu'ils nous construise l'Europ...

le 26/05/2014 à 17:15
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Oui est la solution c'est d'envoyer des gens qui sont payer pour rien foutre au parlement comme le pen et melenchon, drôle de conception des victimes

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